LA PLUS BELLE POUR ALLER DANSER : ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE VICTORIA BEDOS : « Ce film est une sorte de marivaudage moderne »

Crédit photo : Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma

À l’occasion de la sortie au cinéma du premier film de Victoria Bedos, La plus belle pour aller danser, la réalisatrice s’est confiée à mon micro sur la réalisation du projet, ses choix artistiques, scénaristiques et visuels, mais également sur le casting qui compose son long-métrage dont Brune Moulin et Pierre Richard.

Racontez-nous la genèse de ce projet et cette magnifique petite histoire ?
Cela s’est fait en plusieurs étapes. Hélène Cases, ma productrice, m’a invitée à dîner. Nous ne nous connaissions pas. Elle suivait ma carrière depuis La Famille Bélier et, en me contactant, m’a dit que j’étais prête à devenir réalisatrice. Elle venait d’acheter les droits d’un livre qui parlait de l’adolescence, des complications liées à ce passage difficile qu’est l’adolescence. J’ai lu le livre. Je voulais bien réaliser un film autour de ce sujet passionnant, qui est un peu mon obsession. Néanmoins, je souhaitais écrire un film original. Avec mon co-scénariste, Louis Pénicaut, nous sommes partis de choses qui me touchent intimement avant d’aller vers l’universel. Je suis partie d’une situation qui m’est familière, une jeune adolescente qui ne s’aime pas trop, qui a du mal à trouver sa place dans la cour de récré et dans sa famille, ainsi que le chemin vers sa féminité. À partir de là, il faut trouver un moyen cinématographique de raconter cette histoire. Nous nous sommes alors intéressés aux films de travestissement (Tutsi, Madame Doubtfire, Victor Victoria…). Le travestissement est un moyen merveilleux de raconter le fait de ne pas être bien dans sa peau. Car par le biais du travestissement, on peut être quelqu’un d’autre. L’histoire s’est mise en place de cette façon. Je ne suis pas la première à utiliser le travestissement à des fins dramatiques. Marivaux l’a fait bien avant moi. Ce film est une sorte de marivaudage moderne.

Pourquoi ces thèmes sont des obsessions ?
Parce que cela m’a fait défaut à une période de ma vie. En essayant de comprendre pourquoi ce passage a été compliqué pour moi, j’essaie de comprendre pourquoi il est compliqué pour tout le monde. Je crois qu’un auteur est attiré vers des choses qui ont été compliquées pour lui. Il essaie de trouver une réponse à tout ça.

Et vous avez trouvé cette réponse ?
Non (rire). Le problème c’est qu’on ne trouve jamais les réponses. Mais si on peut aider les autres à travers ce cheminement, tant mieux. Je me base sur des sentiments que je connais car c’est ce que je peux le mieux travailler. En revanche, ce film est ancré dans une réalité contemporaine, j’observe. J’observe la façon dont les adolescents fonctionnent aujourd’hui. Je viens d’un autre temps où il n’y avait pas les réseaux sociaux, où l’homosexualité était moins intégrée, etc. Les choses étaient également compliquées toutefois, lorsque l’on rentrait chez soi après avoir été conspué dans la cour de récré, on fermait la porte de sa chambre et c’était terminé. Aujourd’hui, ça ne s’arrête jamais.

Vous le disiez, le film aborde les thématiques de l’adolescence, de l’acceptation de soi et de la quête identitaire. Par quel angle avez-vous abordé ces thèmes à l’écriture ?
Par l’angle de la comédie. J’ai été élevée dans le principe de la comédie. Mon père disait : « faire du drôle avec du triste ». Il citait souvent un auteur : « L’humour est la politesse du désespoir ». La comédie est un vecteur plus tendre pour aborder des sujets graves, plus abordable, et c’est presque de la pudeur que de traiter les choses avec légèreté.

« Pour moi, c’était vertigineux de devenir réalisatrice »

De quelle façon filme-t-on l’adolescence, les difficultés liées à cette période entre insouciance, excès et premiers émois ?
J’ai une écriture très organique. J’avais donc envie que visuellement, mon style d’auteur se voit à la caméra et soit donc à l’image de mon écriture, organique. J’ai filmé les choses d’assez près, j’ai filmé les corps. Je voulais qu’on ressente par ma caméra, les sensations physiques. En même temps, pour apporter de la comédie, il faut un principe de rupture, notamment dans le montage, dans le rythme des plans, qui fait que ça refroidit. Mon film est un chaud-froid. Une claque, une caresse. J’essaie d’être le plus pur possible dans la manière de filmer mes émotions et d’être radicale dans la comédie.

