L’ÎLE PRISONNIÈRE : ENTRETIEN AVEC MICHEL BUSSI

Crédit photo : Philippe Quaisse

Michel Bussi est l’un des écrivains les plus populaires en France et un des auteurs français les plus vendus chez nous et à travers le monde. Amoureux des mots, de la littérature et des émotions, Michel Bussi se lance aujourd’hui dans une nouvelle aventure. En effet, il signe le scénario de sa première fiction télévisée (avec l’aide de Christian Clères) : L’Île Prisonnière. Une mini-série en six épisodes qui suit les péripéties des habitants d’une petite île, Pennick, pris en otages par 23 terroristes. Et avec 4.8 millions de téléspectateurs pour la diffusion des deux premiers épisodes sur France 2, L’Île Prisonnière est un nouveau succès pour Michel Bussi.

À l’occasion de la sortie des épisodes 3 et 4 ce 20 février, l’écrivain revient sur ses débuts en tant qu’auteur, se confie sur son amour pour Arsène Lupin et sur la conception de la série L’Île Prisonnière.

À quel moment le besoin d’écrire et de raconter des histoires est-il né ?
Je pense qu’il a toujours été là. Dès l’âge de six ans, j’avais cette envie de raconter des histoires en tout cas, ce goût pour prolonger les histoires que je pouvais lire. Petit, je me rappelle par exemple que je créais des histoires de western. Je faisais aussi des pastiches de radio avec mes sœurs. La créativité a toujours été présente chez moi. Je suis celui qui inventait les histoires. Cependant, être écrivain était pour moi quelque chose d’inaccessible. Je n’avais aucun contact et personne près de moi ne travaillait dans le milieu de l’édition. J’écrivais pour moi et les amis. Je n’envisageais pas de devenir écrivain. Adolescent, j’ai commencé à écrire mais il n’y avait jamais cette idée que ces histoires deviennent réalités. Puis, j’ai poursuivi mes études, fait ma thèse tout en continuant à imaginer des scénarios dont celui de L’Île Prisonnière. Mais je n’avais pas le temps de les concrétiser. Lorsque je suis devenu Maître de Conférence, je me suis lancé. Je me suis dit qu’il fallait que je me teste. J’ai écris un premier livre qui a été refusé par les maisons d’édition. J’ai poursuivi, jusqu’à ce que ça marche.

« Quand nous avons les retours classiques négatifs, il y a une sorte de vie qui s’arrête »

Au début de votre carrière et vous le disiez, vous avez essuyé pas mal de refus. Pour les jeunes auteurs qui liront peut-être cette interview, pouvez-vous nous dire de quelle manière vous avez géré ces refus et comment vous les avez vécu ?
La grande majorité des écrivains ont tous connu les refus. C’est rarissime qu’un auteur ait une réponse favorable dès les premiers envois. Le conseil numéro un que je peux donner, c’est de ne pas désespérer. C’est normal d’essuyer des refus au début. Parfois, mon éditeur ne publie aucun nouveau roman dans l’année. Quand nous avons les retours classiques négatifs, il y a une sorte de vie qui s’arrête. Je l’ai ressenti ainsi. J’ai remarqué, et c’est le cas pour la plupart des écrivains qui publient des best-sellers en France aujourd’hui, que avons presque tous commencé dans des petites maisons d’éditions régionales ou locales. Sur internet également. Ensuite, ce sont les lecteurs qui enclenchent le bouche-oreille, font la différence. Je pense qu’il n’y a rien de pire pour un auteur d’être publié pour son premier roman chez Gallimard, d’en vendre 300, et de ne jamais faire de deuxième livre. Il faut mieux commencer chez un petit éditeur. Après, on sent très vite les signes positifs (retour des lecteurs, prix littéraires, etc.). Lorsque mon premier roman, Code Lupin, a été publié chez un petit éditeur, nous avons rapidement senti un engouement. De là, tout peut basculer.

« Avec Arsène Lupin, on passe à l’âge moderne »

Vous le disiez, Code Lupin a été votre premier roman. D’où vous vient cet amour pour Arsène Lupin ?

