Thierry Godard fait partie des vétérans de la télévision. À 56 ans, l’acteur peut déjà s’enorgueillir d’avoir interprété deux rôles qui ont marqué la télévision française : le Lieutenant Gilles Escoffier dans Engrenages et celui de Raymond Schwartz dans Un Village Français. Deux séries qui ont traversé les frontières et lui ont aussi ouvert les portes de productions étrangères telles que Bastille Day avec Idris Elba ou la mini-série espagnole The Head.
Depuis 2021, Thierry Godard enchaîne de nouveau les gros succès télévisuels : Germinal, Oussekine ou encore Cœurs Noirs, actuellement sur Prime Video. La série créée par Ziad Doueri bat des records au point d’être la série la plus visionnée à ce jour, détrônant la série américaine The Last of Us, également diffusée sur la plateforme.
Pour la sortie du téléfilm Fille de Paysan, où il incarne Joël Pecourneau, un agriculteur en détresse financière, Thierry Godard revient pour nous sur sa carrière télévisuelle. D’Engrenages à Germinal, en passant par Un Village Français, Les Dames ou encore Cœurs Noirs, le comédien évoque ses débuts à la télévision et se confie sur ses rôles cultes, ses plus grands tournages et ses succès récents.
Vous avez passé un diplôme d’ébéniste. Qu’est-ce qui vous a emmené vers le théâtre ?
Cela s’est fait quasiment en même temps. Lors de ma seconde année de menuiserie, j’ai eu une d’une discussion avec un copain qui, lui, avait envie de se confronter au fait d’être comédien. Moi, ça ne m’était jamais venu à l’esprit. Lorsqu’on prend une voie professionnelle, on est souvent écarté de ce qui était français, littérature, et j’ai senti que j’avais un besoin de littérature. Les deux se sont fait en même temps. Nous avons lu beaucoup d’œuvres ensuite à la bibliothèque de notre lycée. Ensuite, ça ne m’a jamais quitté. C’est dingue de se dire que tout a démarré avec une simple discussion et qu’elle peut changer le cours de votre vie. J’ai continué de faire de la menuiserie, même après être monté sur Paris pour suivre des cours de théâtre. Et ça m’a bien servi.
« Le cinéma, comme la télévision, a aussi un rôle social »
De quelle manière choisissez-vous vos rôles ? Qu’est-ce qui vous touche chez un personnage ?
Je dis oui à un personnage lorsque je sens que je suis capable de le faire, que je vais être confronté à quelque chose qui va me faire avancer, me faire aller dans des zones où je n’ai jamais été. Il est vrai qu’après cela devient compliqué car au début on découvre tout et, plus ça avance, plus on se rend compte qu’on nous propose des personnages qu’on a déjà un peu joué. On devient avec le temps, plus ambitieux pour soi-même et plus exigeant. J’ai aujourd’hui la chance de pouvoir choisir mais quand vous débutez, ce n’est pas forcément le cas. Quand on a le choix, c’est presque un devoir de ne pas aller vers des rôles de confort.
Lorsque je jouais Gilou, on s’enferme dans un rôle et dans une seule série. Les gens vous voient alors que comme un flic. Dans cette période, j’interprétais un autre rôle de policier, le Commissaire Martin dans Les Dames. Mais pour répondre à votre question, c’est davantage par bonheur de jouer, par joie d’aller vers d’autres horizons et défendre des causes comme dans Fille de Paysan parce qu’on va se confronter à des choses qui nous touchent. Le cinéma, comme la télévision, a aussi un rôle social.
« Si ma carrière s’arrêtait là, je n’aurais pas de regret parce que j’aurais participé, à ma façon, à cette aventure audiovisuelle »
À la télévision, deux rôles cultes ont marqué votre parcours télévisuel à ce jour : celui de Gilles dans Engrenages et de Raymond Schwartz dans Un Village Français. Peut-être même un troisième avec le rôle du Commissaire Martin dans Les Dames. Que retenez-vous de ces différentes expériences et que vous ont-elles apporté ?
