Quatre ans après le magnifique « Hors Normes » et une série poignante, « En Thérapie » – qui sondait les blessures de l’âme humaine avec une justesse rare – le duo de cinéaste Eric Toledano et Olivier Nakache revient au cinéma avec la comédie « Une année difficile ». Ils explorent ici le problème de la sur-consommation au travers deux personnages surendettés qui s’engagent, un peu malgré eux, dans une association de lutte contre le réchauffement climatique. Un éveil pour les deux hommes ?
Un monde post-COVID
Une année difficile, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre inopinée entre deux hommes, Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen). Tous deux sont surendettés, après avoir contracté une multitude de crédits à la consommation, ils essaient de survivre, voguant de combines en débrouilles. Pour l’un, une descente aux enfers après une séparation douloureuse, pour l’autre une accumulation de dettes et l’impossibilité désormais de les rembourser. Deux parcours pas si différents que le destin réunit. Un heureux hasard, dans un moment où les deux hommes avaient besoin d’une épaule, d’un ami, d’un objectif commun pour relever la tête et sortir d’une spirale de déprime souvent oppressante lorsqu’on est seul. Une belle amitié naît, consolidée par des réunions au sein d’une association pour personnes surendettées, dirigée par un Mathieu Amalric fiché dans tous les casinos de France, mais surtout par leur intégration dans un groupe d’activistes écologistes, qui organise des actions coups de poing pour provoquer une prise de conscience généralisée.
De ce point de départ improbable, Eric Toledano et Olivier Nakache font ce qu’ils savent faire de mieux : mettre à profit des observations dramatiques pour alimenter la comédie.
Le rire pour dédramatiser.
Le rire pour s’armer contre un monde violent et dur.
Et ça fonctionne. Albert et Bruno, totalement déconnectés par les préoccupations écologiques, se prêtent au jeu et deviennent partie prenante des activités de l’organisation – sous le regard tendre puis amusé des spectateurs. Leurs moqueries amusent, leurs maladresses enchantent, divertissent, réjouissent. Un régal de situations aussi absurdes qu’ubuesques que les deux cinéastes mettent en scène avec autant de tendresse pour leurs personnages, qu’en les caricaturant (parfois à l’extrême?) pour les inclure dans des postures comiques complémentent décalées. Car au départ, rien ne laisse présager qu’Albert et Bruno deviennent les porte-étendards de la cause écologiste. Eux, veulent simplement vivre. Vivre normalement. Sans se préoccuper du lendemain. Et peut-on leur reprocher ? Peut-on reprocher aux gens de vouloir un toit sur la tête, un téléviseur, une machine à laver, un lit confortable ?
Ce sont deux univers qui entrent alors en collision. Un monde post-COVID, où la sur-consommation est le moteur d’un capitalisme effréné, pousse les gens à acheter toujours plus (symbolisé par la scène d’introduction du film lors du Black Friday) quitte à s’endetter, et un monde à l’image d’un film post-apocalyptique, où les magasins seraient fermés, les avions cloués au sol, les rues vidées de véhicules bruyants et polluants. Un monde moyenâgeux que prône nos amis écolos qui, si on y réfléchit, serait la porte de notre salut. Car n’en déplaise au progressiste, la sur-consommation de technologies et d’énergies fossiles n’est en rien compatible avec la sauvegarde de la nature et des êtres vivants (faune & flore).
Peu à peu, Albert et Bruno s’attachent au groupe. D’abord aux beaux yeux de Solène (Noémie Merlant) puis, y voient une opportunité de faire quelques coups bas pour se faire de l’argent (déménagement, revente de biens…). Cependant, il y a dans ce groupe de militants quelque chose qui leur manquait : une famille. Et il n’y a qu’un seul moyen de surmonter une année difficile, être entouré d’une famille. Toujours à l’écoute, toujours présente en cas de difficultés, la famille permet de se sentir moins seul, moins vulnérable, plus fort. C’est ce qu’Albert et Bruno finissent par trouver. Un moyen de survivre avec le sourire, le cœur plus léger, l’âme plus apaisée.
Image : Le câlin, un acte humain réconfortant, reposant, nécessaire. Une scène à la fois émouvante et d’une granded drôlerie. Avec Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Noémie Merlant.
Eric Toledano et Olivier Nakache créent ainsi une véritable fusion, une osmose parfaite entre la comédie et le drame. Une dramédie percutante dans ses engagements comiques, émouvante dans ses rapports humains et, notamment, cette histoire d’amour naissante entre la jeune militante et Bruno. Une relation qui semble sans issue tant leur mode de vie est si éloigné. Une relation, par ailleurs, à sens unique puisque Solène se refuse à l’amour. Les sentiments sont là, profonds et intimes, mais l’éco-anxiété de Solène et l’urgence climatique l’emprisonne dans un refus catégorique de lâcher prise. Une position qui paraîtra exagérée mais qui ouvre la porte à une magnifique conclusion au cœur d’un contexte pourtant difficile, que nous avons vécu il y a deux ans. Eric Toledano et Olivier Nakache transforment ainsi le réchauffement climatique en réchauffement poétique, rythmé par « La valse à mille temps » de Jacques Brel.
Conclusion
« Une année difficile » divisera. En jouant avec les clichés de l’écologiste type et en poussant les curseurs au maximum, certains spectateurs, extrêmement sensibles au réchauffement climatique, seront indignés. En 2023, à l’heure où le monde brûle, peut-on rire de ceux qui se battent pour la cause écologiste, tentent d’alerter les gouvernements sur ces sujets, en les caricaturant ? Quelques échos entendus ici et là vont déjà en ce sens. Néanmoins, si on parvient à se détacher un instant de cette urgence qui nous ronge, à comprendre que la comédie a toujours joué avec les clichés (pour le meilleur ou pour le pire) pour nous amuser, alors « Une année difficile » sera un authentique moment de rigolade, porté par un Pio Marmaï touchant et un Jonathan Cohen au summum de son art humoristique. Le film le plus abouti des réalisateurs Eric Toledano et Olivier Nakache ? À vous de juger !
Une année difficile le 18 octobre au cinéma.