Image : Zoé Haran et Maïra Schmitt recevant le Prix d’Interprétation Féminine au Festival de la Fiction de La Rochelle.
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Maïra Schmitt a cette petite touche d’innocence, de simplicité et de sérieux qui lui confère un charme atypique. Son sourire communicatif et ses yeux bleus profonds intensifient d’ailleurs cette singularité. Non, Maïra Schmitt n’est pas une actrice comme les autres. Son métier est avant tout une passion, un besoin vital de jouer et de défendre des rôles.
Ses premiers pas en tant qu’artiste, c’est au côté de son père qu’elle les réalise. Directeur de production, le jeune papa passe son temps à filmer sa fille. Pourtant, lorsque Maïra lui annonce qu’elle souhaite devenir comédienne, c’est un « non » catégorique. Malheureusement, il est trop tard. La machine est déjà lancée. Maïra, qui prend déjà des cours de théâtre le week-end sur Paris en partant de sa province, a l’envie brûlante de jouer. Avant de déménager à Montpellier, elle décide, à seulement 15 ans, de contacter des agents sur Paris avec un aplomb qu’elle-même ne soupçonnait pas. « Je sais que je n’ai rien fait, je sais que je m’en vais, mais je rêve d’être comédienne. Est-ce que je peux avoir ma chance ? », voilà les mots qui ont séduit l’agente Julie Artero. Depuis sa nouvelle ville, elle monte régulièrement sur la capitale pour passer des castings. La chance lui sourit. À 22 ans aujourd’hui, elle compte désormais parmi les figures fortes de la télévision française.
En parallèle, la comédienne prend des cours par correspondance. De psychologie d’abord, avant de se diriger vers des études de philosophie : « J’aime apprendre. Quand je ne tourne pas, je n’aime pas rester immobile. J’aime me lever le matin avec des choses à faire ».
Léo Matteï, Le Saut du Diable (1&2), La Faute à Rousseau, Maïra Schmitt se confie sur son parcours télévisuel, son passage au cinéma avec Slalom, sélectionné au Festival de Cannes 2022, et le téléfilm « La vie devant toi », qui sera diffusé le 14 juin sur France 2, et pour lequel elle a reçu en septembre dernier le Prix d’Interprétation Féminine au Festival de la Fiction de La Rochelle, au côté de sa partenaire de jeu Zoé Haran.
« J’étais campagnarde, je n’avais que les forêts et les champs pour terrain de jeu et c’est le plus grand bonheur du monde pour une apprentie comédienne. Car on peut faire tout ce qu’on veut, tout le temps, partout. Il n’y a aucun regard, aucun jugement des autres ».
Dans votre filmographie, il y a une tendance qui se dégage : le drame social. De quelle façon choisissez-vous vos rôles ? Est-ce important pour vous, en tant qu’actrice, d’aller sur ce genre de projets ?
Je pense qu’il y a une tendance particulière pour les drames sociaux car les gens dans la société, actuellement, ont davantage envie de parler, de s’exprimer. Et que ce soit à la télévision ou dans le cinéma, ils l’ont bien compris. Pour ma part, je trouve du social dans chaque rôle que l’on me propose. Forcément, j’ai une tendance favorite pour défendre ces projets. Alors que dans la vie, je ne suis pas la première des engagés. Je ne suis un peu nulle là-dedans. Mais c’est ma manière de soutenir les Français. Je suis un peu timide et réservée donc, pouvoir le faire à travers des films, c’est mon expression. […] Il y a deux types de films auxquels j’aspire : les drames sociétaux et les films de « performance » comme le biopic, où il faut vraiment s’imprégner d’un corps ou d’un personnage. Ce que j’aime dans les films sociaux, c’est qu’on a une certaine liberté par rapport à ce que l’on connaît, ce que l’on voit et ce que l’on entend autour de nous. Quand je vois que les films touchent, inspirent, ça m’implique encore plus personnellement. Mention particulière, par exemple, j’y suis arrivée par hasard, parce que j’avais passé le casting. Mais il s’avère que Marie Dal Zotto, qui joue la jeune fille atteinte de trisomie, m’a de suite touchée. C’est là que j’ai compris que j’avais envie d’aller vers ça.
Vous n’avez pas peur qu’on vous catégorise comme actrice de films sociétaux ?