Déjà de pouvoir poursuivre ma carrière (rire). Gilou et Raymond sont tellement différents que, ça m’a ouvert des portes. On en revient à ce qu’on disait à l’instant sur le fait d’incarner un seul type de rôle. Parfois, on ne va vous voir que dans le rôle d’un flic et, pour certains, cela veut dire que vous ne savez jouer que ça.
Ce sont des personnages auxquels on repense avec énormément de tendresse. Ils ont accompagné 15 ans de ma vie et ce sont des personnages que j’adore. Quand ça s’est arrêté, je n’ai pas trop réalisé. Avec le recul, je m’aperçois que c’était de très beaux moments de vie. Je discutais l’autre jour avec un producteur américain et, pour lui, Un Village Français est une de ses séries préférées. Nous avons de la chance de vivre ça. Nous n’avons jamais conscience d’avoir marqué la vie des gens. En tout cas, nous sommes touchés quand les gens nous abordent et que nous voyons dans leur regard l’amour qu’ils ont eu pour ces héros-là.
Je suis d’autant plus touché que je suis pareil. Je regarde beaucoup de séries. Lorsque nous avons été aux Emmy Awards pour Engrenages, j’avais vu un acteur d’une série que je regardais à ce moment-là et j’étais comme un fou ! J’étais impressionné. Nous passons pas mal de temps avec les acteurs d’une série. Donc, je comprends ce que ça fait. C’est un phénomène normal. Nous sommes touchés par des personnages qui nous ont émus. Je suis très fier. Si ma carrière s’arrêtait là, je n’aurais pas de regret parce que j’aurais participé, à ma façon, à cette aventure audiovisuelle. C’est une aventure toute neuve. La télé à moins de 100 ans, nous sommes au début de la télévision. Avoir contribué un peu à ça, et quand je me revois gamin dans la cours d’école, je me dis que c’est super, qu’un petit bout de chemin a été fait.
Germinal n’a pas été le tournage le plus difficile mais certainement le plus émouvant »
Vous avez joué dans l’excellente mini-série Germinal de David Hourrègue. De quelle façon se glisse-t-on dans la peau d’un mineur du 19ème siècle ?
Un côté de ma famille était paysan et l’autre était mineur dans le Nord. Un de mes arrières-grands oncles s’appelait Jean Barr, le nom d’une mine dans Germinal. Je ne dis pas que ça m’a aidé mais quand je vous disais que j’ai découvert la littérature à l’école de menuiserie, Zola fut un des auteurs qui m’a marqué. C’est un écrivain qui m’a bouleversé humainement et artistiquement. De pouvoir incarner un de ses personnages, c’était un rêve. Quand David Hourrègue m’a proposé le rôle, je ne pouvais pas refuser. Il y a des rôles que vous ne pouvez pas refuser, jamais ! […] Ensuite, nous étions encadrés par d’anciens mineurs ou de fils de mineurs. Nous ne pouvions pas tricher devant eux. Assez vite, nous savons si nous sommes sur la bonne voie ou non.
Généralement, ce sont des univers où je me sens bien parce que, et sans vouloir être démago, je me sens proche de ces gens-là. Sur ce type de tournage, il faut être rigoureux.
Etait-ce votre tournage le plus difficile à ce jour ?
Nous étions en plein Covid et il faisait extrêmement froid. Mais lorsque vous voulez parlez de la vie d’un mineur, il est normal de vivre un peu ce qu’ils ont vécu. Tourner la nuit, dans le froid, être sale toute la journée, bien que pour nous, il s’agissait de maquillage. Nous n’allons pas au fond de la mine puisque ce sont des décors qui sont reconstruits. Donc non, ce n’était pas le tournage le plus difficile mais certainement le plus émouvant. Je me souviens des derniers mots de David à la fin du tournage. C’était fort, puissant.
« Sur The Head, la plus grande difficulté était le tournage en anglais »
Actuellement vous êtes à l’affiche de deux séries dont The Head, mini-série espagnole au casting international. Comment vous êtes-vous retrouvé à la distribution ?
