LES TROIS MOUSQUETAIRES – D’ARTAGNAN : ENTRETIEN AVEC LE CHEF COSTUMIER THIERRY DELETTRE

Nous poursuivons cette série d’articles sur Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan avec un entretien exclusif du chef costumier Thierry Delettre. Ce dernier apporte quelques détails supplémentaires sur la création et la conception des costumes du film, notamment ceux des trois mousquetaires (Athos, Porthos, Aramis), de D’Artagnan, de Milady de Winter mais aussi du Cardinal de Richelieu et s’exprime sur la direction artistique de la séquence du bal.

« Je pense que nous sommes arrivés à donner un coup de fraîcheur à l’époque »

Quelle était l’ambition générale autour des Trois Mousquetaires et la réalisation des costumes ?
Martin Bourboulon et moi avions travaillé ensemble sur Eiffel et il savait que j’aimais bien épuré l’époque. Nous sommes allés sur une simplification du XVIIème. C’est valable pour les costumes mais aussi pour les coiffures. Cette épure va dans le sens d’une modernisation, c’était un peu comme concevoir une collection de prêt-à-porter d’époque. Quand je dis épurer, j’entends par là que le film n’est pas un documentaire sur l’époque. On prend l’époque, on digère la documentation, et on essaie de rentre les choses plus naturelles. D’où une manière de porter les vêtements, plus débrailler que nous le voyons dans les films ou les tableaux. Sur Eiffel, par exemple, les chemises étaient ouvertes et les cravates pas complètement nouées. Martin Bourboulon et moi n’aimons pas ce côté compassé, confis dans l’époque. […] Cette richesse visuelle permanente, n’arrête jamais. Il y a des tonnes d’univers différents dans ce film. Nous voulions « dépoussiérer » Les Trois Mousquetaires. C’est moderne visuellement, dans l’écriture et dans les costumes. Nous avons modernisé les lignes, sans prétention. Je pense que nous sommes arrivés à donner un coup de fraîcheur à l’époque.

« Cette idée d’amener une petite touche de western correspondait bien à l’histoire des Trois Mousquetaires »

Parlez-nous des costumes portés par les trois mousquetaires. Comment les avez-vous pensé et conçu ?
En connaissant les acteurs et la « psychologie » des personnages. Je me mets ce mot entre guillemet parce que je n’ai aucune prétention à ce niveau. Les costumes doivent rester des vêtements dans lesquels les acteurs se glissent, comme une peau que je leur procure. Il faut qu’ils soient à l’aise. Ça correspond aux comédiens qui jouent les rôles et les personnages qu’ils sont censés incarner. Nous avons donc travaillé sur des formes, des matières, des couleurs, qui pouvaient les différencier.

Nous sommes ensuite tombés d’accord avec le fait d’intégrer des clins d’œil au western. D’où les looks des Mousquetaires, qui ont des manteaux (en lin/cols en cuir) et non pas la casaque classique avec la croix bleu et rouge au milieu. Ça reste discret. Puis, cette idée d’amener une petite touche de western correspondait bien à l’histoire des Trois Mousquetaires. Ça nous plaisait d’amener cet aspect là dans un film de cape et d’épée. Je pense également que j’ai une petite frustration de ne pas avoir fait de films de western (rire).

Pour les chapeaux, ils ressemblent à ceux de l’époque mais ils sont moins chargés. Ce sont des chapeaux en cuir ou en peau, avec très peu de plumes. Je n’étais pas sûr, au départ, que Martin avait envie de plumes. Il ne voulait pas se coller à l’image que l’on connaît des Mousquetaires.

Et pour d’Artagnan ?
D’Artagnan arrive de sa province avec son manteau en peau retourné de la montagne béarnaise, pas de chapeau, assez crasseux, un tricot. Il transforme peu à peu pour être plus proche de ses copains. Pour les couleurs, nous avons opté pour du beige et du crème. Nous voulions quelque chose de naturel qui correspondait à ce côté provincial, un peu pauvré. J’aimais bien l’idée du manteau en peau, ça collait à l’image de d’Artagnan arrivant à Paris.

Le fait de savoir quel acteur va porter le costume, est-ce que cela vous aide à les imaginer ?
Oui, c’est d’une grande aide. Je connaissais bien Romain puisque nous avions tourné ensemble sur Eiffel. Lorsque nous réalisions les maquettes avec mon dessinateur, Maxime, nous mettons la tête du personnage, c’est plus évident pour le metteur en scène de s’imaginer son acteur avec le costume. Même s’il y a des looks qui changent. Par exemple, au départ, Porthos n’avait pas les cheveux longs comme il les a eu en définitif. J’avais imaginé plutôt Aramis avec les cheveux longs (voir image). Ce sont des évolutions. Nous avons aussi travaillé de concert avec la cheffe coiffeuse, pour avoir cette simplicité qui correspondait à l’esprit du film. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec tous ces acteurs.

« Eva adore le vert et elle a elle-même a des yeux verts magnifiques »

Le travail sur les costumes de Milady est très soigné, avec un côté steampunk, notamment dans sa première apparition (voir image). Quelles étaient les idées principales pour concevoir les costumes de Milady ?
Eva a apporté beaucoup de choses. Elle m’a envoyé pas mal de documentation, des inspirations qui venaient de la mode, de la couture et des choses très rock. Nous avons synthétisé tous ça. Ses costumes sont sophistiqués, avec de la broderie et des matières. Beaucoup de ses inspirations ont été retranscrites dans ses costumes. Ce fut une superbe rencontre et une belle collaboration entre elle et moi.

