LES TROIS MOUSQUETAIRES – D’ARTAGNAN : ENTRETIEN AVEC LE CHEF DÉCORATEUR STÉPHANE TAILLASSON

Pour conclure cette série d’articles sur Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan, plongeons avec le chef décorateur Stéphane Taillasson dans les coulisses de la décoration du film. Choix des lieux, repérages, aménagement des châteaux et des rues, travail de l’ensembliage, Stéphane Taillasson dissèque tous les décors du film événement.

« Il y avait une information, un mot d’ordre pour ce diptyque, faire un western »

Quelles ont été vos étapes de travail sur ce diptyque ?
C’est ma cinquième collaboration avec le réalisateur Martin Bourboulon. Nous nous connaissons bien, il y a une confiance qui s’est instaurée de films en films. Martin était encore en montage d’Eiffel quand le projet des Trois Mousquetaires a démarré. Avec la 1ere assistante mise en scène, nous avons lancé les premiers repérages (avec mon équipe) avec pour tâche de dégrossir les repérages. Nous avions un scénario (du 1er film des mousquataires) et, par rapport à cela, nous définissons les décors avec des références, des valeurs historiques, que l’on puisse avoir des images pour donner une direction artistique. Par exemple, pour la Cour des Mousquetaires, nous nous sommes posés la question de savoir s’il s’agissait d’une caserne ou bien d’un hôtel particulier. Il y a une grosse part de documentation. En déco, je dois connaître le XVIIème siècle que ce soit l’histoire, l’architecture, le mobilier. Ensuite, nous sélectionnons des châteaux, des hôtels particuliers, des lieux qui peuvent nous plaire et nous faisons des propositions à Martin. Il y avait une information, un mot d’ordre pour ce diptyque, faire un western. Vous pourrez ressentir que nous sommes alors dans de la pierre patinée, plus que dans du joli château clinquant. C’était primordial dans ces choix de décors.

En résumé, les étapes de travail sont : lire le scénario et sortir les lieux de décors, une phase de documentation en parallèle et, par la suite, faire des propositions à Martin. Il y a tellement de châteaux en France que nous n’avons pas tout montré à Martin. C’est là que la confiance est importante. Nous avons présélectionné plusieurs ambiances avant de pouvoir réellement définir l’atmosphère du film (patinée).

94% des décors du film sont naturels, la chance d’avoir un patrimoine riche et très bien conservé. Qu’avez-vous apporté à ces lieux de manière générale ?
Je suis très fier du travail que nous avons réalisé sur les repérages car chaque lieu donne une ampleur au film qui fonctionne, comme le côté puzzle. Par exemple, la scène où D’Artagnan arrive à Paris, entre dans la Cour d’entraînement des Mousquetaires, puis se dirige dans un long couloir où il parle au Capitaine De Tréville avant de bousculer Athos dans les escaliers (tournée aux Invalides), Porthos dans la cuisine (Saint-Denis), avant de revenir dans les rues de Paris (tournée à Compiègne) pour poursuivre un des méchants du film, ce sont tous des lieux différents. C’est un gros travail de montage mais dont l’enchaînement des lieux a été prévisualisé.

On ne trouve jamais le décor où tout est parfait. […] Nous faisons alors quelques améliorations à ces décors. Pour la 2eme Cour d’entraînement des Mousquetaires, qui était totalement nue au départ, nous (devions) avons raconter une série d’entrainement de mousquetaires. Nous avons donc ajouté un plancher pour cacher des grilles d’aération, une potence qui pivote style gladiateurs, des panneaux pour le stand de tir, etc. Il n’y a pas un décor où ne nous sommes pas intervenus. Que ce soit quelque chose de basique comme un cache radiateur, retirer un tableau de Napoléon ou fabriquer des éléments de décors à intégrer.

Image : D’Artagnan découvre la cour d’entraînement des Mousquetaires.
Crédit photo : Pathé

« Chaque séquence est disséquée puis accessoirisée »

Lors de la préparation du film, que l’on découvre en amont un château, Fontainebleau, par exemple, où seront tournées plusieurs scènes, comment procède-t-on ? Quels sont les premières choses que vous faites, une fois sur place ?
J’essaie de me projeter les scènes dans ce lieu, c’est ce qu’on appelle de la scénographie. Les éléments de décors fournissent les éléments de mise en scène. Ensuite, une fois le lieu sélectionné, nous devons faire avec les contraintes que l’environnement nous impose. À Fontainebleau, par exemple, le trône du roi s’est très vite imposé pour pouvoir cacher la grande cheminée située en haut des marches. Il a fallu déterminer les couleurs, dimensions, etc. Je fais alors des plans 3D et met en place la scénographie que je montre à Martin. Chaque séquence est disséquée puis accessoirisée. Autre contrainte à Fontainebleau, il y avait un tapis sur lequel nous ne pouvions pas marcher (voir photo ci-dessous). Nous l’avons donc recouvert d’une moquette. Et la mise en scène devait se contraindre dans cette zone ce milieu-là. Les contraintes contraignent souvent la scénographie.

