Le 29 mars, Romain Quirot présentera sa nouvelle réalisation : Apaches. Deux ans après Le Dernier Voyage – film de science-fiction ambitieux qui avait bousculé le cinéma français par son audace artistique et visuelle -Romain Quirot n’en finit pas de nous surprendre. Avec Apaches, il propose un film de gang à La Belle Époque somptueux, intense et terriblement sexy.
Pour la sortie du film au cinéma, Romain Quirot revient sur cette nouvelle aventure incroyable, révèle ses hommages au cinéma français, se confie sur son amour pour Georges Méliès et sur la fabrication de scènes du film particulièrement étonnantes ainsi que la reconstitution d’un Paris oublié.
« Je voulais un film libre, radical dans le paysage cinématographique français, pour rester dans l’énergie du Dernier Voyage ».
Comment est né le projet Apaches ?
Ma productrice Fannie Pailloux, dont la société s’appelle d’ailleurs Apaches, m’a parlé de ces gangs qui faisaient régner la terreur à Paris. L’idée m’a beaucoup plu. J’étais séduit par ce nouveau challenge, ce nouvel univers à explorer. Très vite, j’ai eu envie de réaliser un film libre, radical dans le paysage cinématographique français, pour rester dans l’énergie du Dernier Voyage. Je n’avais pas envie de m’assagir.
J’aimais l’idée de commencer le film avec l’enfance parce que je suis fou amoureux de « Il était une fois l’Amérique ». Peu à peu s’est imposée l’idée de Billie, une jeune femme qui intègre un gang pour se venger ; des années après la mort de son frère. Néanmoins, je voulais éviter le cliché du revenge movie où la femme est faible initialialement et ne devient forte qu’après un traumatisme. Dès l’enfance, Billie refuse de subir et veut s’extirper à tous prix de sa condition. Elle est fascinée par ces Apaches qui mènent la vie dont elle rêvait… Sa soif de vengeance va entrer en conflit avec sa fascination pour ce gang. Au point de vouloir devenir une Apache. C’est tout le dilemme du film.
Seulement deux ans ont séparé les deux films alors que certains réalisateurs mettent plusieurs années entre leur premier et second long-métrage. Est-ce que le succès de votre précèdent film a accéléré la production d’Apaches ?
J’ai eu de la chance. Il est vrai que le succès du Dernier Voyage a été inattendu et a facilité les choses puisque beaucoup de gens ont voulu ensuite travailler avec nous. Mais ironiquement, lorsqu’ils ont vu le sujet d’Apaches, ils nous ont demandé si nous ne souhaitions pas faire un truc plus simple (rire). Un film d’époque, c’est déjà très cher, mais rajouter à cela une histoire de vengeance à la violence décomplexée… ça n’aide pas ! Mais nous, nous voulions mettre notre grain de sel, bousculer les codes, nous amuser et secouer un peule film historique français. Ça a donc été une nouvelle aventure très Rock’n’roll, avec des rebondissements, des coups de théâtre et des galères dans tous les sens. Quand vous voulez faire des choses atypiques en France et non-formatées, vous êtes obligés d’enfoncer des portes.
Le Dernier Voyage était un cri d’amour au cinéma américain, à la science-fiction. Apaches, lui, est un hommage au cinéma français. On y croise Sarah Bernhardt (Rossy de Palma), Georges Méliès est projeté au cinéma et vous réalisez des séquences hommages au cinéma muet.
C’est un film qui est nourri et qui va forcément glaner son amour pour tous ces gens-là et ces films-là. Le cinéma de Méliès m’a toujours bouleversé. Il a quand même inventé la science-fiction au cinéma. J’avais envie de lui faire un clin d’œil. Je trouve cette époque fascinante. Nous avons en France une histoire et une pop-culture hyper-intéressante que j’ai envie d’explorer.
Image : Rossy de Palma incarnera la célèbre comédienne Sarah Berhardt.