C’est votre premier film en tant que réalisatrice. La mise en scène, c’était un nouvel exercice que vous appréhendiez ?
Rien n’est jamais facile. En tout cas chez moi rien n’est facile, tout est laborieux. J’assume cette partie de ma personnalité. J’ai beaucoup travaillé pour obtenir ce résultat. Pour moi, c’était vertigineux de devenir réalisatrice. Je voulais être à la hauteur. Ça demande un travail minutieux. Tout est important dans la réalisation d’un film. Du choix du costume en passant par la coiffure, la lumière. J’ai touché à tous les corps de métier. Choisir la couleur d’une perruque pour un personnage c’est très important. En fonction de ce que l’on choisit, on amène le spectateur vers quelque chose. Tout pour moi était fondamental. C’est ainsi que j’ai abordé ce travail. Dans le principe du détail. Quant à l’écriture, une fois que j’ai eu une idée précise de mes personnages, de leurs backstories, de leurs sentiments, il fallait ensuite les concrétiser visuellement. C’est ça qui était excitant.

« Je voulais que Marie-Luce ait un pied dans l’enfance et dans la vieillesse »

Pour la soirée à laquelle Marie-Luce s’incruste, elle décide de s’habiller en Vito Carleone (Le Parrain). Pourquoi ce choix ?

Dans mon film, j’ai été inspirée par le film Victor Victoria. Film merveilleux et très moderne. Le costume d’homme que porte l’actrice Julie Andrews est un costard. Je trouve ça classe. Le dress code de la soirée à laquelle Marie-Luce s’incruste, ce sont les personnages de fiction. Il fallait trouver un film en référence à cela et Le Parrain s’est imposé. De plus, comme c’est un conseil que lui donne son meilleur ami incarné par Pierre Richard, il fallait que la référence ne soit pas trop moderne. Pour moi, c’est une évidence mais je ne suis pas sûre que tous les gamins de 14 ans connaissent Le Parrain.

Comment avez-vous travaillé le look de Marie-Luce et de son alter-ego masculin, Léo ?

J’ai travaillé avec une cheffe costumière qui s’appelle Marie Crédou, qui a beaucoup de sensibilité. Nous avons énormément échangé ensemble pour définir son look. Ma première idée, instinctivement, c’était ce petit pull coloré arc-en-ciel. C’est un pull que ma mère a tricoté à la naissance de ma fille et qu’elle reproduisait chaque année avec la même laine. Ça m’a marqué visuellement. Il y a quelque chose d’à la fois enfantin et joyeux dans ce pull. Ça signifiait pour moi que Marie-Luce est encore dans l’enfance et, en même temps, c’est un tricot, et qu’elle est aussi dans le monde de la vieillesse. Elle dénote dès le début du film avec ce pull coloré dans une masse de jeunes gens qui sont plus sombres. Tout a un sens. Je voulais que Marie-Luce ait un pied dans l’enfance et dans la vieillesse.

Pour Léo, j’avais envie d’un blouson très présent qui soit LE blouson de Léo. Viril, avec des couleurs masculines. Comme elle l’empreinte à son papa, il fallait qu’il soit vintage. Par chance tout revient à la mode (rire) et les vêtements que portaient nos parents redeviennent hyper branchés.

« Elle a une vieille âme Brune, quelque chose qui vient d’ailleurs. Mais aussi une vieille âme de comédienne. Elle est faite pour ce métier »

Brune Moulin est exceptionnelle dans le film. Ce qui est étonnant, c’est qu’elle a autant des traits féminins que masculins. Même nous, nous aurions pu être trompés. Comment s’est fait le choix de Brune ? Et qu’a-t-elle apporté au rôle ?
Le choix de Brune s’est fait après de longs mois de casting. Je cherchais mon personnage car sans elle, je ne pouvais pas faire mon film. C’est Marie-Luce qui porte tout sur les épaules. Ce qui était compliqué, c’était de trouver une jeune fille qui sache à la fois interpréter une fille mal dans sa peau, réservée, et un garçon charismatique, roublard. Il fallait trouver chez une actrice deux personnalités en une mais aussi la capacité d’aborder la comédie, avoir un sens du rythme fort, et être bon dans la sincérité de l’émotion. Mais également crédible en garçon. Pendant les essais, je demandais aux jeunes filles de relever leurs cheveux et de mettre une casquette et, de suite, je voyais si ça passait au pas. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, c’est quelque chose de magique. Est-ce que c’est la mâchoire, la forme des yeux. Mais il y a des filles qui seraient restées filles avec le maquillage ou la perruque. Quand Brune est arrivée, j’ai eu un coup de foudre. Marie-Luce et Léo étaient face à moi. Elle avait le sens du jeu, du rythme, de l’émotion, etc. En revanche, un an après, ma cheffe maquilleuse m’a dit, après avoir vu le film, qu’elle n’aurait pas pu en faire un garçon car Brune est devenue plus féminine.

Elle a un don inouï pour la comédie, dans le sens large du terme. Philippe Katerine et Pierre Richard avaient le trac avec elle tellement elle est douée. C’est étonnant. J’ai cru qu’elle m’avait menti lorsqu’elle m’avait confié ne jamais avoir tourné dans un film. Elle savait où se placer, prendre la lumière. C’était déstabilisant. Elle a une vieille âme Brune, quelque chose qui vient d’ailleurs. Mais aussi une vieille âme de comédienne. Elle est faite pour ça. Bien entendu, nous avons travaillé ensemble mais elle savait comment jouer. Je n’avais pas grand-chose à lui dire. Nous nous sommes également rencontrées humainement. Je retrouve chez elle, ce qu’il y avait en moi plus jeune. Je me sens proche d’elle. J’ai l’impression qe nous sommes faites de la même matière alors que nous avons une histoire différente.