J’ai lu les romans en étant ados et une seconde fois un peu plus tard. Il y a le fait qu’il soit lié à mon histoire personnelle puisque lui aussi est normand. Au delà de ça, en relisant les Arsène Lupin, je pense que Maurice Leblanc est un génie. Arsène Lupin a peut-être écrasé le reste de l’œuvre de Maurice Leblanc mais quand on relit l’intégralité de ses livres, il est devenu l’un des piliers du roman policier parce qu’il invente beaucoup de choses. C’est lui qui, par exemple, met en scène le premier tueur en série en littérature, il invente le narrateur-coupable, etc. Les Arsène Lupin sont assez modernes. Leblanc appartient au pionnier de la littérature policière. Il est l’inventeur d’un genre : le polar ésotérique. Avant lui, il n’y a pas de romans où on joue avec l’histoire, les chasses aux trésors, l’ésotérisme.

Maurice Leblanc représente le passage après le naturalisme (Maupassant, Flaubert, Zola…) dont il s’est inspiré pour ses premiers écrits. Avec Arsène Lupin, on passe à l’âge moderne où les héros circulent en voiture, utilise le télégraphe, utilise les médias, vont dans des sous-marins. Arsène Lupin est le premier héros qui est totalement détaché de son environnement naturel. Il est partout et nulle part. Il y a beaucoup d’action aussi et peu de description. Nous sommes dans l’aventure.
[…] Mais je ne m’inspire pas de Maurice Leblanc pour écrire car c’est une époque différente. Aujourd’hui, nous mettons plus de sentiments, plus de chairs, d’émotions et de monologues intérieurs. Chez Maurice Leblanc, il y a peu de psychologie de personnages. C’est très lissé. Moi, ce que j’aime ajouter dans mes romans, ce sont la quête d’identité, les rapports familiaux, etc.

Vous êtes un auteur très éclectique, vous passez par tous les genres. Est-ce un moyen pour vous de ne pas vous ennuyer et de vous diversifier ?
C’est effectivement ça. Mais c’est pareil pour les acteurs. Je crois qu’ils ont envie de voguer vers d’autres genres et de ne pas s’enfermer dans une case. C’est assez logique qu’un artiste ait envie de jouer sur plusieurs registres. Curieusement, c’est en littérature où l’on range le plus les gens dans des colonnes, où l’on catalogue les auteurs et où c’est assez difficile d’en sortir. Je sais que certains auteurs m’envient d’avoir osé de publier dans des genres différents ou de ne pas avoir un héros récurrent.

Vous publiez énormément. Il y a une obsession derrière ça ?
Oui il y a une obsession du temps perdu. J’ai commencé tard et, il y a sûrement de ça, vouloir rattraper le temps perdu. Écrire un livre, c’est un marathon très long. C’est un effort de chaque seconde. Lorsque je démarre un nouveau roman, je minute tout. Chaque quart d’heure grappillé va compter parce que je sais que je peux mettre 10 ans à écrire un seul livre. Donc, si je veux mettre seulement un an, en prenant en compte la vie de famille, c’est une course contre la montre quotidienne. Un combat contre le temps permanent.

« J’affirme qu’il n’y a aucune différence entre Proust ou Musso »

Récemment, il y a eu un article dans Le Figaro « Musso ou Levy : Qui est le plus le nul ? ». Comment avez-vous réagi face à et article ?

Ce n’est pas nouveau, c’est assez classique. Mais nous sommes tous passés par là. Pour ma part, je suis passé à la moulinette du Masque et de la Plume. Nous avons un système assez particulier en France, un petit entre-soi de journalistes critiques littéraire, presque tous écrivains par ailleurs, et qui essaient d’exister en tant qu’auteur. Souvent, en raflant des prix d’entre-soi puisque ce sont des prix délivrés par les mêmes journalistes-écrivains. Ils se proclament les gardiens d’une littérature. Il y a une hiérarchie des goûts assez ridicules. […] Si on prend Guillaume Musso, cela fait 13 ans qu’il est le plus gros vendeurs de livres en France. C’est du jamais vu. C’est peut-être même le plus gros vendeur de livres de tous les temps dans la littérature française.

Image : À gauche, Marc Levy, à droite, Guillaume Musso. Deux auteurs français les plus lus et vendus à travers le monde.