Crédit photo : Instagram – Rossy de Palma
« Aujourd’hui, en France, faire un film dans l’espace ou sur la Lune, c’est inenvisageable »
Dans Le Dernier Voyage, il y a une scène dans un cinéma. Elle a une signification bien précise et une symbolique forte. On retrouve dans Apaches une autre séquence dans un cinéma. Sans spoilers, quel symbolique a-t-elle ?
Billie va être emportée par une soif de vengeance. C’est à ce moment qu’elle va trouver de la jouissance dans la violence, le moment où elle met clairement un pied dans la rage des Apaches et leur énergie bouillonnante. Il y a une perte totale de réel. J’avais envie de m’amuser entre les codes de la comédie romantique, Il y a une perte totale de réel. J’avais envie de m’amuser avec les codes de la comédie romantique – qu’on connait tous – et les retranscrire à une scène hyper violente. Nous sommes au milieu d’une salle de cinéma, les gens rient, sont spectateurs. Elle, peu à peu, est emportée par la folie. L’espace d’un instant, tout se mélange entre réalité et fiction. Tout est brouillé dans un tourbillon de violence outrancière.
Le film projeté en salle, c’est La Lune à un mètre. Pourquoi celui-ci ?
La seule vraie raison, c’est que j’ai toujours trouvé ça émouvant qu’un homme, il y a plus de cent ans, ait le courage d’emmener ses spectateurs sur la Lune. Aujourd’hui, en France, faire un film dans l’espace ou sur la Lune, c’est inenvisageable. C’est fou que Méliès ne se soit imposé aucune limite. La liberté, la créativité de Méliès me bouleversent. Et puis, il y avait un petit clin d’œil au Dernier Voyage. Je trouvais que cela faisait une passerelle amusante entre mon film précédent et celui-ci, tout en déclarant mon amour à Méliès.
« Ça m’intéressait de travailler avec ces images d’archives de l’Exposition Universelle, de montrer à la fois la grandeur de cette époque, ses inventions folles et l’horreur d’une certaine mentalité »
Il y a des séquences réalisées comme l’étaient les premiers films au cinéma, en noir et blanc, ainsi qu’une séquence dans le style cinéma muet, que nous pouvons voir, par ailleurs, dans la bande-annonce, comment les avez-vous réalisées ? Avec de vraies caméras d’époque ?
Très tôt dans le film, un des Apaches vole une caméra à un bourgeois. J’avais envie de plonger le spectateur dans le quotidien des Apaches mais aussi de faire un parallèle avec le monde d’aujourd’hui, où nous filmons tout en permanence, où nous nous nourrissons d’images captées sur le vif avec nos Iphone. Je me suis demandé comment retranscrire ça à leur époque ? L’idée est venue de là, de cet Apache qui va filmer tout ce qu’ils font, les moments chaleureux, les moments de rigolades, en somme, tous les moments volés qui font la vie d’une bande. Nous les avons filmés avec une caméra Super 8. Mais ce sont des scènes qui ont été filmées à l’improviste car, lorsque vous filmez avec une Super 8, c’est différent. Il n’y avait que moi et les comédiens. Et c’était très spontané. Je mettais la musique, nous dansions, nous rigolions, un vrai instant de vie, et moi, je captais tous cela avec ma caméra pour aller chercher cette intimité du gant.
La séquence en style cinéma muet a été réalisée avec de vraies images d’archives de l’Exposition Universelle, qui sont des images fascinantes et qu’on ne connaît pas bien. Je ne savais pas, avant d’étudier la période de La Belle Époque, qu’ils avaient fabriqué un trottoir roulant de plusieurs kilomètres. Je trouve ça complètement fou ! Cette époque est dingue ! L’Homme a alors une telle confiance en sa technologie et de ce qu’il est capable de faire, qu’il est aveuglé. Il y avait une sorte d’euphorie générale. Ça m’intéressait de travailler avec ces images d’archives de l’Exposition Universelle, de montrer à la fois la grandeur de cette époque, ses inventions folles et l’horreur d’une certaine mentalité. Car au-delà de la création du cinéma, il existait des zoos humains où l’on exposait des personnes de couleurs. C’est surréaliste !