« J’aime quand les films ne sont pas que verbaux et que ça passe aussi par le corps »

Il y a une magnifique scène de danse, après la fête où était Marie-Luce. Racontez-nous les coulisses de cette séquence salvatrice…
J’ai écrit cette séquence tardivement. Je l’ai écrite après m’être mise à danser en pleine rue, devant les regards perplexes des passants (rire). J’en avais besoin. Je me suis ensuite interrogée sur le pourquoi j’avais eu cette envie de danser dans la rue. Je voulais que ce personnage, recroquevillé depuis le début du film, signifie sa joie par le corps. Explose de joie par la danse. Ma maman était danseuse. La danse était un art important chez nous. J’ai été biberonnée aux comédies musicales. J’aime quand les films ne sont pas que verbaux et que ça passe aussi par le corps. La danse était un moyen solaire d’exprimer que Marie-Luce a le cœur qui fait boom.

« J’ai travaillé avec une psy pour faire la psychanalyse de mes personnages »

La film est aussi une histoire de famille, entre un père et sa fille…

L’écriture de ce film a été chaotique. Les années précédentes ont été compliquées pour moi. J’ai eu un enfant, mon papa est mort, il y a eu le COVID où nous nous sommes éloignés les uns des autres. Au dîner avec ma productrice, je me souviens qu’elle m’avait confié que les relations père/fille étaient importantes pour elle. Puis, je me suis perdue pendant l’écriture. Peut-être parce que je n’osais pas parler de ça. Finalement, j’ai assumé. Tout simplement. C’était important pour l’histoire, car c’est parce que ce père et sa fille ont du mal à communiquer que Marie-Luce est dans cet état. Parce qu’elle n’a plus de maman aussi. J’ai travaillé avec une psy pour faire la psychanalyse de mes personnages. Ça m’a beaucoup aidée, notamment pour comprendre ce que devait faire le père pour que sa fille aille mieux.

J’ai eu une très belle relation avec mon papa, très forte, avec ses accidents, ses problématiques dont je parle dans le film. Mon père m’aimait tellement qu’il n’avait pas envie que je lui échappe. J’ai traité ça de façon comique car la maladresse paternelle, c’est drôle. Ça m’a plu de raconter cette histoire d’autant que mon papa est parti aujourd’hui. Je pense ne pas avoir froissé la véracité de notre lien.

Le film se déroule dans une maison d’assistant familial, pourquoi avoir choisi cet environnement ?
Pour que le papa de Marie-Luce ne voit pas sa fille grandir, il fallait que ce dernier fasse un travail très prenant. Nous réfléchissions avec mon co-scénariste quelle activité il pourrait faire. Lors de l’écriture du film, mon papa était vieux et je baignais dans cet univers de la vieillesse. C’était mon quotidien. Une de mes co-scénariste m’a parlé de ce métier que je ne connaissais pas, accueillant familial. J’ai trouvé ce métier extraordinaire. Peu connu. Je me disais qu’il serait chouette d’avoir davantage de maisons comme celle-ci. C’est une manière de vieillir beaucoup plus joyeuse. Puis, c’est une famille. Ce ne sont pas juste des anciens. Firmine Richard est un peu comme la grande sœur culottée, Guy Marchand est le bébé dont on doit prendre soin, etc. Je l’ai construite ainsi, comme une famille nombreuse.

Marie-Luce se lie d’ailleurs d’amitié avec un des pensionnaires, incarné par Pierre Richard…

Je trouve ça joli les amitiés transgénérationnelles. J’ai toujours été attirée par les personnes plus âgées. Ils m’ont aiguillée dans la vie. Ça m’a apporté beaucoup de liberté parce que les personnes âgées pensent de manière plus libre parfois que les jeunes qui sont encombrés dans leurs angoisses de jeune (rire). Ce fut un socle rassurant. Leur amitié est originale mais elle me paraît totalement juste. J’ai la sensation qu’ils sont au même niveau dans leur vie, qu’ils doivent faire les mêmes démarches pour s’en sortir. […] Pierre Richard a tout de suite dit « oui ». C’était une évidence que de lui proposer ce rôle. Pour rendre crédible cette amitié, il me fallait un acteur qui est encore un regard d’enfant. Pierre Richard l’a toujours.

Quand je les filmais tous les deux, j’avais l’impression d’assister à une amitié du même âge. Brune était même presque plus sérieuse que Pierre. Il y a un sérieux dans la jeunesse et une légèreté dans la vieillesse.

– Ma critique du film est à retrouver ici.
– Mon interview avec la comédienne Brune Moulin est à retrouver ici.

La plus belle pour aller danser le 19 avril au cinéma.

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