La créatrice de la série Irrésistible, Clémence Madelaine-Perdrillat, et la réalisatrice des trois derniers épisodes Laure de Butler reviennent sur les différents processus créatif de la nouvelle production Disney +, du casting au scénario, en passant par la direction artistique et la mise en scène.
Racontez-nous la genèse de ce projet, mais surtout l’idée de cette fille qui fait des malaises lorsqu’elle est trop proche de l’homme qu’elle aime…
Clémence Madelaine-Perdrillat : Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire une comédie romantique. Je sortais de l’écriture de « En Thérapie », qui avait été dure et intense. J’avais donc envie d’écrire quelque chose de plus léger, de très romantique. J’en ai parlé avec mon producteur Arnaud de Crémiers qui a tout de suite été emballé par le projet. Nous avions aussi la sensation qu’en France, il n’y avait pas assez de comédies romantiques, de séries sur lesquelles on s’engageait en tant que spectateur. Puis, assez vite, j’ai eu l’idée de parler du deuil amoureux et de pourquoi nous avions parfois du mal à nous remettre des histoires qu’on a vécues. Et, d’ailleurs, peut-être que ce n’est pas grave de ne pas s’en remettre. Je souhaitais que ça se manifeste concrètement. C’est pour cela que mon héroïne souffre de ce syndrome post-traumatique amoureux qui m’amusait beaucoup. Je trouvais ça drôle qu’on tombe amoureux de quelqu’un qui nous rend malade. Puis, comment on joue avec ça, comment ces crises pourraient devenir des comiques de répétition, qu’on les voit venir et qu’on s’en amuse, tout en ayant de l’empathie pour elle.
Vous Laure, qu’est-ce qui vous a motivée à participer à ce projet en tant que réalisatrice ?
Laure de Butler : Je pense que j’avais besoin de changer de genre. J’ai commencé sur du polar, un genre que j’aime énormément, mais je ne voulais pas être qu’une réalisatrice de polar. Je voulais donc changer de registre, me remettre en danger aussi, et savoir si j’étais capable de pouvoir raconter autre chose que des enquêtes. Arnaud de Crémiers suivait mon travail et nous échangions régulièrement. Quand ils sont venus me proposer, j’ai bondi sur l’occasion d’autant que le scénario me plaisait beaucoup. C’était le pari parfait. Ça m’emmenait ailleurs, dans un autre rythme de narration avec d’autres personnages, d’autres enjeux, une forme idéale.
« Ce qui va inciter le choix d’une direction de lumière sur telle ou telle scène, c’est l’émotion de la séquence » – Laure de Butler.
Irrésistible est une série très colorée, très vivante, comment avez-vous travaillé la charte graphique de la série ?
CMP : J’avais plusieurs envie avant de rencontrer les réalisateurs. Il y avait le désir d’un Paris authentique, un Paris du 19ème arrondissement avec les Buttes Chaumont, avec cette identité des quartiers populaires que nous n’avons pas assez vus. Là-dedans, de remettre quelque chose de plus vintage avec une colorimétrie chaude, qui est celle du studio de radio où travaille Adèle (Camélia Jordana). Il s’agit d’un ancien studio de musique et nous retrouvons les tapis au sol, les murs de bois, le côté cocon. Je trouvais ça chouette d’avoir une arène-cocon à la colorimétrie diverse, notamment parce que nous avons tourné en janvier-février et que les personnages sont habillés avec des gros pulls, des écharpes… Il se dégage un truc chaleureux malgré le temps froid.
LDB : Toute la direction artistique a été réalisée en triangle avec Clémence et Antony, dès le départ. Il y a eu un sublime travail du chef décorateur, Jean-Marc Tran Tan Ba et le chef costumier, Pierre Canitrot, qui se connaissaient déjà et avaient travaillé sur des projets aux identités visuelles fortes. En amont, Clémence avait aussi préparé pas mal d’éléments. Ensuite, ce sont des choses techniques, quelles caméras, quelles optiques, car selon ce qu’on choisit on va accentuer certaines choses : des noirs plus denses, des couleurs vives plus vives, etc. Ce qui va inciter le choix d’une direction de lumière sur telle ou telle scène, c’est l’émotion de la séquence. Ce sont des discussions, des échanges. Ce qui est étonnant c’est que rien ne change entre le polar et la comédie romantique, mon travail reste le même. Je m’approprie une histoire, essaye de la comprendre, ce que l’auteur veut raconter et, derrière, de profiter de ces personnages et de les faire vivre. De ramener de la vie.
À l’écriture, il y avait déjà cette tonalité colorée ?
CMP : Oui, il est vrai que je précisais déjà pas mal de choses à l’écriture. Ça me tenait à cœur que ce soit coloré et dynamique. Je voulais que ce soit une série qui avance, où il perpétuellement des actions : on enregistre un podcast, on apprend des choses qui sortent un peu de façon marivaudage et, en même temps, on fait une crise d’angoisse. Il avait cette volonté que tout se mélange avec dynamisme.
