À l’occasion de la sortie du nouveau film de Quentin Reynaud au cinéma, le réalisateur revient sur la conception d’En plein feu, les difficultés de tournage et se confie sur sa troisième collaboration avec l’acteur Alex Lutz.
Comment est né ce projet de film catastrophe ?
Le projet est né de deux intentions : développer un sujet autour des thèmes familiaux, comme c’était le cas avec mon précédent film « 5ème set », je mettais en scène un rapport mère/fils. Dans En plein feu, il y avait l’envie de travailler une relation père/fils et le rapport de filiation avec le petit-fils et son grand-père. J’aime travailler ces histoires au milieu de contexte, avec une toile de fond à l’image des tragédies grecques. Puis, j’avais été extrêmement marqué par les incendies de 2018 en Californie, les incendies de Camp Fire dans lequel des familles entières avaient été bloquées pendant de nombreuses heures dans des embouteillages, alors qu’ils essayaient de fuir le drame. En regroupant ces deux sujets, j’avais à la fois le fond de mon sujet et le cœur, qui est le rapport d’un père avec ses enfants et à son propre père, lesquels se retrouvent coincés dans les flammes et à devoir affronter leurs problèmes personnels.
« Nous avons tourné dans des studios à Angoulême, celui où Wes Anderson avait réalisé son dernier film The French Dispatch ».
Où le film a-t-il été tourné ?
Nous avons tourné le film dans le Sud-Ouest. Pour les décors réels, nous sommes allés dans le sud de la Gironde, à l’endroit même où les incendies ont eu lieu l’année dernière et notamment sur certains décors qui ont réellement brûlés. Sachant que nous avons tourné en 2021. Pour les séquences avec les incendies, nous avons tourné dans des studios à Angoulême, celui où Wes Anderson avait réalisé The French Dispatch. Nous avons recréé 70 mètres de route, pour pouvoir maîtriser à 100% les opacités de lumière et le feu.
Avez-vous reçu de l’aide de professionnels pour la véracité et la crédibilité des faits ?
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Nous avons été assisté par des pompiers, qui ont été consultants sur le projet dont Eric Brocardier, responsable national de la communication des Sapeurs-Pompiers de France. Ils nous ont guidé pour le développement du feu et l’itinéraire d’évacuation. Mais le film ne s’appuie pas sur un récit de pompier, le film dépasse rapidement ce principe-là. Surtout dans la seconde partie, où même les pompiers ne réagissent plus du tout pareil. Ce que je raconte, c’est un monde qui se détraque. Et à l’intérieur de ce monde, chacun réagit différemment. […] D’ailleurs, cette seconde moitié, je l’ai voulue onirique. Le film démarre sur quelque chose de très réaliste, où l’on suit un itinéraire puis, dès que les protagonistes se retrouvent piégés entre les flammes, on bascule dans une zone de limbes où Alex Lutz marche dans la forêt et où il perd toute notion de réalité, revoit les fantômes de son passé.
Image : Quentin Reynaud dirige un embouteillage enflammé.
Crédit photo : Apollo Films
Il faut accepter de vivre ce voyage avec lui. J’essaie de pousser la réflexion, d’emmener le spectateur vers un schéma et un film plus organique, qui va être de l’ordre du ressenti. […] La deuxième problématique du film, elle est par rapport au réchauffement climatique. Nous investissons des territoires qui ne sont pas à nous, qui ne nous appartiennent et, en se les appropriant, nous arrivons dans des endroits où la population se met en risque simplement par le fait d’habiter là.
« Faire un film catastrophe avec un budget aussi restreint ça implique une grosse organisation et une efficacité maximale »
D’un point de vue technique pour les scènes où André Dussolier et Alex Lutz sont pris au piège dans les flammes, comment ont-elles été réalisées ?