Les réalisateurs sont très fans d’Engrenages. Canal +, qui diffuse The Head, m’a proposé au casting. Ils ont vu mon nom. Nous avons fait un zoom ensemble et nous avons discuté du personnage. Ils m’ont rappelé quelques jours plus tard pour savoir si nous pouvions collaborer ensemble. J’avais vu la première saison, que j’ai trouvée incroyable, avec Richard Samuel qui était dans Un Village Français. La saison une est d’une qualité incroyable. Je n’ai donc pas refuser le rôle. Puis, de pouvoir travailler avec des acteurs comme John Linch, qui est un acteur magnifique. Se mettre en danger et dans une langue étrangère était aussi un bon challenge. J’adore l’anglais. J’adore jouer en anglais. Je suis de la génération perdue en anglais (rire). J’aime la façon dont les anglais travaillent. J’espère continuer. Nous avons la chance avec les plateformes de pouvoir aller sur des castings internationaux. Nous pouvons nous confronter à d’autres visions de réalisateurs et d’acteurs. Mais c’est vrai que c’est parfois difficile de se retrouver seul avec deux Suédois, un Japonais, un Irlandais, un Ecossais, deux Espagnols, et j’en passe, surtout au petit-déjeuner, c’est compliqué (rire). Mais c’est une aventure extraordinaire.
Engrenages a eu un impact énorme sur votre carrière…
Oui. J’avais même joué dans un blockbuster américain, Bastille Day, car le réalisateur avait vu Engrenages dans un hôtel aux États-Unis. Il a appelé mon agent en France pour me rencontrer. […] C’était dingue parce qu’Idris Elba, la star du film, et Richard Madden, m’avaient tous les deux fait travailler les essais pour un autre film américain : Monuments Men de George Clooney. J’avais fait une tape à distance et que j’ai envoyé au casting. Ils m’ont rappelé en me disant que George Clooney avait adoré mes essais et qu’il voulait me revoir pour un autre personnage. Puis, ça s’est perdu. C’est dommage parce qu’il y avait eu une bonne accroche. Jean Dujardin a ensuite eu le rôle principal.
Jean Dujardin venait d’avoir l’Oscar et son amitié avec George Clooney démarrait…
C’était pas le bon timing pour moi, en effet (rire).
The Head est un thriller en huis clos sur un cargo. Où avez-vous tourné la série ?
Nous avons tourné dans les Îles Canaries, à Santa Cruz, sur un énorme bateau qui était à quai la plupart du temps. D’autant que les moteurs sont en route en permanence, car trop compliqués à rallumer, donc nous avions le bruit des machines qui était assez infernal lorsqu’on jouait dans la salle des machines. C’est vrai que c’est intéressant pour nous d’être immergés dans des conditions et des décors réels, ça nous aide. Malheureusement, ce n’est pas toujours possible. Nous partions en mer, parfois, pour quelques scènes. D’autres séquences ont été tournées dans des grands entrepôts à Madrid.
Y’a-t-il eu d’autres complications sur ce tournage ?
La plus grande difficulté, c’était vraiment le tournage en anglais. J’étais un peu paumé au début. Il faut trouver ses marques, je connaissais personne, etc. J’avais également une interprète avec moi mais, à un moment, vous avez envie de comprendre par vous-même. La première difficulté c’était ça et d’obtenir une complicité avec les réalisateurs. C’est compliqué quand vous n’avez pas la langue. On a peur de passer à côté des choses.
« Je suis tombé sur des gens, qui aiment profondément la série »
Avant de parler de votre nouveau téléfilm, pouvez-vous nous donner votre ressenti sur les succès énormes qu’ont été Oussekine sur Disney + et sur Cœurs Noirs, actuellement en diffusion sur Prime Video ?
Nous avons une générations de talents qui émergent et dont fait partie Antoine Chevrollier (Oussekine) et David Hourrègue (Germinal), qui ne font pas de la série comme on faisait de la télévision il y a 20 ans. Mais c’était pareil sur Engrenages et Un Village Français. Je suis tombé sur des gens, qui aiment profondément la série. Ils font ça avec beaucoup d’exigences et ne laissent rien au hasard. Pour Oussekine, nous nous sommes vus en amont pour les costumes, peaufiner les dialogues, etc. Tout est léché, soigné. Si Ziad Doueri (Cœurs Noirs) est un peu plus ancien, c’est pourtant une machine de guerre. Il travaille énormément, et se mêle à cela une grande humanité, de générosité. C’est une personne qui a tout : l’exigence, la gentillesse, la passion.
