LES TROIS MOUSQUETAIRES – D’ARTAGNAN : UNE ÉPOPÉE HISTORIQUE MODERNE ET ENIVRANTE

La littérature française regorge de héros populaires et d’histoires fantastiques et, alors que le cinéma s’interroge sur la façon de ramener le public en salles, des films événements comme « Asterix et Obelix » ou « Les 3 Mousquetaires » pourraient être une des solutions au renouveau du paysage cinématographique français. D’autant que cette nouvelle version des héros d’Alexandre Dumas possède toutes les qualités pour séduire le grand public. Et ce n’est pas le triomphe des avant-premières qui ont lieu actuellement dans toute la France qui contrediront ce constat. Mais en quoi cette adaptation est-elle si réussie ?

Un pour tous…

Le film de Cape et d’Épée est un genre purement français, qui a connu son âge d’or durant les années 50-60 : Fanfan la Tulipe (1952) de Christian-Jaque, Les Trois Mousquetaires (1953) d’André Hunebelle, Bossu (1960) avec Bourvil et Jean Marais, qui incarnera aussi Le Capitaine Fracasse en 1961, sous l’œil du réalisateur Pierre Gaspard-Huit. Il ne faudra pas non plus oublier LE succès de l’époque, Mon Oncle Benjamin (1969) de Edouard Molinaro. Si le genre s’épuise après les années 80, d’autres adaptations de film Cape et d’Épée deviendront néanmoins cultes telles que Cyrano de Bergerac (1990) avec un Gérard Depardieu au sommet de son art, La Fille de d’Artagnan (1994) de Bertrand Tavernier, nommé deux fois au César, et le « remake » de Fanfan la Tulipe, réalisé par Gérard Krawcyk, lequel avait fait l’ouverture du Festival de Cannes en 2003. Depuis, plus grand-chose si ce n’est des adaptations étrangères totalement dénaturées et vides de sens comme l’ignoble essai de Paul W. Anderson et son aspect retrofuturiste steampunk (bien que la France soit aussi producteur du film). L’épisode des bateaux volants est peut-être ce qui s’est fait de pire en termes de cinéma.

Nous voilà en 2023 et une énième adaptation des Trois Mousquetaires voit le jour avec une singularité, puisque le film est un diptyque dont la seconde partie sortira en décembre prochain. Pour Pathé, une volonté, produire des films à grand spectacle, ambitieux, afin de prouver qu’en France nous savons aussi réaliser des blockbusters de qualité, enivrants et surprenants. Une ambition réaffirmée avec l’annonce, il y a quelques semaines, d’une relecture de l’œuvre d’Alexandre Dumas, Monte-Cristo, où l’acteur Pierre Niney aura premier rôle.

Pour mettre en scène cette œuvre intemporelle qu’est Les Trois Mousquetaires, les clés ont été confiées à Martin Bourboulon, qui s’était illustré en 2021 avec « Eiffel », adaptation poétique sur la construction de la Tour Eiffel. Choix audacieux mais ô combien pertinent. Sa vision romanesque de l’Histoire, son langage esthétique, exalté par la puissance de l’époque et porté par une photographie à l’américaine entre plan majestueux sur l’époque et nos monuments historiques et des teintes assombries pour renforcer la nature froide des enjeux dramatiques, ainsi que le comportement intime de sa caméra vis-à-vis de ces personnages, portent Les Trois Mousquetaires à un niveau jamais atteint. Comme un idéal chevaleresque, Martin Bourboulon expose tout en grand, sans extravagance et autres bizarreries à la Paul W. Anderson.

Cette exposition rejoint la volonté de Pathé de ne pas décevoir un public exigeant, amateur d’un cinéma populaire et divertissant. Avec Les Trois Mousquetaires, Martin Bourboulon et ses deux scénaristes (Alexandre de la Patallière et Matthieu Delporte) réussissent ce pari, être pleinement dans une fantaisie joyeuse mais contrôlée, dans une exhibition jouissive mais maîtrisée, loin du ridicule de certaines productions Marvel qui n’hésitent plus à décrédibiliser ses héros et à dédramatiser ses ressorts tragiques. C’est peut-être là, la force de cette adaptation, se détacher d’une écriture agonisante, à renouveler la notion de héros, à être dans l’air du temps par ses promesses, pour parvenir à créer une récit épique, entre profondeur dramaturgique et instants comiques astucieux.

