Après Corporate, premier long-métrage du réalisateur Nicolas Silhol et consacré au rapport de domination dans le monde du travail, le cinéaste s’attaque désormais à sujet de société peu connu, celui des résidents temporaires et, à travers lui, la crise du logement. Avec Anti-Squat, il révèle les rouages d’un système qui profite de la pauvreté pour en tirer profit. Bouleversant !
Un thriller sociétal haletant
Inès a perdu son emploi. Bientôt à la rue avec son fils de 14 ans, elle accepte un emploi chez Anti-Squat, une société qui loge des personnes dans des bureaux inoccupés pour les protéger contre les squatteurs. Elle est donc embauchée pour choisir les résidents temporaires qui occuperont les bureaux d’une entreprise et s’assurer que chacun des occupants respectent les règles qui leur sont imposées. Parmi eux, des profils divers et variés : un chauffeur VTC, un professeur d’histoire, une comédienne ou encore une infirmière… Tous ont accepté un contrat, loger sur les lieux en échange de la protection et de l’entretien des locaux, sur une période de six mois et un loyer de 200€. Si le film révèle les problèmes du logement, elle met aussi en évidence la façon dont la misère des gens est instrumentalisée. Car, en temps normal, qui accepterait de vivre ici, dans de telles conditions et avec des contraintes si importantes (pas d’animaux, pas d’enfants, pas de fêtes…) ? La protection par l’occupation est un des nombreux fléaux du capitalisme. Exploiter par la contrainte, contraindre pour mieux exploiter. De là, Nicolas Silhol dresse le portrait d’une société dans sa représentation la plus authentique, composée d’une multitude de visages, qui s’adapte à un environnement brutal (qu’on appellera le monde), à des politiques qui ne se préoccupent guère de leur sort. Derrière ces résidents, des êtres humains en souffrance, des êtres humains sensibles, des « galériens » comme dirait très justement Adam le fils d’Inès, que Nicolas Silhol va continuer de mettre à rude épreuve. Il tisse de ces personnages un thriller puissant et une narration en toile d’araignée qui va enfermer son héroïne dans un grand piège auquel il lui sera difficile de s’extirper.
Dans son approche scénaristique, Anti-Squat ressemblerait à s’y méprendre un autre film sorti plus tôt cette année, Le Marchand de Sable de Steve Achiepo. Qu’il s’agisse de Djo (Moussa Mansaly) ou d’Inès (Louise Bourgoin), ces deux héros se battent pour leurs enfants, pour leur offrir une vie meilleure, font face à des dilemmes moraux insurmontables et, se confrontent à des êtres sans humanité, sans aucune valeur morale. Car pour survivre et, par extension obtenir un CDI et un logement décent pour sa famille (l’enjeu pour Inès), il faut parfois mettre de côté ses idéaux.
La promesse d’embauche ne se fera qu’à une seule condition pour elle : virer les résidents des locaux avant la date butoir, alors que ces derniers avaient encore quatre mois de location dans leur contrat. C’est dans ces moments-là qu’on voit les ravages du capitalisme sur les gens, la façon dont il les met dans des postures inconfortables, pervertit les personnalités et change radicalement votre vision du monde. Résister ou obtempérer ? Le récit bascule dans l’horreur. Devant son fils, Inès résiste d’abord. Avant de rendre les armes pour assurer un avenir à Adam. Nicolas Silhol ne fait aucun compromis dans son histoire, lui assurant une viscéralité pénible, à la fois pour Inès comme pour le spectateur.
Bien heureusement, il reste des traces d’humanité dans Anti-Squat et notamment chez Adam, qui apporte un vrai contraste par ses rébellions et sa manière précoce de réfléchir aux maux de la société. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce sont les mots qu’il choisit pour libérer sa parole.
Rapper les malheurs
Le jeune Samy Belkessa est LA révélation du film. Il est à la fois l’enjeu principal du film (lui donner les clés pour une belle vie) mais aussi l’artisan d’une future révolution, celle de la jeunesse. À 14 ans, cet adolescent a conscience du monde qui l’entoure, bien plus que la plupart des adultes. Et c’est à travers le rap qu’il exprime son mal-être et celui des autres. Dans « La vie des gens », écrite par Adam, il prend l’exemple des résidents actuels pour crier la souffrance des petites gens et le dysfonctionnement d’une société malade. Avec ces séquences chantées, le réalisateur Nicolas Silhol appuie la dramaturgie de ses personnages, de ses héros du quotidien, en dévoile l’intimité et la complexité. Des raps organiques, profonds, émouvants, qui transportent le récit dans une dimension pleine d’espoir. Car s’il reste encore des personnes capables de dénoncer, capables de mener des combats et des révolutions, c’est bien la preuve que rien n’est perdu ?
Dans le regard de Samy Belkessa se dégage tout ça. De la colère, un esprit révolutionnaire, un altruisme à toute épreuve et de l’espoir. Il forme avec Louise Bourgoin un duo tout en nuance et qui se complète parfaitement. Inès permet à son fils de grandir dans de bonnes conditions au prix d’un grand sacrifice moral et, de son côté, Adam montre à sa mère qu’une voie plus noble est possible, importante, nécessaire.
Conclusion
Anti-Squat est dans la lignée de ces films d’auteurs sociétaux intelligents qui ne se contentent pas de poser un regard sur un problème, de les pointer du doigt en surface, mais qui soulève concrètement les failles d’un système en y exposant les drames humains avec une intense véracité. Porté par deux comédiens talentueux (Louise Bourgoin et Samy Belkessa), Anti-Squat est une véritable plongée dans l’enfer des « résidents temporaires ». Un film avec de l’ampleur et conscient de ses enjeux, palpitant et poignant.
Anti-Squat, le 6 septembre au cinéma.