Crédit photo : Thomas Nolf
Dans « Un coup de maître », Bouli Lanners (César du Meilleur Acteur dans un second rôle pour La Nuit du 12) incarne un peintre dévasté par la disparition d’une femme qu’il a profondément aimée. Réalisé par Rémi Bezançon (Le premier jour du reste de ta vie, Le mystère Henri Pick…), cette comédie dramatique récréative et poétique dénonce aussi l’incompatibilité entre l’art et le capitalisme, la façon dont les artistes doivent cohabiter avec ce nouveau système et la manière dont l’oligarchie s’approprie les trésors culturels pour afficher leur réussite financière.
Synopsis :
Propriétaire d’une galerie d’art, Arthur Forestier (Vincent Macaigne) représente Renzo Nervi, un peintre en pleine crise existentielle. Les deux hommes sont amis depuis toujours et, même si tout les oppose, l’amour de l’art les réunit. En panne d’inspiration depuis plusieurs années, Renzo sombre peu à peu dans une radicalité qui le rend ingérable. Pour le sauver, Arthur élabore un plan audacieux qui finira par les dépasser… Jusqu’où peut-on aller par amitié ?
L’amitié par la peinture
Arthur Forestier (galeriste) et Renzo Nervi sont amis depuis des années. Peintre reconnu dans le monde entier, Nervi est aujourd’hui un artiste boudé par les critiques. Considéré comme « has-been », Arthur continue pourtant de lui apporter une attention toute particulière, essayant par tous les moyens de vendre les œuvres de son ami aux personnes ayant encore de l’admiration pour le peintre ou de lui confier des commandes afin qu’il puisse sortir la tête de l’eau. Une mission quasi-impossible lorsque ce dernier déboule dans la galerie d’art de son ami pour tirer au pistolet sur une de ses œuvres, prête à être achetée, ou sabote une toile commandée par un groupe industriel qu’il a lui même confectionné. Une auto-destruction apparue suite à la disparition de sa femme et qui, avec le temps, a fini par ronger sa joie de vivre, son imagination, sa notoriété et ses créations. Une descente aux enfers qui lui vaut désormais une existence solitaire. Seulement, l’amitié sans faille d’Arthur et l’arrivée d’un apprenti, va peut-être changer la donne.
De là, Rémi Bezançon allie subtilement la détresse de son héros, Renzo Nervi, et la comédie naît de sa douleur, laquelle le pousse à agir en petit tyran imbuvable. De ses actes incongrus voire impitoyables, apparaît une attitude tragi-comique poignante dont nous nous sentons en compassion. Il y a, par ailleurs, dans cette douleur, quelque chose que traduit parfaitement Bouli Lanners. Avec son physique un peu ours et son côté bourru, il emporte une authenticité touchante. Dans son regard, se dégage une vraie tendresse qui se marie à la perte de l’être aimé de la plus belle des manières. Et c’est lorsque Renzo est au pied du mur, où il perd absolument tout, que le film prend un virage inattendu. Presque irrationnel. L’affection amicale pousse Arthur à élaborer des plans aussi absurdes qu’hilarants pour sauver son ami de sa détresse existentielle et financière. Retrouver une œuvre perdue chez une petite amie ou revendre l’intégralité des œuvres de Nervi au prix fort par des méthodes illégales, autant de séquences que Rémi Bezançon façonne dans une grande messe insoupçonnable et délirante. On s’amuse à les voir se débattre comme des diables pour survivre, à tenter de renaître l’un et l’autre au milieu de cette farce qu’est devenu le monde. Jusqu’à sa conclusion, où la morale transcende la comédie.