Les scènes d’action étonnent. Si certaines souffrent d’une plus ample lisibilité, Martin Bourboulon n’hésite jamais à livrer des affrontements ultra-immersifs à l’aide de plans-séquences haletants. Les chorégraphies, elles, sont soignées et expriment un désir de transcender l’action en quelque chose de purement dynamique, d’envelopper l’action d’un caractère électrisant pour le spectateur. Et l’investissement donné par les comédiens, les cascadeurs et les figurants, apporte aux séquences d’action une énergie positive à l’écran, qui nous entraîne.

Une authentique aventure de cape et d’épée, qui tranche aussi par la modernité de son vocabulaire visuel. Outre la réalisation, Thierry Delettre (chef costumier) et Stéphane Taillasson (chef décorateur) – qui avaient d’ailleurs tous deux travaillé sur Eiffel – dévoile un travail d’orfèvre qui contribue parfaitement à l’immersion dans cette époque intense. Les décors, à 94% naturels, subliment la mise en scène tandis que les costumes déterminent visuellement la personnalité de chacun des personnages, notamment ceux des Mousquetaires et de Milady. Au premier regard, sans un mot, on saisit de suite la sagesse d’Athos, la fourberie rigolote d’Aramis, la violence physique de Porthos et la dimension perverse de Milady.

Et tous pour un…

Pour attirer les foules, un casting 5 étoiles s’est constitué autour du film. Romain Duris (Aramis), Pio Marmaï (Porthos) et Vincent Cassel (Athos) forment le trio célèbre de Mousquetaires. Les trois acteurs s’amusent et, à l’image, l’alchimie entre eux opère. Dialogues succulents, répliques en ping-pong réjouissantes et humour truculent, leur passe d’arme verbale est jubilatoire à l’oreille. Si cela fonctionne, c’est aussi grâce à l’interprétation des comédiens, intelligente, fine et un travail parfaitement huilé sur le tempérament des personnages.
François Civil, lui, campe un d’Artagnan attachant et drôle, grâce à l’arrogance et le charme d’un personnage que le comédien met tout entier au service du récit (et du Roi Louis XIII). Et comme un héros sans histoire d’amour ne serait pas véritablement un héros, sa relation avec Lyna Khoudri(Constance Bonacieux) offre de délicieux moments de complicité. Un duo tendre, rythmé comme une comédie romantique, de la séduction au premier baiser.

Quant à Eva Green, sa voix grave et sensuelle à la fois, sied à merveille au caractère de Milady, manipulatrice, envoûtante et démoniaque. La comédienne magnifie ce rôle de Milady de Winter, bien que sa fonction dans ce premier volet ne soit pour l’instant que secondaire.

Conclusion

Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan réussit donc le pari d’insuffler de la nouveauté dans une œuvre mille fois adaptée. Martin Bourboulon dépoussière l’histoire d’Alexandre Dumas, sans la trahir, et compose un récit contemporain au sein d’une fresque épique entre complots et trahisons, jeu de pouvoir et « guerre » de religion, amour et unité de la nation. Si les grandes lignes du récit d’Alexandre Dumas sont respectées, le film se permet une liberté de ton et des nuances sur la caractérisation de certains personnages, subtiles, et qui prêteront par moment à sourire (cf. Porthos). Quoi qu’il en soit, les amateurs du roman ne seront pas déboussolés, pour les autres, ils assisteront à une aventure magistrale et grandiloquente.

– Vous pouvez retrouver mon entretien avec le scénariste Alexandre de la Patellière ici.
– Vous pouvez retrouver mon interview avec le chef costumier du film, Thierry Delettre, ici.

Les Trois MousquetairesD’Artagnan le 5 avril au cinéma.