[SŒURS JUMELLES 2023] – HPI : RENCONTRE AVEC LE COMPOSITEUR YANNIS DUMOUTIERS

À l’occasion du Festival Sœurs Jumelles, rencontre avec le compositeur de la série à succès HPI, Yannis Dumoutiers. Nous revenons ensemble sur l’ambition musicale de la production et sur la création des thèmes emblématiques de la série.

« Quand j’ai lu le script, ce qui m’a tout de suite frappé, c’est le personnage de Morgane »

Racontez-nous comment vous êtes arrivé sur la série HPI et la façon dont vous vous êtes imprégné de l’univers de celle-ci, pour en composer la bande-originale ?
Cela s’est fait via un casting organisé à la fois par la chaîne et la production qui cherchaient un compositeur pour cette série dont ils venaient de tourner le premier épisode. J’ai notamment été amené à rencontrer les producteurs et les auteurs de la série, afin de présenter mon travail. Ils avaient envoyé le script de l’épisode à chacun des compositeurs pressentis. Si nous le souhaitions, nous pouvions proposer un ou plusieurs thèmes musicaux que la lecture du script nous avait inspiré. Je pense que le courant est bien passé avec les auteurs et la production et que je partageais leur vision musicale de la série […] Par la suite, lorsque j’ai été choisi pour travailler sur la série, ce fut beaucoup d’essais de thèmes, d’ambiances. Il fallait trouver et peaufiner la couleur musicale de la série, composer une musique à la fois éclectique et identitaire, moderne et intemporelle.
Parfois, l’inspiration va venir naturellement. Et nous parvenons à proposer une musique qui séduit à la fois le réalisateur, les producteurs et la chaîne. Par moment, nous allons simplement retravailler certaines choses parce que ce n’est pas tout à fait la bonne direction et, de temps à autre, il faut reconstruire totalement car ce n’est finalement pas la bonne direction. Là, ce fut un peu un mélange de tout ça. Mais parfois, plus on construit et déconstruit, plus on en oublie l’ADN même de ce qu’on recherchait initialement. Dans ce cas, je pense alors qu’il est bon de faire un break et de repartir d’une page blanche. On revient ainsi à l’essentiel : qu’est-ce que la série raconte ? Qu’est-ce qu’elle a de particulier ? Quand j’ai lu le script, ce qui m’a tout de suite frappé, c’est le personnage de Morgane. Une héroïne haute-en-couleur, multi-facettes, qui peut à la fois être irritante mais très attachante, dynamique mais d’une flegme agaçante. Plein de contradictions qui, dans la musique, doivent se combiner pour former quelque chose qui soit tout de suite identifiable et devenir emblématique de la série. L’idée du timer, a été le point de départ de la mise en musique et, finalement, ce qui a donné la couleur au reste de la série.

Cette notion de temps et ce tic-tac justement, que l’on entend dans le générique (vidéo 1 ci-dessous) notamment, d’où vient-elle ?
L’idée du tic-tac ne vient pas de moi. Rendons à César, ce qui appartient à César. J’avais des thèmes qui plaisaient à la production, au réalisateur, mais il manquait ce petit truc qui pouvait faire basculer la musique vers quelque chose de beaucoup plus singulier et identifiable. J’en ai discuté avec Santi, le boss de Kaptain Music et c’est là qu’il m’a proposé l’idée de travailler sur un son plus mécanique, assez stressant, avec une notion de temps qui passe, qu’on pourrait démarrer et stopper à notre guise et qui viendrait illustrer les capacités hors-normes du personnage principal à effectuer des associations d’idées lui permettant de résoudre une énigme à une vitesse fulgurante. L’option du son de chronomètre s’est alors assez vite imposée. C’est donc de cet échange qu’est apparue la création de ce mouvement pendulaire qu’on entend dans le générique et dans quasiment toutes les séquences de « démonstrations » de Morgane.

« Le thème de « Morgane et Karadec », je l’avais développé sur le premier épisode de la saison 1 alors même que l’histoire entre les deux n’avait pas démarré »

Parlez-nous des thèmes de « Morgane » (vidéo 2 ci-dessous) et de « Morgane et Karadec » (vidéo 3 ci-dessous), emblématiques de la série…

J’avais déjà le thème de « Morgane » en tête dès le début de la série et c’est de ce thème de 4 notes qu’a découlé celui du générique et celui de « Morgane et Karadec ». Je suis parti de ce thème que j’ai étoffé avec des éléments rythmiques, mélodiques et harmoniques et auquel j’ai adjoint l’idée du timer. C’est devenu le générique de la série. Puis, pour le thème de « Morgane et Karadec », je suis parti de ce même thème de « Morgane » que j’ai simplement ralenti, et que j’ai harmonisé différemment. En effet, je m’étais demandé comment nous pouvions donner une couleur et un ton plus romantique, plus intime à ce thème en en gardant sa structure mélodique identifiable.