Je ne pense pas. J’ai beaucoup réfléchi à ça et j’ai rapidement essayé d’ouvrir mes champs de possibilité. C’est pour cela que j’ai fait, en parallèle, des petites participations dans des séries comme Alice Nevers ou participé au Saut du Diable, où il n’y a pas d’enjeux particuliers. En tout cas, moins que dans des drames sociaux. Mais je suis contente lorsqu’il y a de beaux sujets à défendre. Je ne me ferme aucune porte. J’aime aussi les comédies. J’espère pouvoir en faire.
« Éloïse Matteï est mon opposé »
À la télévision, le grand public vous a surtout découverte grâce à la série Léo Matteï. Vous incarnez Eloïse, sa fille. Comment avez-vous vécu cette première grosse expérience télévisuelle ?
C’était génial ! En cours de théâtre, nous apprenons le jeu mais peu la technique. Arriver sur une énorme production comme celle-ci, avec des gens installés dessus depuis des années, ça permet de s’intéresser à tout ce qu’il y a autour. Léo Matteï m’a permis de comprendre ce qu’était une série. Je pense que j’ai tout appris du cinéma grâce à la série. D’autant que c’était un rôle difficile, Éloïse est mon opposé.
Avec Jean-Luc Reichmann, c’était un vrai bonheur. Il est très accueillant, très gentil. Je me suis tout de suite sentie chez moi. Jean-Luc est installé dans nos maisons depuis des années. Je le connais depuis toute petite. Quand j’allais chez mes grands-parents le midi, c’était Jean-Luc. Mes parents sont venus sur le tournage. Jean-Luc avait fait des autographes à mes grands-parents. Ce sont des petites attentions qui leur permettent d’être un peu avec moi.
Pour quelles raisons n’êtes-vous pas présente dans la nouvelle saison ?
Ce sont des raisons simples. Je fais des études par correspondance et j’avais besoin de me concentrer sur ça. Les tournages de Léo Mattéï tombaient souvent pendant mes examens. J’avais donc redoublé quelques années juste parce que je ne pouvais pas passer mes examens. Puis, le désir de faire autre chose également. Je n’avais pas envie de m’enfermer dans un type de rôle. On finit vite par se laisser emprisonner dans les séries récurrentes comme celles-ci. TF1 et Jean-Luc ont parfaitement compris que j’avais besoin de voguer vers d’autres horizons. J’ai pris une autre route mais je reviendrai faire un petit coucou.
« Je trouve ça touchant quand certains personnages que l’on a incarnés se relient entre eux »
Dans « La Faute à Rousseau » saison 2, vous incarniez Inès, une adolescente enceinte de 5 mois. De quelle manière se glisse-t-on dans un tel rôle ?
Pour me glisser dans le personnage d’Inès, la production m’avait donné un faux ventre à mettre dans la rue. Lorsqu’on a l’âge d’Inès et que l’on est enceinte, ce n’est pas anodin. Le regard des autres est assez important. En le portant dans la rue, je sentais les regards parfois parsemés de jugement, et d’autres indifférents. Ça a changé ma vision du rôle. Je n’avais pas envie que ce ne soit qu’un habit, qu’on met le matin et qu’on enlève le soir après le tournage. Puis, physiquement, c’est également différent. Ne serait-ce que dans la démarche. Quand on prend le train, par exemple, on ne peut pas s’asseoir comme d’habitude. On comprend le poids que ça peut être. J’ai adoré cette expérience parce que ça permet de composer vraiment un rôle. C’est amusant d’ailleurs parce qu’Inès et Éloïse Mattei avaient des points communs. Je trouve ça touchant quand certains personnages que l’on a incarnés se relient entre eux.
Ce que j’ai aimé aussi chez Inès, c’est ce passage de l’adolescence où les hormones vous chamboulent, vous questionnent. C’était la partie la plus intéressante à approcher. Néanmoins, il fallait que ça reste subtil.
Le tournage de cette série est particulier. La série se concentrant sur un ado par épisode. Le reste du temps, vous faites de la figuration. Comment avez-vous vécu ce tournage ?
Je suis habituée aux seconds rôles donc, ce n’était pas un souci. Mais il est vrai que vous êtes parfois tiraillé. Car, sur un épisode, le réalisateur vous demande plein de choses. Puis, d’un coup, nous ne sommes plus qu’une simple image dans le fond. Toutefois, je trouve ça super car nous avons davantage de libertés qu’un premier rôle où il y a plus de contraintes. Ce qui permet de tenir, c’est de se créer des images dans la tête. Je n’ai pas d’égo. Si une personne est dans la lumière, tant mieux, et je trouve ça génial d’être un support pour les autres. Ça enlève toute pression.
