SUR LES CHEMINS NOIRS : JEAN DUJARDIN ET DENIS IMBERT SUR LES ROUTES DE FRANCE (AVIS + INTERVIEW AVEC LE RÉALISATEUR)

Un accident peut bouleverser votre vie à jamais. C’est ce qui est arrivé à l’écrivain Sylvain Tesson, une nuit d’août 2014. Après une chute de dix mètres en escaladant la façade d’une maison à Chamonix, alors qu’il séjournait chez un ami, Sylvain Tesson se retrouve entre la vie et la mort, victime d’un sévère traumatisme crânien et de multiples fractures. De là, et suite à une longue rééducation, il décide de traverser la France à pied. En découlera le livre « Sur les chemins noirs », adapté aujourd’hui au cinéma par le réalisateur Denis Imbert avec Jean Dujardin dans le rôle-titre.

Synopsis :
Un soir d’ivresse, Pierre, écrivain explorateur, fait une chute de plusieurs étages. Cet accident le plonge dans un coma profond. Sur son lit d’hôpital, revenu à la vie, il se fait la promesse de traverser la France à pied du Mercantour au Cotentin. Un voyage unique et hors du temps à la rencontre de l’hyper-ruralité, de la beauté de la France et de la renaissance de soi.

« Il m’aura fallu courir le monde et tomber d’un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j’ignorais les replis, d’un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides. La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs. Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre » – Sylvain Tesson, extrait du livre « Sur les chemins noirs ».

Marcher vers une nouvelle vie

La France regorge de paysages extraordinaires, dont on soupçonne à peine l’existence. Plus qu’une odyssée introspective sur la vie d’un auteur brisé, Sur Les Chemins Noirs est une invitation au voyage. Si Denis Imbert ne « souhaitait pas réaliser un long-métrage contemplatif, ni même lui donner un côté carte postale » le film n’en reste pas moins une incitation à l’exploration, au pèlerinage, un appel à l’exil, un droit à l’errance. Car pour se retrouver soi-même, il faut parfois partir, se perdre, et affronter de nouvelles forces physiques. Par la manière de mettre en scène ses paysages, avec une caméra qui capte ces espaces et ces environnements comme un documentaire, Denis Imbert nous immerge dans cette randonnée extrême, bien au-delà d’un simple récit de voyage. C’est une véritable aventure, émotionnellement authentique et physiquement éprouvante pour ce héros de cinéma, mais aussi pour le spectateur, qui subit au même rythme cette progression ardue au travers les coins les plus reculés de France.

Sur Les Chemins Noirs confronte à une nature sauvage, complexe, mais tellement belle. À l’image, elle existe, elle vit, elle converse : « Je voulais que la nature agisse comme un personnage. Quand j’ai demandé à Sylvain de me résumer le livre, il m’a dit : « c’est la conversation d’un visage avec un paysage ». Une plongée fusionnelle, presque érotique entre les petits villages, les vallées, les collines, les forêts et l’écrivain, qu’il l’interroge. Il se ressource certes, mais il constate aussi. Face à lui se dessine des pans entiers de vies oubliées. En effet, Pierre (Jean Dujardin) constate une réelle fracture entre la ville et la campagne profonde.

Le film n’hésite pas à montrer des lieux délaissés par les politiques, des villages où les artisans, les boutiques ou encore les médecins ont été forcés d’abandonner leurs commerces, provoquant ainsi un manque d’attraction menant notamment à la désertification médicale : « C’était l’inquiétude de Sylvain Tesson qui avait l’impression que j’étais moins dans l’hyper-ruralité, que j’avais supprimé l’aspect politique du livre qui est post-gilet jaune. Quand il a vu le film, il a été rassuré. C’était essentiel pour moi de montrer ces territoires non-connectés ».

« Il y avait encore une géographie de traverse pour peu qu’on lise les cartes, que l’on accepte le détour et force les passages. Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie » Sylvain Tesson, extrait du livre « Sur les chemins noirs ».

Pour accompagner toutes ces observations, réalisées sur 1300km, Denis Imbert a adopté une narration en voix-off, avec extraits du livre de Sylvain Tesson et lue par Jean Dujardin. Un moyen de baigner davantage le spectateur dans ce récit autobiographique, dans les réflexions de l’auteur, dans ses pensées intimes, dans son parcours intellectuel et émotionnel mais également ses enjeux. Des extraits qui ne sont jamais choisis au hasard et qui accompagnent toujours un questionnement ou un raisonnement face à une image, un paysage ou suite à une rencontre : « Mon travail à l’écriture était de chercher les endroits qui seraient accompagnés par ces voix-off et qui avaient pu inspirer cette écriture à l’auteur. C’était comme un puzzle, où je mettais ce texte en image dans les régions qu’il avait traversé ».

Sur Les Chemins Noirs est un film qui éveille les consciences, mûrît des réflexions, nous ramène à notre propre existence. Sur le tournage, des traces impérissables subsisteront. Un tournage éreintant pour le réalisateur qui, à son tour, a vu sa vision des choses changée : « Cette aventure m’a changé. Aujourd’hui, je redessine ma carte de France. Elle n’a plus le même visage, le même contour, c’est une France que je ne connaissais pas. Pourtant, je marche souvent. Mais je n’avais jamais été dans des endroits aussi reculés et je ne soupçonnais pas que la France avait de telles ressources ».

Jean Dujardin, sublime et tragique

Le visage balafré, Jean Dujardin campe le rôle de Sylvain Tesson, renommé Pierre pour les besoins du film. Pour ce nouveau rôle dramatique au cinéma, l’acteur oscarisé impressionne. Ce dernier se glisse dans la peau de Sylvain Tesson sans caricature et ne cherche ni à copier la personnalité de Sylvain Tesson, ni à devenir l’écrivain. Car le film n’est pas un biopic, mais la retranscription factuelle d’une tranche de vie. Dès lors, qu’importe le nom du personnage ou les ellipses temporelles, Sur Les Chemins Noirs est avant tout une œuvre de recueillement. Jean Dujardin reste donc dans un rôle d’interprétation, entre sincérité et émotions pures : « C’est du lâcher prise. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’il joue mais qu’il aille chercher les choses à l’intérieur de lui. Il fallait qu’il trouve son propre personnage ».

Ainsi, Jean Dujardin compose avec ses propres émotions, ses propres frustrations, ses propres colères intérieures, puise dans un savoir-faire dont il a le secret, aidé souvent par une nature capricieuse et des seconds rôles enrichissants et tendres. Ici, il dévoile un personnage touchant, où sa rédemption, sa quête introspective, se transforment tantôt en une énergie sublime, tantôt en une force tragique qui émeut.

Sur Les Chemins Noirs, le 22 mars au cinéma.

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