Il incarne le terrifiant et impitoyable juge de Lancre dans la nouvelle fiction de France Télévisons Filles du Feu, le comédien Bruno Debrandt est absolument délicieux dans ce rôle de méchant inspiré de faits réels. Il revient sur la construction de son personnage – de sa caractérisation à la création de son costume -, et dévoile la manière dont il a vécu ce tournage singulier dans la région du Pays Basque.
« Les méchants sont plus agréables à aller chercher, pour en dessiner les contours entre paradoxes et ambiguïtés »
Qu’est ce qui vous a convaincu d’accepter le rôle du juge de Lancre ?
Je suis toujours le même petit garçon. Le rêve d’acteur, c’est de se déguiser et de jouer dans des films historiques, monter à cheval, combattre à l’épée. De plus, lorsque c’est un tournage en région, j’adore. Ça nous sort de notre zone de confort et nous pouvons aller à la rencontre des gens. C’est un autre élément que je prends en compte pour partir à l’aventure d’un film ou d’une série. Ici, c’était 2 mois et demi dans les Pays Basque, dans les terres, une région sublime avec des paysages dingues, où les gens sont charmants. Ensuite, c’est mon artisanat, quand vous avez une partition historique – Le juge de Lancre a vraiment existé et c’est une figure encore importante dans le Pays Basque, il est dans les comptines traditionnelles – cela me permet de faire un voyage dans l’Histoire. Avec le juge de Lancre, j’ai fouillé aussi son histoire et la période dans laquelle il s’inscrit. Visiblement, c’était un homme qui avait sûrement des comptes à régler avec le Pays Basque, l’Espagne et toute cette région où il avait eu quelques soucis. Puis, c’est le début de la médecine, de l’exploration des corps, de l’Encyclopédie bientôt, les gens commencent à vouloir devenir érudits mais ils ont encore des enfants. C’est une période magique pour creuser des caractères et une humanité avec toute sa complexité mais aussi son appétit. Ce personnage a été un cadeau. Les méchants sont plus agréables à aller chercher, pour en dessiner les contours entre paradoxes et ambiguïtés.
« Dorian Grey, Faust, les méchants dans Walt Disney […] tous ces univers m’ont inspiré »
Dans Filles du Feu, vous interprétez le juge de Lancre. Quel travail avez-vous fait pour incarner et composer le rôle du juge ?
Je fais un premier travail de documentation. J’ai voyagé dans son écriture. Il a laissé en héritage, deux tomes énormes sur la démonologie. Donc, nous avions une trace écrite de sa main, poétique, scientifique, complètement idiote et parfois bien pensée malgré des idées de fou. Ensuite, il y a les commentaires historiques, il y a des traces de ce Juge sous Henri IV. Puis, je me suis amusé à trouver ce que je pourrais lui apporter d’exceptionnel, de fantastique. Un homme qui brûle des femmes et des enfants sans sourciller, il faut essayer de le comprendre, comprendre comment ça fonctionne dans sa tête, dans son ventre. Je me suis appuyé sur la relation qu’il avait avec Morguy. C’était une de mes pistes.
Il fallait, pour croire à une histoire d’amour pure, naïve, pour que ce soit acceptable, pour qu’on soit bouleversé par cette histoire et qu’on ait peur pour Morguy en permanence, trouver un endroit de pureté. J’ai pensé à l’intégriste. Dans le mot « intégriste », il y a le mot « intègre ». Je me suis dit qu’un intégriste, capable de tuer pour ses idéaux, est convaincu de ses idées, convaincu de son amour, convaincu que les homosexuels sont une abomination, etc. Je voulais trouver cet endroit de sincérité. C’est là-dessus que j’ai travaillé, sur un type suffisamment sincère et passionné, passionnel, pour que ces sentiments soient comme ceux d’un enfant, c’est-à-dire à l’image de la cruauté d’un enfant. Un enfant peut découper une grenouille, simplement parce qu’il veut savoir ce qu’il y a à l’intérieur. Et c’est cruel. Donc, c’est cet endroit-là, de naïveté, de candeur et de passion que j’ai cherché de Lancre.
[…] Je ne voulais pas faire une sorte de Dark Vador, ni même un méchant sans nuance. Que ce soit un prosélyte, un esthète. Un type où les jeunes comprennent qu’un extrémiste, quelque soit la religion ou le culte, peut être charmant, séduisant, troublant et dire des vérités perturbantes. Je voulais trouver un fil authentique.