L’épisode s’appelait « Inès et le Destin ». Comment voyez-vous le vôtre ?
C’est un peu le flou (rire). Quand on est intermittent, on ne sait jamais de quoi demain sera fait. En tout cas, je travaille beaucoup pour avoir un destin à la hauteur de mes attentes. Je suis assez dure avec moi-même. J’ai envie que ça fonctionne car c’est un métier que je fais avec passion. Si ça ne marche pas, ça sera difficile moralement.
« C’est avec Slalom que j’ai compris à quel point les seconds rôles peuvent être beaux »
En 2020, nous avons pu vous voir au cinéma dans Slalom de Charlène Favier. Un film sur les violences sexuelles dans le milieu sportif. Vous jouez l’une des meilleures amies de Lyz (Noée Abita), le personnage agressé sexuellement par son entraîneur. Vous avez une relation assez ambiguë avec elle, puisque votre personnage semble avoir des sentiments pour Lyz. Parlez-nous de cette relation…
Noée est un peu comme un animal. Il faut gagner sa confiance. C’est hyper intéressant de travailler avec elle parce que c’est une actrice instinctive. Notre relation, nous l’avons construite naturellement. Au fur et à mesure des jours, nous nous sommes livrées. Puis, nous habitions ensemble pendant le tournage. Je parlais de second rôle, c’est avec Slalom que j’ai compris à quel point il pouvait être beau. J’étais son appui aussi bien dans la vraie vie que dans le film. J’étais là pour elle. Quand elle rentrait tard le soir, je lui préparais des bons petits plats parce que je savais que c’était important pour elle d’être bien en rentrant. De son côté, Noée a eu de jolies gestes à mon égard. À la fin du film, nos personnages devaient simplement se dire au revoir et, Noée a été voir la réalisatrice pour lui demander si elle pouvait avoir un vrai moment à elles. C’était un vrai parcours humain et professionnel. […] J’aurais aimé le défendre au Festival de Cannes en 2022 au côté de toute l’équipe. Mais il y a eu le COVID…
Dans une des scènes du film, votre personnage tente d’embrasser Lyz dans les vestiaires. Elle dévoile ainsi ses sentiments. C’est une scène puissante. Vous souvenez-vous des coulisses de cette séquence ?
C’est là où Charlène Favier, la réalisatrice, est géniale, c’est que dans des séquences très intimes comme celles-ci, même s’il y a toute l’équipe technique autour, nous avions malgré tout l’impression d’être dans une bulle. Avec Noée, nous avons joué cette séquence instinctivement, comme nous le sentions. C’était presque pulsionnel. Je pense que ça se voit à l’image. Nous étions à l’aise dans le jeu – donc, nous nous autorisions plein de choses -, nous étions respectueuses l’une de l’autre et nous avons composé avec la force de caractère de Noée. Quand mon personnage essaie de l’embrasser et que Lyz la repousse, j’avais l’impression de vivre ce rejet pour de vrai. C’est troublant. Ce sont de rares moments où nous pouvons vivre intensément ce que l’on joue.
« Dans chaque personnage, nous retrouvons une part de nous-mêmes, de notre propre histoire »
Le 14 juin, vous serez à l’affiche de « La vie devant toi ». Vous jouez Lisa, une jeune fille homosexuelle dans une famille traditionnelle. Vous entretenez une relation amoureuse avec Violette, incarnée par Zoé Haran. De quelle manière avez-vous construit cette relation ?
Je l’ai rencontrée au casting. Il me semble qu’elle avait déjà été sélectionnée et que ce jour-là, elle devait jouer avec plusieurs « Lisa ». Quand je me suis présentée au casting, nous portions le même pull, le même pantalon. Ce n’est rien sur le papier mais dans ce milieu-là, nous aimons bien les signes. Lorsque j’ai été choisie pour jouer Lisa, nous avons fait plusieurs lectures. Nous avions la même vision du téléfilm. Si Zoé était davantage renseignée que moi sur l’homosexualité, nous nous rejoignions pas mal car nous sommes de la même génération. […] Nous avons eu peu de tournages ensemble. C’est pour ça que nous avons l’impression d’avoir tourné deux films différents. Nous n’avons tourné que 4 jours toutes les deux. Une vingtaine pour elle, 8 me concernant. C’était très rapide pour moi. Mais comme tout le reste, c’est du jeu. C’est un travail d’équipe et nous écoutions la réalisatrice nous guider afin de rendre l’histoire et notre relation crédibles.