Car si Morgane est un personnage exubérant, elle a aussi beaucoup de failles, de blessures du passé, d’ histoires personnelles et amoureuses compliquées. Il fallait donc partir de son thème mais le faire évoluer différemment. Le fait d’avoir des harmonies différentes et un tempo plus lent a donné naissance à ce thème de love-interest entre Morgane et Karadec. D’ailleurs, ce thème de « Morgane et Karadec », je l’avais développé sur le premier épisode de la saison 1 alors même que l’histoire entre les deux personnages n’avait pas démarré. Il est né lors du visionnage d’une séquence au cours de laquelle on voit Morgane rentrer chez elle dans ce quartier de la ville de Lille, un peu tristounet ; il ne fait pas beau et elle se retrouve seule avec sa vie amoureuse et familiale un peu compliquée. Il y avait donc déjà cet aspect mélancolique du personnage qui transparaissait, malgré son apparente pétillance. Néanmoins, je ne voulais pas tomber dans le mélo. C’est ce côté positif, cette lumière dans l’obscurité, qui a fait que ce thème a pu ensuite se développer sur l’histoire d’amour entre les deux personnages.

Un simplement ralentissement peut donc tout changer…
Oui. J’avais découvert ça par hasard. Quand j’étais petit, j’écoutais beaucoup de vinyles et il y avait un 45 tours de Sting, que j’avais lu par erreur en 33 tours . Cela conférait à la musique une toute autre émotion. J’ai eu cette confirmation lorsque j’ai entendu plusieurs chansons des Beatles composées initialement dans un mode majeur et transposées dans un mode mineur (ou inversement). Ce n’était plus du tout la même musique. C’est là qu’on se rend compte que selon la façon dont il sera joué, le tempo auquel il sera exécuté, l’instrument avec lequel on va l’ interpréter, un simple thème peut basculer dans des émotions totalement opposées.

« Il y a de l’audace dans les choix musicaux »

Concernant les musiques achetées, avez-vous un droit de regard ?
Ce sont souvent les réalisateurs qui sont à l’origine de la demande de synchronisation par rapport à une séquence précise. Parfois, ce sont les auteurs eux-mêmes qui peuvent proposer des choses. Je sais qu’Alice Chegaray-Breugnot, une des auteurs, aime beaucoup écrire en musique. Elle avait par exemple proposé la musique de Pretty Woman pour le premier épisode de la saison 2. Après, il y a ce qui est imaginé et ce qui est réalisable. Certaines synchros coûtent horriblement cher. Pour ma part, je n’ai pas vraiment de droit de regard. Si toutefois j’avais une idée précise pour un épisode, je pense que je pourrais la soumettre et qu’elle serait étudiée si elle était susceptible de mettre en valeur une séquence ; car c’est finalement ce qui est recherché.
Parfois, lorsque la chaîne n’obtient pas les droits, je peux être amené à composer un titre « dans l’esprit de… ». C’est arrivé sur quelques épisodes. Je pense, par exemple, à la musique des Who utilisée pour le générique des Experts. J’ai proposé un « pastiche » de cette musique, quelque chose de parodique, quasi-caricatural. Et finalement, à l’image, c’est plus efficace que si on avait utilisé le titre original.

En trois saisons, nous sommes passés par trois univers musicaux différents. La troisième saison était axée sur le rap/hip-hop.
C’est le truc génial avec HPI. D’une saison à l’autre, les auteurs, les producteurs et la chaîne ont aussi je crois cette volonté, de ne pas rester sur leurs acquis tant au niveau scénaristique que visuel et musical. Oui, c’est une série qui marche mais elle ne perdurera que si elle sait se renouveler. Il y a de l’audace dans les choix musicaux.
Dans le troisième épisode de la saison 3 par exemple, on plonge pleinement dans l’univers du hip-hop avec cette artiste de rap assassinée. Nous souhaitions donc nous inscrire dans un univers musical urbain qui puisse résonner avec ce qui se fait dans ce style aujourd’hui. J’ai donc écouté pas mal de productions de différents artistes de Drill ou de Trap, pour tenter d’en comprendre les mécanismes et de proposer des ambiances musicales qui s’en inspirent. Ce fut très plaisant !

Vidéo 1 – Générique

Vidéo 2 – Thème Morgane

Vidéo 3 – Thème Morgane & Karadec

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