Dans l’attitude, la démarche, le phrasé aussi, comment avez-vous travaillé ? Car il n’y a pas de documents vidéos à disposition pour ces aspects là ?
Effectivement, mais il y a le travail des costumes. Lorsqu’on vous mets un queue de pie, vous ne marchez pas du tout pareil. Les chaussures plates du Moyen-Âge, où il n’y a pas de semelles, c’est la même chose. Tout ça fait que vous avez une démarche particulière. Par la suite, j’ai été chercher chez ce bonhomme une espèce de raideur, je l’imaginais rêvant de devenir Cardinal – c’est pour cela que j’avais mis du pourpre dans ma petite besace – et, en même temps, c’est un homme de Dieu dont personne n’a voulu. C’est devenu un fou, un Inquisiteur. Je voulais qu’il soit rigide et extrêmement précieux. Qu’il ait peur des choses sales. Par exemple, les araignées. Qu’il soit guindé, élégant, soigné, plein d’ambiguïté. C’est le diable. Et le Diable s’habille en Prada. Il y a quelque chose de cet ordre-là. Un mélange de Dorian Grey, de Faust. Les méchants dans Walt Disney sont toujours très élégants, raffinés. Tous ces univers m’ont inspiré.
« Pouvoir attraper un rôle de films historiques, c’est comme si nous faisions un peu le film d’une vie »
Le costume, vous a-t-il aidé à mieux vous glisser dans le rôle ? Vous avez pu discuter avec le ou la costumière de sa création ?
Je n’ai fais que ça. Nous nous sommes rencontrés au début du projet et nous en avons discuté ensemble. Il avait tout un stock. Et nous avons construit le personnage à partir de ça. Avant de le rencontrer, par hasard, en me promenant, je suis tombé sur une boutique un peu gothique et d’héroïc-fantasy. En regardant l’univers du sorcier, du magique, de l’occulte, j’ai trouvé une bague avec trois ancres et j l’ai achetée. J’ai gardé cette bague sur moi plusieurs semaines avant de rencontrer l’équipe artistique. Cela m’a directement placé dans une ambiance étrange, à la fois marine et fantaisiste. J’ai travaillé également avec une spécialiste du cinéma qui m’a appris à écrire à la plume et à la mine de plomb. J’ai fait des pages d’écriture pour trouver une écriture fluide.
Je me baladais après avec ma plume et mon encrier, pour dessiner et écrire. Un mois avant de tourner, j’étais déjà bien embarqué. Avec le costumier, nous avons cherché la couleur, la matière, pour faire un costume à la fois chic et austère, un peu mormon, qu’il n’ait aucun signe de faste, ni aucune prétention dans son habit comme peut l’être D’Urthubie. Il prône l’austérité et l’humilité, qui sont des mensonges, bien entendu. C’est pas à pas que nous avons défini le costume.
C’est le chef costumier de La Reine Margot de Patrice Chéreau, qui a conçu les costumes de la série. Nous avions une équipe d’un talent inouï qui nous fabriquait des costumes sur place, qui faisait les patines, les masques des sorcières et un travail avec la nature, les arbres, les branches, les feuilles, les griffes… Ça nous plonge dans un univers. Puis, nous avons tourné dans le château de la Reine Margot, dans le château de Cazeneuve, qui est un site extraordinaire, protégé par l’UNESCO. Vous voyagez dans le temps. Puis, lorsque vous déambulez en costume, dans ces décors, vous êtes au XVIème siècle. Après, vous attrapez la langue et vous disparaissez dans l’univers. Tout ceci a été possible grâce à l’équipe artistique. C’est un projet où l’argent a été mis au bon endroit.
[…] Pouvoir attraper un rôle de films historiques, c’est comme si nous faisions un peu le film d’une vie. J’avais en tête mes pairs de théâtre. Ils ont laissé une trace. On ne peut pas penser à Michel Bouquet sans penser à Javert. Ou Hopkins avec Hannibal Lecter. Ce sont des personnages qu’ils ont incarné avec une particularité, une singularité qui leur donne une autre dimension. Une dimension emblématique dont on se souvient. Dark Vador, tout le monde sait qui c’est. Pourtant, il est simplissime. Un casque et une cape sous un habit noir. Mais c’est le dessin parfait du méchant. Et cette voix… Là aussi, j’ai été chercher des graves que je n’ai pas moi, quelque chose d’extrêmement ventral, de doucereux pour incarner le juge de Lancre. Un méchant à la Walt Disney. Ils ont des voix graves et, en même temps, très séduisantes qui vous endorment. À l’image du serpent dans Le Livre de la Jungle. C’est un travail de composition. Un régal !