Je vois que ces séries touchent tout le monde. Après il y a des mystères. Nous pouvons faire des productions très ambitieuses et qui ne fonctionnent pas. Mais lorsque Ziad me montrait en fin de journée les rushs de ce que nous avions tourné, je sentais que c’était un travail d’orfèvre. En France, nous n’avons pas encore une de grosses productions militaires. Sur Oussekine, on savait aussi que nous faisions quelque chose de très bien. Vous savez, nous le ressentons sur le plateau quand nous nous dirigeons vers un travail professionnel.
« J’ai une empathie naturelle pour mes personnages »
Vous serez prochainement dans le téléfilm Fille de Paysan de Julie Manoukian. Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter le rôle de Joël Pecourneau, cet agriculteur qui doit faire face à une détresse financière ?
On ne peut pas refuser ça. Nous sommes obligés d’aller défendre des causes comme celles-ci. Elles sont importantes, d’autant plus quand on voit le nombre de personnes qui se suicident dans ce milieu-là. Il y a une grande souffrance. Puis, cette jeune fille qui se bat pour ses parents, je trouvais ça beau, touchant, fort.
J’aime aussi beaucoup la réalisatrice Julie Manoukian et ma partenaire de jeu, Carole Bianic. Elle a quelque chose de très humain, très simple. Sur le plateau c’était ça, simple. Le tournage s’est fait sincèrement. À l’arrivée, je trouve que c’est un bel objet. Il faut dénoncer et l’ubuesque de la situation.
Les acteurs se doivent d’aller dans des directions comme ça. C’est important, en tant qu’artiste. Je suis pas très actif, je ne suis pas dans des associations, parce que je travaille beaucoup et j’ai même parfois du mal à être avec ma propre famille, bien que je sois le parrain d’une association (Syndrome Kabuki) . Aller sur des projets qui sont profonds, c’est notre devoir.
Il s’agit d’une histoire vraie. Comment avez-vous travaillé ce rôle pour être au plus près des sentiments et de la détresse vécue par Joël ?
Tout est dans le texte. C’est parfaitement écrit. Ensuite, j’ai une empathie naturelle pour mes personnages. Facilement, je vois ce qui m’émeut chez un personnage, une situation. Si je ne suis pas ému, je ne le fais pas parce que je sais que je n’arriverai pas à le jouer. Je n’ai même pu eu besoin de rencontrer la famille Pecourneau. J’ai besoin de vivre les choses par moi-même, sincèrement, et de voir ce que je vais pouvoir apporter à cette histoire. Ce n’est pas forcément en pleurant d’ailleurs, ça peut être en étant dans un vide intérieure. Il y a une scène où Joël va défendre son dossier auprès de la banque, il n’arrive pas en pleurant. Il est simplement abattu. Je découvrais la situation en même temps qu’on le tournait.
Synopsis – Fille de Paysan :
Joël et Murielle Pécourneau, leurs deux filles, Émilie, 15 ans, et sa petite sœur Lola, forment une famille d’agriculteurs unie, malgré les dettes qui s’accumulent pour sauver leur exploitation. Jusqu’au jour où, en voulant dépanner une voisine, ils reçoivent une amende conséquente, pour vente « illicite » d’un poulet à 10 euros… Cette nouvelle met la famille Pécourneau encore davantage sous pression. Comme ultime recours pour lever l’amende, ils se lancent véritablement dans l’élevage de volailles, contractant un nouvel emprunt à la banque. Mais une nouvelle réglementation européenne coupe net leurs espoirs et les place à nouveau dans une extrême difficulté.
Alors que la vie de son père est en suspens et que l’avenir de la ferme est grandement menacé, Émilie décide de médiatiser son histoire, mobilisant autant de monde que possible autour de la cause de ses parents.
Émilie, fille de paysan, réussira-t-elle à sauver sa famille ?
Fille de Paysan, le 1er mars sur France 2.