[CRITIQUE] – UN MÉTIER SÉRIEUX : LA VRAIE VIE DES PROFESSEURS

Le réalisateur Thomas Lilti quitte le milieu de la médecine et s’attaque au corps professoral. Avec « Un métier sérieux », l’ancien médecin généraliste livre un hommage vibrant aux enseignants dans un récit fidèle entre remise en question, adaptation et vie de famille. Un film important, qui va au-delà des clichés et des caricatures du genre.

Créer des liens

Benjamin est un jeune doctorant. Pour payer ses études, il accepte un poste de professeur de mathématiques dans un collège de banlieue, malgré son inexpérience. Il découvre un métier difficile au sein d’une institution en péril. Cependant, Benjamin va tisser des liens avec un groupe d’élèves mais aussi avec les enseignants du collège : Meriem (Adèle Exarchopoulos), Fouad (William Lebghil), Pierre (François Cluzet), Sandrine (Louise Bourgoin) et Sophie (Lucie Zhang).

« Un métier sérieux » est d’une éloquence rare. Un film choral d’une puissance phénoménale mais surtout d’une justesse profonde. Il y a dans « Un métier sérieux », une authenticité unique sur le quotidien des professeurs qu’on ne retrouve nulle par ailleurs. Ce n’est pas vraiment un hasard puisque dans la famille de Thomas Lilti, on y compte plusieurs professeurs et enseignants, dont sa mère. Peut-être est-ce pour cela que le cinéaste parvient à trouver une exactitude dans les faits, une retranscription précise sur les difficultés d’un métier sérieux, exigeant, mais aussi une tendresse à leur égard dans une réalisation douce, sensible et harmonieuse.

Au travers ses héros et héroïnes de l’enseignement, Thomas Lilti soulève une multitude de problématiques, notamment des réflexions sur la manière d’instruire les élèves. Les temps changent et, avec lui, la façon d’enseigner. Les élèves, également, sont de moins en moins intéressés par les cours. Certains s’ennuient, d’autres ne voient aucun intérêt à lire un Zola ou à connaître le théorème de Thalès. Les professeurs doivent modifier leur méthode de travail, à l’image de Pierre, le plus âgé du groupe, qui a bien conscience que ses cours sont ennuyants : « Mes cours sont chiants, mes cours sont plombés, les gamins s’emmerdent et moi aussi je m’emmerde ». Un constat appuyé par une inspectrice académique après un passage dans la classe de Sandrine, professeur de SVT : « J’ai trouvé votre cours… assez ennuyeux ».

Comment attirer, captiver, donner envie aux élèves d’écouter, d’apprendre, de se cultiver ? Quelques professeurs rusent. C’est le cas de Meriem qui propose de réunir les collégiens en cercle, plutôt que par rangées. Néanmoins, Thomas Lilti ne donne jamais réellement les clés pour répondre à cette problématique (les as-t-il par ailleurs ? Est-ce réellement l’objectif du film ?), ni s’avise de donner des leçons aux professeurs. Ce n’est pas un film moralisateur, davantage un support filmique afin de mettre en lumière les sujets auxquels les enseignants sont confrontés. Et ils sont nombreux !

Outre les cours, Thomas Lilti dévoile tout ce qu’on leur demande à côté et que nous ne voyons pas. Pour preuve, cette séquence de préparation aux urgences que les professeurs doivent assimiler. Un document de 40 pages à lire, à comprendre, à mémoriser, sans aucune aide, sans aucune formation. Rien de plus. Lorsque l’alarme retendit, que le danger est imminent, chaque professeur a un rôle prédéfini : couper les fusibles d’alimentation, chercher le téléphone d’urgence… Toutefois, le chaos est total. Un professeur fait une erreur. Inévitable dans cette confusion. Et c’est la réprimande. « On nous en demande toujours plus » confie une des professeurs dans une séquence énervée face à un directeur d’établissement imperturbable.

Thomas Lilti révèle là une réalité insoupçonnable, celle d’un métier où les cours ne sont que la partie émergé de l’iceberg. Créer des liens forts avec ses élèves, les encadrer, les protéger, préparation des cours et correction des copies, formations sur des thèmes divers et variés, administration et renouvellement de circulaires à adopter à chaque rentrée, tout se mélange et écrase les professeurs d’une surcharge de travail à peine imaginable. Sans compter l’orientation des adolescents et leur avenir…
Car oui, on oublie également que les professeurs et les professionnels (éducateurs, assistants sociaux…) ont la vie des élèves entre leurs mains, leur destin dans une décision. La séquence du conseil de discipline est intense, douloureuse et déchirante. Chacun a son avis sur la question, sur la meilleure solution à prendre, parfois tranchée, parfois plus nuancée. Un conseil de discipline est souvent la garantie d’un décrochage scolaire, d’un retour en arrière impossible comme le souligne le personnage de Pierre. Que faire quand un élève a dépassé la limite ? Dans « Un métier sérieux », Thomas Lilti met en scène des protagonistes tiraillés entre leur devoir, leur sentiment personnel et l’envie profonde d’aider les élèves au maximum, entre désillusions et obligations, entre protection et responsabilité.

La vie d’à côté

Thomas Lilti ne s’attarde pas que sur le côté professoral. Le film montre, raconte, en parallèle, la vie quotidienne des professeurs en dehors des murs du collège et la complexité de jongler entre un métier prenant et une vie de famille nécessaire. Un équilibre à trouver, délicat. Certains en paient les pots cassés. Pour les professeurs, 17h ne sonne pas la fin de la journée. Préparer les cours du lendemain, les contrôles ou les DST, corriger les devoirs aussi vite que possible, autant de facteurs susceptibles de créer des conflits familiaux, des absences injustes, des séparations incompréhensibles pour les enfants… C’est ainsi que Thomas Lilti appuie la dramaturgie de son récit, en y absorbant des familles brisées : divorce, conflits père/fils, mère/fils…

Des scènes souvent violentes (verbales ou physiques), qui apportent une émotion vive, saisissante à cette histoire et nous permet, en tant que spectateur, de pouvoir non seulement s’identifier à eux et de démonter les clichés entourant soi-disant « la vie facile » des professeurs. La souffrance, la peine, les touche aussi profondément. Et la stabilité familiale est un des défis quotidiens auxquels ils doivent faire face.
Heureusement, il y a parfois l’amitié entre les professeurs. Une entraide qui réchauffe, et que le réalisateur présente dans des séquences chaleureuses en dehors du collège avec des soirées, des dîners entre collègues. Des scènes qui, parfois, libèrent de la lourdeur du propos, une bouffée d’air frais, par leur aspect humoristique.

Conclusion

« Un métier sérieux » est sans conteste un des meilleurs films français sorti depuis le début de l’année 2023. La nouvelle réalisation de Thomas Lilti ne repose pas que sur son casting 5 étoiles, performant et rigoureux au demeurant, mais surtout sur la reproduction véridique d’un métier trop souvent méprisé et ô combien noble et fondamental à notre société. Un grand film de cinéma, éminent, émouvant, bouleversant, et ce qu’il faut de comédie pour nous rassurer.

Mon interview avec le réalisateur Thomas Lilti et les comédiens Vincent Lacoste et Wiliam Lebghil est à retrouver ici.

Un métier sérieux, le 13 septembre au cinéma.

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