Une grande partie de la critique le méprise. On devrait plutôt étudier son succès et la manière dont il parvient à rester tout en haut. Ce qui m’agace encore plus, c’est la compassion affectée d’u nombre de commentateurs qui vont dire « C’est très méchant car ces auteurs savent bien qu’ils ne font pas de la grande littérature. Ce sont des auteurs populaires, fait pour divertir les gens dans les gares, etc… ». Je déteste ça parce que ce sont des gens, de façon bien pensante, qui considère qu’il y aurait plusieurs littératures. C’est un mépris pour les lecteurs. Je fais beaucoup de salons et j’affirme qu’il n’y a aucune différence entre Proust ou Musso. Les émotions qu’on procure aux gens, je l’assume complètement. Je refuse cette auto-flagélation où l’on devrait avouer que nous faisons de la sous-littérature pour un public de gare. On parlait de littérature pour la jeunesse, je considère que Tolkien et J.K Rowling sont des génies. Nous aurions dû leur donner le prix NOBEL de la Littérature depuis bien longtemps.

« C’est en lisant Salem de Stephen King que j’ai eu l’idée de L’Île Prisonnière »

Le 13 février a débuté « L’Île Prisonnière » sur France 2. C’est la première fois que vous écrivez pour la télévision. D’où est née l’idée de cette histoire ? Et comment avez-vous appréhendé ce nouvel exercice ?

C’est un pur concept. Ça rejoint des films comme Piège de Cristal. Nous sommes dans une prise d’otages. Il y a cette idée de seul contre tous. Puis, des séries comme Le Prisonnier, V, ou plus récemment La Casa de Papel. En littérature, c’est Stephen King avec Salem qui a été le premier à développer une histoire d’un village attaqué (ici par des morts-vivants). C’est en lisant Salem que j’ai eu l’idée de L’Île Prisonnière. Je l’ai porté longtemps et vendre un concept d’une île prise en otage par des terroristes à une chaîne pour un prime time, c’était pas le plus facile (rire). Quand je proposais mon scénario, je sentais des réticences. Ils préfèrent souvent les histoires policières classiques. Finalement, France 2 a eu le courage de dire oui. C’est une proposition différente. Les gens semblent adhérer et je suis très heureux.

[…] J’ai travaillé avec un co-scénariste, Christian Clères. C’est un travail d’équipe, nous devons écrire assez vite, les choses changent beaucoup aussi pour des raisons de production, de financement, de technique et de temps. Un scénario qui a énormément bougé. Et par moment, du découragement. Puis, lorsque le tournage débute, c’est assez magique.

Il y une vingtaine de protagonistes dans la série, comment parvient-on à l’écriture à leur laisser un espace et un temps de parole équitable ?

Faut rendre hommage à Christian. J’avais le point de départ, la plupart des fugitifs, quelques découpages mais j’étais loin d’avoir la galerie de personnages et tous les terroristes au début du projet. C’est vraiment lui qui a amené ça, avec beaucoup de finesse. Ensuite, c’est de la pure écriture télévisuelle. Bien loin de ce que j’écris dans mes romans. Avec L’Île Prisonnière, il y a un dizaine de personnages principaux et, chacun doit avoir sa sous-intrigue personnelle, sa quête, son point de départ et ses faiblesses. Les chaînes insistent là-dessus : permettre rapidement aux téléspectateurs de pouvoir s’identifier aux personnages. Ce n’est pas toujours évident, surtout pour une série d’action.

Nous avons bataillé sur cet aspect-là, car nous ne voulions pas passer un quart d’heure pour parler de la vie de chaque personnage. Nous voulions aussi que les spectateurs devinent qui ils sont sans leur mâcher tout le travail.

[…] Le principe de terminer chaque épisode sur un personnage fait partie du concept de la série. C’est conceptuel. C’est comme dans Columbo, il y a la même structure. On commence par un personnage, on termine par un autre. Quand on devine la mécanique, on sait que le dernier personnage se fera capturer pour laisser place au suivant. J’aime cette construction.

Si vous voulez connaître quel nouveau roman de Michel Bussi sera adapté à l’écran, c’est par ici.

Les épisodes 3 et 4 seront diffusés ce 20 février sur France 2.

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