Justement, comment avez-vous aménagé cet espace pour cette scène à Fontainebleau, où les mousquetaires sont convoqués par Louis XIII avant une confrontation avec Richelieu et le Capitaine de Tréville ?

Nous cherchions un lieu royal et Fontainebleau s’est rapidement imposé à nous. Pour la petite anecdote, nous avons dû y tourner deux fois. Nous avons monté le décor, démonté, avant de le remonter une nouvelle fois plus tard pour des raisons de disponibilités de lieux. Il fallait alors penser à un montage et un démontage. Vous imaginez bien que cette moquette n’est pas en un seul morceau. Le tapis est de couleur bleu car c’est la couleur royale de l’époque. Je ne voulais pas être trop clair. Je souhaitais des couleurs denses pour permettre aux costumes de ressortir. Ici, je ne voulais pas qu’il y ait trop de couleurs qui viennent perturber le rouge du costume de Richelieu.

Image : Séquence tournée à Fontainebleau.
Crédit photo : Pathé

Nous avons dessiné le tapis et calibré le motif, avec nos références historiques en tête, en fonction du calepinage, et en pensant aux raccords et l’avons envoyé en impression chez un fournisseur. Il a fallu faire des essais de couleur car le but était d’avoir un bleu bien dense, pas trop électrique. Sur le tapis existant, nous avons placé ce que nous appelons des feuilles de cp ou Osb ou encore de l’agglo. Et nous avons collé la moquette au double face. Tout cela est pensé et supervisé par le 1er assistant déco, le chef constructeur, l’assistant dessinateur et leur équipe.

[…] Il y a aussi les fenêtres sur lesquelles nous avons rajouté des rideaux pour recadrer la lumière, notamment. . Les lustres avaient des ampoules. Grâce aux VFX, nous avons pu changer les ampoules par des bougies et des flammes. J’ai ramené quelques candélabres que vous voyez à droite, près des comédiens, avec des petites ampoules qui vacillent et nous permettaient de ramener de la richesse et de la lumière.

« Nous avons été voir chaque propriétaire et locataire et nous leur avons expliqué que, pendant un certain temps, leur rue serait remplie de terre »

Comment amènage-t-on les rues d’une ville, comme celles de l’arrivée de D’Artagnan à Paris ?

L’arrivée de D’Artagnan à Paris, a été tournée dans une rue à Compiègne. Le parti pris avec Martin, c’est que ce soit patiné, comme je l’évoquais tout à l’heure. C’est toujours un grand débat en début de film, est-ce qu’on colle à la réalité historique ou est-ce qu’on s’en arrange ? Nous avons décidé de réaliser un western donc, le tout patiné était cohérent. Cette rue s’est vite imposée, premièrement parce que c’était une rue large qui racontait quelque chose et, surtout, nous avions un accès direct avec la première Cour des Mousquetaires. C’était précieux.

Image : Les rues de Compiègne aménagées pour la scène d’arrivée de D’Artagnan à Paris.
Crédit photo : Pathé

Je n’avais pas spécialement envie de monter un échafaudage en face de l’entrée des Mousquetaires mais une des façades était moins d’époque. Néanmoins, Martin aime quand l’action est vivante. Nous avons donc créé un échafaudage devant cette façade et ramené de la vie en ajoutant des figurants en plein travail. Nous avons également retravaillé les volets. Nous avons été voir chaque propriétaire et locataire et nous leur avons expliqué que, pendant un certain temps, leur rue serait remplie de terre, nous leur avons demander de ne pas garer leur voiture dans la rue et si nous pouvions retirer leur fenêtres/volets ou les peindre. Chaque fenêtre devait être d’époque.

Il y a une très belle scène de mariage dans le film. Parlez-nous de votre travail sur cette séquence et la façon dont vous avez organisé l’espace ?

La séquence a été tournée à la Cathédrale de Meaux. Le défi était de ramener une certaine couleur à la scène. Je voulais sortir du côté bleu, royal, que j’avais déjà attribué à Louis XIII. Le rouge, lui, est trop banal. Si j’avais ramené un rouge, cela aurait fait des lignes trop fortes et je ne pense pas qu’on avait besoin de ça. J’ai dérivé ça sur les bannières. L’ambre donnait au lieu une certaine élégance et je suis donc parti sur cette direction artistique. J’espère que ça se ressent, mais je n’aime pas qu’on voit les décors pour les décors. Les décors doivent être au service de la mise en scène et du lieu. Nous avons intégré des candélabres ainsi que portes-cierges car je trouvais ça beau, toutes ces lumières. Elles ramenaient une sobriété et, en même temps, une élégance discrète.