« On flirte avec l’imaginaire, il est facile de s’imaginer tout un tas de choses »
Avez-vous ressenti des présences, eu des expériences étranges en tournant dans ces décors imprégnés, chargés ?
Ce fut une expérience forte pour tout le monde. Nous avons vécu des aventures qu’on ne comprend toujours pas. Forcément dans ces lieux, il y a des fantômes, une âme, une énergie dingue. […] La série traite de la sorcellerie, du magique, et il nous est tous arrivé des trucs inexplicables. Nous avions la sensation de réveiller quelque chose. Le sujet qu’on traite, ce n’est pas n’importe lequel, on réveille les forces de la nature. Donc, nous nous faisions peur nous-mêmes, comme la veillée chez les scouts. J’ai perdu ma voix, par exemple. Le jour où nous devions tourner une scène de procès, et moi qui n’ai jamais de problèmes sur un tournage, je me suis réveillé aphone. Totalement. Plus un filet de voix. Je pensais qu’on m’avait jeté un sort. Tout le monde était inquiet. Quand je suis arrivé aux costumes pour l’habillage, j’apprends que mon costume a été brûlé. Il était un peu humide et mis trop près d’un radiateur. Il a commencé à se consumer. Ça s’explique. Mais, le fait de débuter une matinée ainsi, c’est étrange. Je n’étais pas tranquille. On flirte avec l’imaginaire, il est facile de s’imaginer tout un tas de choses. J’ai retrouvé ma voix seulement au moment des premières scènes. À la mi-journée, j’avais retrouvé totalement ma voix.
Il y a une séquence que j’aime beaucoup dans la série, c’est celle de la réunion dans la grotte. Racontez-nous les coulisses de cette séquence incroyable et l’ambiance…
C’était comme une bande de fous, 100 personnes qui ne se connaissent pas, réunies dans une grotte avec des plumes et des bouts de bois sur la tête (rire). Il y a des gourdes en peau, soi-disant des breuvages et des substances pour planer. Car c’était des réunions de grandes transes. Donc, c’était une grande rave party, gérée par toute une équipe technique qui essayait de calmer ce monde-là pour dire « couper », « silence », « action », etc. En réalité, tout le monde s’est pris au jeu, tout le monde est rentré en transe. C’était très friendly parce qu’il fallait avoir une certaine discipline. […] Nous avons tourné cette séquence dans une grotte historique, un site magnifique.
Cette chasse aux sorcières, c’était surtout une guerre contre les femmes. Vous partagez cette réflexion ?
C’est le méta-langage du projet. La série, au-delà du plaisir d’incarner ce personnage dans un contexte historique fort, c’était de remettre au goût du jour un fait historique européen pour parler du féminicide. Cette histoire ne parle de rien d’autre. À cette époque-là, les femmes n’ont pas le droit de voter, pas le droit de faire des études, n’ont pas le droit de gérer un budget… Au Pays Basque, ils étaient en avance sur leur temps puisque pendant les six mois où les marins sont en mer, c’était les femmes qui géraient la santé, les soins, les affaires… Elles avaient des savoirs que les autres hommes n’avaient pas comme les soins par les plantes. En France, c’était mal vu. Et les hommes, à l’image du juge de Lancre, ne voulaient pas perdre le peu de pouvoir qu’ils possédaient. De fait, on les disait hérétiques, folles, avec des pouvoirs. Une femme savante était forcément une sorcière. Il fallait les tuer. La connaissance fait peur. Cette série est l’histoire d’un féminicide. On utilise le contexte de la Chasse aux Sorcières pour parler du rapport des hommes avec les femmes.
Mon interview avec l’actrice Lizzie Brocheré est à retrouver ici.
Filles du Feu, actuellement en diffusion sur France 2.
Très très bon Bruno super acteur
J’attends avec impatience voyageurs à Metz
À bientôt
Bernard