J’ai donc incrusté mes Apaches dans ces images-là, afin qu’ils envahissent, qu’ils ramènent leur violence là-dedans avec le côté désuet du film muet. Ça fait un mélange amusant. Mais ce fut une des scènes qui nous a donné le plus de contraintes. Dans le scénario original, cette séquence devait être tournée de façon très classique. Cependant, nous n’avions pas les jours de tournage nécessaires pour la réaliser, ni le budget. De cette contrainte est née l’idée de ne faire qu’un plan fixe… en noir et blanc et sans son ! Finalement, je préfère qu’elle soit ainsi.
« Je voulais parler d’un gang mais je ne voulais pas le faire de façon déshumanisée »
Au-delà de cette histoire de gang, Apaches est aussi une histoire d’amour entre Billie et Jésus, qu’on pourrait même qualifier de drame shakespearien. Vous l’avait pensé ainsi à l’écriture ?
J’aimais l’idée que ce soit la fascination de deux êtres qui sont dévorés par une rage de vivre. Ils sont voués, soit à s’aimer, soit à se tuer. Il y a un jeu du chat et de la souris. J’avais envie d’être à la croisée entre un film pop et une tragédie. […] Je voulais parler d’un gang mais je ne voulais pas le faire de façon déshumanisée. Oui, le film est pop, vivant, avec de la musique et de la violence, mais je souhaitais qu’à l’intérieur qu’il y ait à la fois une amitié très forte entre Jésus (Niels Schneider) et son bras droit, Ours, interprété par Artus, qu’il y a une relation presque frère/sœur qui s’instaure entre ce dernier et Billie (Alice Isaaz) et cette histoire d’amour. Avec Apaches, il y avait la volonté de créer une famille, une bande de potes et tout ce que ça comporte.
Puis, ce dilemme qui s’installe pour Billie, de devoir tuer les membres de cette famille dont elle fait désormais partie. Le pire, étant qu’elle devra tuer Jésus, si elle veut aller au bout de sa vengeance. Cet homme qui la fascine tant car ils sont le miroir l’un de l’autre. Ils ont le même feu ardent qui brûle en eux, ils le sentent.
« Je voulais m’éloigner de l’aspect sépia, grisonnant du film historique français, en y ajoutant de la couleur »
De quelle façon, avez-vous recréez le Paris des années 1900 ?
Nous avons tourné dans un petit village près de Paris, Magny-en-Vexin, qui avait des rues encore pavées ainsi que des murs encore très texturés et sales. Pour être honnête, j’ai passé pas mal d’heures sur Google Maps pour chercher les décors. Une fois le lieu trouvé, nous nous sommes concertés avec ma chef décoratrice, Irène Marinari et mon chef opérateur, Jean-Paul Agostini, car j’avais des idées précises de ce que je souhaitais sur la direction artistique. J’avais réalisé un moodboard de 200 pages. Apaches devait être un film coloré. À l’époque les rues sont couvertes de publicités, avec de la couleur partout. Je voulais m’éloigner de l’aspect sépia, grisonnant du film historique français. Ce qui correspond d’ailleurs aux images d’archives non-colorisées que j’ai pu voir. Puis, travailler la patine, utiliser des vieilles optiques, pour avoir un maximum de cinégénie dans ces rues. Enfin, le renfort des effets spéciaux afin de rajouter une Statue de la Liberté en construction.
Vous évoquiez son nom, c’est Jean-Paul Agostini à la photographie du film. Il avait déjà collaboré avec vous sur Le Dernier Voyage. Ce n’est pas son premier film d’époque, puisqu’il a notamment travaillé sur L’Aventure des Marguerites de et Play d’Anthony Marciano. Parlez-nous plus en détails de vos ambitions artistiques pour Apaches et la manière dont vous avez donné vie à ce Paris d’antan ?