Les costumes glamour que portent Milady sont en velours et gaufrés avec des modifs réalistes pour l’époque et des apports de métaux, qui venaient d’Eva et que j’ai re-traités. J’ai appliqué du latex de tissu sur certains pourpoints quand elle se bat (pourquoi? En quoi est-ce essentiel?). Nous avons emmené une façon de travailler qui vient de la mode contemporaine pour la réalisation de ces costumes. C’est un mélange entre l’ancien et le moderne. Le latex n’est pas forcément une évidence au XVII. Mais cela marche bien à l’image parce que le motif correspond, parce qu’il y a du cuir découpé avec les mêmes motifs. J’adore rechercher des matières amusantes pour les films. Il y a aussi du jean. J’en mets dans toutes les époques.

Pour les couleurs, nous avons axés sur du sombre et du vert. Eva adore le vert et elle a elle-même a des yeux verts magnifiques. Donc, nous avons mis beaucoup de vert et de turquoise.

« J’ai proposé à Martin de travailler sur le thème des masques animaux »

Il y a une séquence de bal dans le film où Milady rencontre Buckingham). Combien de costumes ont été fabriqués pour cette séquence ? Et quelle direction artistique a été prise sur cette scène ?

Nous en avons fabriqués environ une centaine, soit la moitié. Nous avons fabriqués aussi des éléments de costumes qui pouvaient se rajoutaient à des costumes (loués en Espagne et en Italie) afin de les intégrer dans une image globale qui soit cohérente. Et non pas prendre que des costumes de location de plein d’univers différents et qui vont faire un bal costumé pas très intéressant. Il y a des costumes que j’ai pris aussi bien de l’Opéra de Paris que des costumes de Vatel. Et nous avons également fabriqués la moitié des masques, 80 environ. Cela représente six semaines de travail.

Ensuite, j’avais proposé à Martin de travailler sur le thème des masques animaux. J’en ai trouvé des magnifiques en Italie, chez des loueurs mais aussi dans des maisons d’Opéra en France, à Paris, à Toulouse ou encore à Strasbourg. Je voulais des choses moins communes comme des insectes, des poissons… Nous tournions de nuit donc il fallait de la brillance et des éléments chatoyants.

« Les essayages sont effectivement très importants car ils permettent de voir si les costumes s’adaptent aux comédiens »

Nous ne lui avons pas mis son col blanc qu’on voit sur tous les tableaux, ni sa petite capette. C’est une institution Richelieu, c’est difficile de se détacher totalement de son image. […] Pour la couleur, c’est un sublime rouge, qui a beaucoup de profondeur et qui n’est pas agressif. Il est plus sombre que le rouge cardinal. Quand j’ai trouvé ce tissu, j’ai tout de suite aimé et proposé à Martin. Aux essais, ça fonctionnait. C’est d’ailleurs durant les essais que j’ai décidé de supprimer le col blanc et la barrette sur la tête.
[…] Les essayages sont effectivement très importants car ils permettent de voir si les costumes s’adaptent aux comédiens. Les essais filmés aussi, puisqu’ils permettent de valider beaucoup de choses. À l’image, en mouvement, nous savons alors ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Nous avons filmés nos 4 Mousquetaires et c’est là, par exemple, que nous avons décidé de rajouter les plumes sur leur chapeau.

« Pour habiller, toute la figuration, c’est environ 2h-2h30 »

Le film, c’est 2000 costumes dont 800 fabriqués, 15 km de tissus. C’est combien de temps de travail et combien de personnes ?
Nous avons eu six mois de préparation. Pour la figuration, nous réalisions les costumes comme une collection de prêt-à-porter, nous préparations des fiches avec des échantillons de tissus, tels boutons, telles tailles, les patronages et les dégradations dans les tailles. Dans mon atelier, j’avais une dizaine de personnes avec des modèles pour les présenter à Martin. S’il validait les modèles, on les envoyait en fabrication en série. Donc, il y a tout un travail de choix de tissus, de calcul de métrages etc. Nous avons un second atelier, l’atelier des rôles, entre dix et quinze personnes pour concevoir les costumes des rôles principaux et secondaires. Enfin, il y a une équipe de tournage et, avec la masse de travail, une vingtaine de personnes étaient sur place. […] Pour habiller, toute la figuration, c’est environ 2h-2h30.

Les Trois Mousquetaires sortira au cinéma le 5 avril au cinéma.

– Vous pouvez retrouver ma critique du film ici.
– Vous pouvez retrouver mon entretien avec le scénariste du film, Alexandre de la Patellière, ici.

Ci-dessous, les dessins préparatoires du film.

5 commentaires sur “LES TROIS MOUSQUETAIRES – D’ARTAGNAN : ENTRETIEN AVEC LE CHEF COSTUMIER THIERRY DELETTRE

  1. Une équipe costume et décor exceptionnelle !
    Merci pour les beaux souvenirs laissés à nos 3mousquetaires compiegnois… armurerie, patine des costumes et même plateau de tournage.
    Merci d’avoir partagé les coulisses de la création avec passion et même suscité des vocations !
    J’ai qq photos souvenirs à partager si vous voulez 😉

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