Comment la réalisatrice Sandrine Veyssetvous a guidée sur ce rôle ?
Sandrine était surprise parce qu’elle pensait que j’étais Lisa dans la vie (rire). Je suis plutôt classique dans ma manière de m’habiller et tout ça. Mais elle a rapidement vu que je n’étais pas catholique, pratiquante, religieuse. C’est sa surprise qui m’a étonnée. C’est une excellente directrice d’acteurs. Pour moi, ça a été un vrai plaisir de travailler avec elle. Elle est cash. Si elle aime quelque chose, elle le dit, si elle n’aime pas, elle le dit aussi. Nous ne nous sommes jamais perdus avec Sandrine. Ça vous plonge de suite dans une ligne directrice. En une lecture, nous comprenions le personnage. Parfois, avec d’autres réalisateurs, il faut le film pour le comprendre. Là, tout était clair. Elle a fait un très beau film.
Il y a une séquence terrible dans « La vie devant toi », celle où votre mère vous dit que votre homosexualité n’est qu’un passage, que vous n’êtes pas homosexuelle. De quelle façon avez-vous travaillé cette scène avec l’actrice Christelle Reboul ?
Je venais de passer 3 jours à réaliser toutes les séquences de famille, en larmes. Donc, j’étais déjà fortement imprégnée par ce que mon personnage venait de vivre. Nous avons tourné cette séquence en dernier et c’est une chance d’avoir pu la tourner à la fin, de façon chronologique. Souvent, sur les tournages, c’est assez rare. Christelle est généreuse et respectueuse. De fait, lorsqu’il a fallu pleurer, c’est venu sans forcer. C’est un cadeau, en tant qu’acteur, quand nous avons des séquences aussi précises à jouer. […] C’est horrible de penser qu’une mère de famille, des parents, puissent tenir de tels propos sur leur enfant. Vouloir, comme dans le téléfilm, envoyer son enfant dans un pays proche de chez nous (Luxembourg, Pologne, Hongrie, Bulgarie…) qui pratiquent des exorcismes sur des personnes homosexuelles ou la rééducation dans des camps spécifiques, c’est horrible. C’est une question qui mériterait d’être réglée, d’un point de vue mondial. C’est pour ça que je suis contente que le téléfilm soit diffusé sur France 2. Que le téléfilm s’invite dans le salon des gens. C’est un cadeau de pouvoir défendre ça, en direct, chez les gens.
J’ai aimé jouer ce personnage. Plus c’est éloigné de moi, plus je prends de plaisir. C’est un véritable travail de composition. Malgré tout, dans chaque personnage, nous retrouvons une part de nous-mêmes, de notre propre histoire.
Vous avez reçu toutes les deux le Prix d’Interprétation Féminine au Festival de la Fiction de La Rochelle 2022. On peut imaginer que ce fut un moment magique pour vous deux…
Absolument ! Quelques heures avant la cérémonie, dans les rues de La Rochelle, Zoé avait croisé quelqu’un qui lui avait conseillé de bien s’habiller pour la soirée. Nous pensions alors qu’elle aurait le Prix du Meilleur Espoir Féminin Adami. Le prix passe et elle me dit que ce n’est pas grave et que de toute façon, elle n’aime pas parler sur scène. Ça l’arrangeait. Lorsque le Jury a annoncé sur scène son intention de donner le Prix d’Interprétation Féminine à deux jeunes femmes car les deux personnages qu’elles interprètent ne peuvent pas exister l’un sans l’autre, nous nous sommes regardées avec Zoé. Mais nous ne voulions pas y croire parce que nous ne voulions pas être déçues. Quand ils ont annoncé nos prénoms, c’était juste l’extase. C’était que du bonheur. Nous n’avions rien préparé et je pense que ça s’est vu (rire). L’équipe était déjà partie. En montant sur scène, nous étions sur-excitées. C’est une magnifique récompense. Nous sommes jeunes et nous étions heureuses que notre travail soit récompensé comme les autres. Surtout sur ces sujets-là, ça fait chaud au cœur.
La vie devant toi, le 14 juin sur France 2.