Nous voulions, dès le départ, bâtir un vrai univers et monter un film libre. À l’époque, il n’y avait rien de plus cool, qui se dégageait de ces gangs qui, aujourd’hui, seraient totalement désuets si on le retranscrivait tels quels. Nous avons alors retranscrit une forme de véracité de ressentis plus que de vérités historiques, qui nous intéressaient moins même si nous avons fait un énorme travail de recherche en amont. Nous avons également travaillé sur les couleurs des costumes et nous nous sommes complètement libérés de certaines contraintes.
Par exemple, nous n’avons pas hésité à utiliser des néons dans un fond de décor pour que ça crée une projection de lumière intéressante. Nous souhaitions réaliser un film électrique, punk. Entre le western et le Londres de la fin des années 70, en conservant l’identité de La Belle Époque.
[…] Ensuite, nous voulions travailler sur les textures avec les caméras. Nous en avons testé plusieurs.
Pour les VFX, nous travaillions le premier plan en réel en soignant les textures, le make-up, le stylisme, etc., et pour créer la magie et donner au film un souffle et une grandeur à l’univers, se dire qu’au second plan, il y aura ça. C’est Digital District qui, après, crée les effets spéciaux comme La Statue de la Liberté, ou la ville de Paris en arrière-plan. C’est intéressant de vouloir créer un monde tout en restant le plus organique possible. Pour eux, ce fut un gros travail, notamment cette scène d’ouverture avec la Statue de la Liberté et le plan-séquence de 15 minutes à la fin.
« Un rôle de méchant de cinéma, ça fait rêver mais, en même temps, il ne faut pas que l’on tombe dans une caricature »
De quelle façon vous avez composé le casting du film ?
J’avais envie de travailler avec la nouvelle génération de comédiens français. C’était génial de collaborer avec Alice Isaaz. Elle a une candeur, quelque chose de doux et une énergie où elle était capable de se mettre dans des états de rage incroyables. Le courage et le cran de faire ce qu’elle a fait par moment avec des choses dont nous ne sommes pas habitués à voir dans un cinéma classique plus conventionnel.
Pour Niels Schneider, ce fut un long processus de casting. Un rôle de méchant de cinéma, ça fait rêver mais, en même temps, il ne faut pas que l’on tombe dans une caricature. Nous avons beaucoup discuté, lui et moi, de nos blessures respectives, de la rage qu’on avait de vivre suite à un drame, et nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une énergie assez rock à creuser. Jésus n’a jamais été un gangster. C’était une rock star qui cramait la vie. C’est ainsi que nous l’avons travaillé. C’est un mec qui est sur le fil, défoncé par l’absinthe et la violence et qui finit par se prendre pour un prophète, un visionnaire qui lutte contre un système mais c’est une illusion. Niels est un acteur qui s’est vraiment plongé dans le rôle.
Il nous arrivait de boire sur le tournage ensemble, pour être dans des états un peu seconds pour pousser à fond les curseurs.
Artus, je l’ai trouvé génial et ça fait du bien de le voir dans des rôles comme ça. C’est un comédien qui a beaucoup de talent et qui fera de grandes choses. Les rôles plus dramatiques et touchants, ça lui va à merveille. C’était un pari et, je l’avoue, pas mal de gens ne comprenaient pas ce que je faisais. Nous envisageons un prochain projet ensemble. Puis, il y a quelques comédiens comme Hugo Becker qui était dans mon précédent film. J’aime créer une véritable troupe.
Et les enfants. La petite Chloé Peillex, qui incarne Alice Isaaz jeune, est formidable. C’est son premier film. C’était là aussi un pari fou parce qu’elle n’avait aucune expérience. J’ai un peu réécrit le rôle pour elle. Nous avons pris le temps. Je voyais dans cette enfant, quelque chose d’intense dans le regard. Je n’ai vu ça chez aucune autre petite fille.
Ma critique du film est à retrouver ici.
Vous pouvez également retrouver mon interview avec l’actrice Alice Isaaz, ici.
Apaches, le 29 mars au cinéma.
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