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Elles ont donc été réalisées en studio afin de pouvoir gérer de manière optimale les opacités de la fumée. La forêt a été reconstituée. Nous avons utilisé une trentaine de pins, destinés qui ont été amenés et accrochés à la structure du studio, ainsi que la végétation. Autour de nous, des pompiers pour assurer la sécurité et des responsables des effets visuels qui géraient eux, les flammes à différents endroits du tournage. […] La difficulté principale du tournage, mais qui permet peut-être une meilleure créativité, c’est que c’est un film a petit budget (environ 4 millions d’euros) par rapport aux ambitions visuelles. Et faire un film catastrophe avec un budget aussi restreint ça implique une grosse organisation et une efficacité maximale. Ça dirige toute votre mise en scène. J’allais donc faire du hors-champs, ce que je trouve le plus intéressant pour jouer de la présence du feu sans avoir besoin de la montrer, faire monter la menace en la suggérant plutôt qu’en l’exposant.
Image : Quentin Reynaud et son équipe, en plein feu !
Crédit photo : Apollo Films
C’était la complexité de ce tournage, gérer la gestion du feu, des cendres, des conditions climatiques et des voitures avec un budget qui sert normalement à réaliser des longs-métrages dans des appartements à Paris.
« Faire des films en immersion, c’est avant tout faire confiance à ses comédiens »
De quelle manière avez-vous travaillé l’immersion du film, afin que le spectateur puisse ressentir au mieux l’enfer que vivent les personnages ?
Je pense que c’est assez secondaire. Moi je suis resté sur mon idée de personnages. Je pense que si on s’attache à eux, qu’il y a une proximité entre le public et les personnages, proximité physique et narrative, je pense que le public va automatiquement s’attacher à eux et se projeter sur eux. L’immersion se fera relativement naturellement. C’est pour cela qu’il faut avoir des comédiens assez costauds, qui suscitent l’empathie, même si nous sommes dans une économie de mots. Car en réalité, les personnages ne parlent beaucoup. Ils sont taiseux. Mais il faut qu’ on ait une affection à leur égard pour que l’on vive cette aventure au plus près et qu’on puisse se l’approprier. Faire des films en immersion, c’est avant tout faire confiance à ses comédiens.
À cette histoire, vous avez greffé une histoire familiale intime. Pouvez-vous en dire davantage sur celle-ci ?
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C’est l’histoire d’un deuil, celle d’un père qui a perdu son enfant. Le feu, c’est la métaphore du feu intérieur, qui le brûle, le dévore et l’empêche de vivre. Ce film c’est la manière dont ce père va se remettre à vivre par le feu. Il y alors toute l’imagerie du phœnix, de comment renaître par le feu et l’eau, qui sont très organiques, très élémentaires et qui apparaissent dans le film. C’était à la fois nécessaire pour faire avancer mon personnage mais que je voulais délicat, par petites touches. […] Les histoires intimes, familiales, touchent à l’universel. En racontant une petite histoire, nous pouvons toucher un maximum de gens.
Image : Quentin Reynaud et Alex Lutz, un duo gagnant ?
Crédit photo : Apollo Films
C’est votre troisième collaboration avec Alex Lutz. Peut-on dire que le comédien est votre muse ?
On peut le dire. Nous avons une très bonne relation de travail. Je lui fais une confiance aveugle et il me la rend. J’aime aussi qu’il ait un œil avisé de réalisateur. Il est peu interventionniste mais lorsqu’il le fait, c’est toujours pour le bien son personnage et du film. C’est jouissif de pouvoir écouter des personnes comme lui, avec de telles compétences. C’est une histoire en cours. Nous construisons quelque chose ensemble. En tout cas, j’aime cette idée-là, de construire une troupe, que ce soit avec des comédiens ou les équipes techniques. C’est rassurant aussi parce qu’il y a quelque chose auquel on peut s’accrocher alors que par définition, le cinéma est évanescent, glissant, ondulatoire. J’aime avoir ses appuis, ses repères. Je pense que c’est pareil pour Alex.
En plein feu sortira le 8 mars prochain au cinéma.