Au passage, notons une réalisation naturaliste qui s’évertue, comme le mouvement du naturalisme, à dépeindre la réalité au plus juste et non comme elle devrait être. En effet, Rémi Bezançon met en scène des personnages imparfaits, tragiques, mélodramatiques, dans un environnement violent, désabusé et ravagé par les exigences humaines et professionnelles. Un monde brutal où il faut parfois ruser pour s’en sortir et se réinventer. De ces paysages agités, Rémi Bezançon assimile sa caméra par les yeux de ses personnages, dans une démarche honnête que les comédiens lui rendent divinement. Et il s’amuse, de temps à autre, à peindre des images pour y superposer ses acteurs dans des décors irréels, dignes des plus grands tableaux (voir image ci-gauche).
L’Art & le Capitalisme, compatible ?
Dans son dernier acte, le film pose la question de la place de l’Art au sein d’une société capitaliste, où les prix des œuvres, exorbitants pour la majorité, devient finalement un marché pour une élite oligarchique qui n’achète non pas une œuvre d’art, mais un objet de luxe, un produit pour révéler sa puissance financière. Une bande-dessinée, une sculpture, une peinture sont alors déterminées par un capitalisme fou, qui fixe les prix selon des critères que le commun des mortels ignorent tout. Des Picasso qui valent des millions, oui, mais pourquoi ? Parce que c’est un Picasso ? Comme une paire de baskets Nike ou Adidas, nous payons le nom, la marque ? Qui en a décidé ainsi ? Surtout, qu’est-ce qui détermine réellement le prix d’une œuvre ? Le contexte historique, le temps passé sur celle-ci, la notoriété de l’artiste ?
Le personnage de Renzo Revi confirme toute la mascarade de l’art aujourd’hui : « Le milieu de l’art est une farce. Il est l’illustration de la corruption du monde que nous laissons derrière nous ». L’art corrompu. L’art devenu le reflet de tout ce qu’il est censé combattre est désormais le parfait miroir du capitalisme. Les banques possèdent aujourd’hui leur propre cabinet de conseils en achat d’œuvres d’art. L’art n’est donc plus qu’un investissement. De ce fait, l’élite s’approprie culturellement tout ce qui ne lui appartient pas et en exclut toute les « couches inférieures » de la société. Que restera-t-il au peuple ?
Derrière cela, n’y a-t-il pas la volonté d’exclure les gens de l’art, afin de mieux les contrôler leur pensée ? Car nous le savons, l’art, la culture sont le seul rempart face à l’obscurantisme, la seule arme de l’espoir et offrent la possibilité d’élargir son esprit critique. Et l’esprit critique, l’imagination, sont tout ce que détestent les élites.
Pire encore, cela corrompt aussi les artistes comme le démontre admirablement le personnage de Renzo Reni (Bouli Lanners) qui n’hésite d’ailleurs pas à prendre à revers un certain industriel dans une scène osée mais terriblement drôle de par son culot. Que ce soit par l’acceptation de commande ou l’obligation de peindre (dans le film), l’artiste est obligé de produire vite pour vivre. Cela ne date pas d’hier, bien entendu, mais conduit inexorablement à la conclusion que l’artiste n’a plus la fonction qu’il doit avoir dans notre société. L’idée de l’artiste libre, vagabondant dans le vaste monde au gré de ses plaisirs, produisant des œuvres lorsque l’imagination survient, n’est plus qu’une illusion.
En somme, le capitalisme n’est compatible qu’avec elle-même. Il noit toute la beauté de ce que peut produire l’humain (art, valeurs humaines…) dans un système monétaire et financier qui n’avantage qu’une poignée de personnes, laissant sur le carreau tout un pan de la société. Un coup de génie ?!
Conclusion
Nouvelle œuvre maîtrisée de Rémi Bezançon, Un coup de maître séduit par la force de son duo (Vincent Macaigne / Bouli Lanners), la tendresse et l’émotion invoquées par le drame du récit et la drôlerie d’un dernier acte délirant, porteur – en sous-texte – d’un message fort. Une belle réussite pour un film estival qui devrait conquérir le cœur du public.
Un coup de maître le 9 août au cinéma.