LE PRIX DU PASSAGE : UN FILM SOCIAL ÉPROUVANT

Une mère célibataire, un jeune migrant en quête d’un avenir radieux, deux individus que tout oppose réunit par le destin. Pour son nouveau long-métrage, Thierry Binisti lève le voile sur l’atrocité vécue par les migrants à leur arrivée sur le sol français et la façon dont les valeurs morales sont mises à rude épreuve en temps de crise. Bouleversant !

Un monde idéal ?

Dès le départ, le réalisateur Thierry Binisti pose le cadre. On y découvre Natacha (Alice Isaaz), mère de famille célibataire, dans un quotidien difficile. Serveuse dans un restaurant, elle vit avec son fils dans un taudis de quelques mètres carrés, sans eau chaude. Un environnement rude auquel de suite, le spectateur peut être touché. De l’autre côté, on suit le personnage de Walid (Adam Bessa), débarqué d’Irak et espérant rejoindre un jour l’Angleterre avec son frère Ziad qu’il attend.
Pour réparer sa chaudière, Natacha accepte de faire passer un des amis de Walid vers l’Angleterre. Elle l’installe alors dans le coffre de sa voiture, direction le port et le ferry vers l’Angleterre. Un premier passage qui se déroule bien et, pour offrir une vie meilleure à son fils, Natacha s’associe à Walid pour continuer à faire passer des clandestins vers le Royaume-Uni. Un engrenage qui les mènera à en payer le prix…

Thierry Binisti dépeint donc un univers froid, mais un cocon familial chaleureux bien que parfois conflictuel. Autour de ça, des vies brisées qui, ensemble, s’unissent pour le meilleur et pour le pire. Natacha a besoin d’argent et Walid, bien que réfractaire à faire subir ce qu’il a subi avec ses passeurs, a lui aussi cruellement besoin d’argent pour espérer un jour rejoindre la terre promise des Anglais. Plus qu’un appât du gain, ce sont deux volontés nobles que le réalisateur met en avant afin d’impacter émotionnellement le spectateur sur une réalité violente, quotidienne, que vivent Natacha et Walid et à laquelle n’importe qui peut s’identifier ou imaginer.

Le courage d’une mère pour élever seule son enfant, la gentillesse d’une grand-mère, un homme prêt à tout pour fuir un pays en guerre et avoir une vie heureuse… autant de personnages profondément humains. Car si Le Prix du Passage est forcément un film engagé, qui dénonce un système et les rouages d’une société qui vous pousse parfois au délit, jamais le long-métrage de Thierry Binisti impose une vision politique et/ou une vision pro-migrante moralisatrice. Le Prix du Passage est avant tout un film sur l’humain avec tout ce qui le compose : ses espoirs, ses désillusions et ses peurs.
Bien-sûr, si la noblesse sous-jacente de leurs actes est indéniable, il y a derrière les dilemmes moraux. Walid refuse d’être comme les passeurs pour lesquels il voue une véritable haine. De l’autre côté, la souffrance d’une mère au pied du mur, désemparée de voir son enfant évoluer dans un environnement pauvre. Le film soulève alors la question des valeurs morales et de ce que nous serions prêts à accepter pour quelques billets, dans une lutte permanente et sans concession.

Pour donner de la force à son récit et appuyer la crédibilité des faits, Thierry Binisti se dirige vers une réalisation proche de ses personnages et des situations toujours sous haute-tension. Sa caméra vient capter chaque sentiment pour plonger le public dans chacune des émotions vécues à l’instant T par les protagonistes. Chaque gros plan sur le visage d’Alice Isaaz lorsqu’elle se fait contrôler à la frontière entre la France et l’Angleterre, rappelle les enjeux dramatiques d’une telle prise de risque.
C’est en regardant l’angoisse et la terreur dans les yeux de Natacha, que le réalisateur plonge le public dans le même état de stress que son héroïne. Les spectateurs deviennent les personnages.

Le danger est omniprésent, permettant de conserver le spectateur dans cette spirale infernale. Natacha nous entraîne avec elle dans sa chute.
Fatalement.
Indéniablement.
Une narration maline, pleinement maîtrisée, qui offre par ailleurs de jolis moments d’altruisme et d’émotions. Des émotions qui trouvent leurs plus beaux instants de grâce dans la relation entre Natacha et Walid, entre scènes attendrissantes et dialogues rêveurs, enjoués et coups de griffes.

Alice Isaaz, touchante en mère de famille

Actuellement au cinéma dans un autre rôle avec Apaches, Alice Isaaz trouve ici un nouveau rôle puissant en totale opposition avec l’interprétation vengeresse qu’elle délivre dans le film de Romain Quirot. Plus terre-à-terre, Alice Isaaz incarne ici une mère de famille comme il en existe des millions en France. Et c’est peut-être pour cela que le film fonctionne si bien. Parce que cela vient nous rappeler à quel point les injustices sont profondes, à quel point l’État a abandonné la majorité de sa population, jusqu’à les confronter à leur propre sens moral. Toute cette complexité, Alice Isaaz la retranscrit sans fausse note. Que ce soit dans son jeu, sa rythmique vocale (et le travail sur la voix) ou sa complicité avec le jeune Ilan Debrabant (Enzo), Alice Isaaz est précise et impliquée pour accroître la crédibilité du récit porté par Thierry Binisti.

Conclusion

Film poignant et courageux, Le Prix du Passage observe le monde avec justesse pour en exposer des images, des situations et des personnages crédibles. Au-delà du « thriller », le long-métrage de Thierry Binisti est surtout un moyen de s’interroger sur nous-mêmes et ce que nous serions prêts à faire, à sacrifier, pour obtenir une vie meilleure. Jamais moralisateur, le cinéaste touche au cœur avec cette double histoire où les désirs des uns se confrontent à la réalité des autres. Une vraie bombe émotionnelle, servie par deux grands acteurs !

Le Prix du Passage le 12 avril au cinéma.

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