Image : La Cathédrale de Meaux accueille la scène de mariage et d’attentat contre le Roi, que l’on peut voir dans la bande-annonce.
Crédit photo : Pathé

Cette église est tellement grandiose qu’il n’y a pas besoin d’en faire des tonnes. Le lieu et les costumes suffisaient amplement. En décoration, nous avons créé des podiums pour les moines, nous avons caché tout ce qui était contemporain comme l’autel que nous avons recouvert, etc.

Le point de départ était de trouver un château qui fasse anglais, puisque cette séquence se déroule en Angleterre. Et trouver un château qui fasse anglais en France, c’est compliqué. Nous avons même étudié la possibilité de tourner ça au Royaume-Uni ou en Belgique. Jusqu’au jour où cette image du château de Saint-Germain-en-Laye est apparue. Nous cherchions aussi, en parallèle, une salle de bal. Mais où trouver une salle de bal avec de l’ampleur, qui reflète cette esthétique anglo-saxonne ? Nous avons lancé l’idée de faire cette scène en extérieur et la production a acceptée. Une idée risquée car s’il pleut, c’est une catastrophe niveau assurance, décors, costumes, figuration…). Toutefois, ce château était notre seule véritable référence anglo-saxonne. Suite à cela, deux choses importantes à définir.

Un, le carré VIP, où Buckingham emmène Milady pour une conversation en privée, et de l’autre côté le bal. La cour était tellement grande, que nous avons donc découpé le lieu en trois parties : l’entrée avec ce long couloir et cette idée que, dès qu’on ouvre la porte, le spectacle commence, la cour et le bal, avec cracheurs de feu, hommes en échasses puis, le carré VIP et ce jardin à l’anglaise. Nous avons ajouté une double estrade sur laquelle il y a les musiciens. Voilà comment nous avons structuré cette cour en trois lieux afin de prendre de l’espace et raconter cette séquence.

Image : Scène du bal et rencontre entre Milady et Buckingham.
Crédit photo : Pathé

« Il vaut mieux parfois être un peu anachronique pour une plus belle image »

Autre lieu important, la chambre de la Reine…
Nous imaginions la chambre de la Reine comme un bel espace, il fallait qu’il y ait là aussi de l’ampleur. D’autant qu’à cette époque, ce sont toujours des pièces magnifiques, immenses, où le lit est très grand. Mais, Nous n’avons pas trouvé ce décor avec une telle amplitude, ni de véritable cachet. Soit ce n’était pas d’époque, soit tout était trop lisse ou pas à l’image de la splendeur de la reine. Martin n’est pas trop fan des dorures mais comme les séquences de la Reine se sont réduites, nous avons pu lui proposer de tourner à L’Hôtel de Lauzun en plein cœur de Paris sur l’Île de la Cité, dans une pièce plus petite mais à la hauteur de l’image de la reine… Il y a dans cette pièce des découvertes qui nous plaisaient beaucoup. La Reine circule de pièce en pièce et cela nous permettait de donner une certaine ampleur au lieu. Finalement, nous ne voyons pas de chambre mais après avoir simplement montré ce lieu de maquillage/coiffure nous l’imaginons dans les pièces voisines.

L’ensembliage (département qui recherche et installe le mobilier et les accessoires, les tissus, les tables etc) a beaucoup travaillé pour fournir de magnifiques éléments de meublage et accessoires et pour que cet aspect fonctionne. Ce lieu a été vidé totalement puis aménager. Je leur donne des références et une scénographie (mise en place), et eux composent. Il y a de temps à autre de vrais débats. Les vases d’époque, par exemple, sont affreux. Visuellement parlant, je n’ai pas envie de filmer ce type de vases. On va alors trouver des vases plus jolis en oubliant l’époque, que l’on cachera si besoin par des fleurs. Martin aime aussi moderniser. Il vaut mieux parfois être un peu anachronique pour une plus belle image.

Image : La chambre de la Reine, théâtre d’un conflit amoureux.
Crédit photo : Pathé

– Vous pouvez retrouver ma critique du film ici.
– Vous pouvez retrouver mon entretien avec le scénariste du film, Alexandre de la Patellière, ici.
– Vous pouvez retrouver mon interview avec le chef costumier du film, Thierry Delettre, ici.

Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan, le 5 avril au cinéma.

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