Clémence, parlez-nous de la caractérisation des deux personnages incarnés par Camélia Jordana et Théo Navarro-Mussy…
CMP : Je voulais que ce soit des gens intelligents qui travaillent sur des objets d’études autour de l’amour. Elle travaille autour de l’amour via les témoignages et lui via les mathématiques et la sociologie. C’est aussi ce qui explique pourquoi l’un et l’autre tombe amoureux, qu’ils tombent amoureux du cerveau de l’autre. C’est par leur communication autour de l’amour qu’ils parviennent à se rencontrer, lui en lisant le livre d’Adèle ; elle lorsqu’il parle de l’amour. Ce n’est pas un hasard.
Il y a une belle alchimie entre eux. Avez-vous participé au processus de casting…
CMP : J’ai un poste auquel je tiens beaucoup, c’est celui de la direction artistique. C’est un poste rare pour les créateurs de série. J’étais très reconnaissante à Disney + et à la production de me permettre d’avoir un regard sur l’intégralité des processus, des essais costumes jusqu’au montage final. Pour répondre à votre question, j’avais écrit pour Camélia, avant même que Disney ne soit dans la boucle. Camélia s’était engagée sur le pilote. Pour Théo, je l’avais vu dans la saison 2 d’« Hippocrate ». Il était génial ! Je m’étais dit lorsque je l’avais vu danser sur Femme Like You que ce garçon avait un potentiel comique de dingue, qu’il fallait exploiter. Ensuite, l’alchimie, elle se découvre quand on voit les acteurs. Lorsque nous les avons fait se rencontrer, il s’est passé un truc.
« Je crois qu’on a tous envie d’endroits-refuges, de séries qui nous font réfléchir sur ce qu’on ressent, à nos sentiments » – Clémence Madelaine-Perdrillat
Parvient-on à se détacher des inspirations de comédies romantiques qu’on affectionne, quand on écrit la sienne ?
CMP : J’ai beaucoup été inspirée par « Coup de foudre à Notting Hill » et la seconde saison de « Fleabag », qui a un potentiel romanesque énorme avec cette histoire d’amour impossible entre l’héroïne et le prêtre. J’avais envie de me reposer sur ces passages obligés dans la rom-com : la rencontre, le premier baiser, les échecs, la pluie… Tous ces canons, cela m’amusait de les détourner. Et, à l’intérieur de ça, de réinsufler des histoires qui parlent de notre monde contemporain à l’image de la sœur d’Adèle, qui raconte son histoire d’amour pendant un podcast. Puis, évoquer des choses très féminines comme la fausse-couche. C’était important qu’il y ait d’autres récits à l’intérieur de la rom-com qui soient modernes.
Le bisou sous la pluie, c’est un passage obligé (rire) ?
CMP : C’est très plaisant. Je voulais traiter ces personnages avec tendresse et qu’on soit avec eux. J’avais la sensation parfois que, peut-être, dans la comédie, nous avions tendance à mettre un peu de cynisme. Ce n’est pas l’endroit où j’ai envie d’aller. Je voulais qu’on se réjouisse et que, lorsqu’il y a un baiser sous la pluie, on en profite complètement. […] Puis, ce sont des scènes toujours magiques et qui fonctionnent car, je crois, qu’on a tous envie d’endroits-refuges, de séries qui nous font réfléchir sur ce qu’on ressent, à nos sentiments. Nous sommes dans une société où ce n’est pas courant de parler de ses sentiments.
On nous demande en efficacité, en rapidité. Poser pour réfléchir à l’amour, c’est important. Tous ces spectateurs aiment ces moments-là.
LDB : Dans la mise en scène de cette séquence, celui du baiser final, je voulais jouer sur ce chassé-raté et donner une résonance à la fin de l’épisode 3. En terme de plan, j’ai épuré au maximum. Il y avait aussi l’envie de suspendre le temps. On a travaillé avec un steadycam et la grue pour garder cette sensation de flottement, d’être dans ce moment suspendu, de déclaration et d’attente de réponse.
J’aime beaucoup l’idée du plan fixe sur un personnage au début de chaque épisode, avec les lettres du mot IRRÉSISTIBLE qui s’incorporent à l’image. D’où vient cette idée ?
CMP : C’est une réflexion que nous avons eu avec Antony Cordier, le réalisateur des trois premiers épisodes. Nous nous sommes demandés comment faire un générique-titre, puisque nous devions mettre le titre de la série à l’image, et comment le faire en étant proche des personnages et en essayant d’inventer quelque chose. J’aime beaucoup l’idée du regard caméra, qui vient de « Fleabag ». Lorsqu’Antony m’a proposé cette idée avec les portraits, c’était exactement ce dont je rêvais. Accompagné de la musique de Yuksek, qui adoucit le tout.
LDB : Ce qui était important dans ces portraits, c’était aussi que chacun ait une attitude différente qui le caractérise. Nous avons fait plusieurs prises pour essayer de chercher ça, mettre en exergue un aspect du personnage. Pour ma part, j’ai travaillé avec un steadycam. C’est du réglage assez classique, nous avançons vers le comédien ou la comédienne et le cadreur débulle. Nous avions également la musique sur le plateau, afin d’avoir le tempo précis et nous savions combien de temps nous avions pour avancer. C’était une chorégraphie à mettre en place.
« On parle peu de mise en scène dans la rom-com » – Clémence Madelaine-Perdrillat.
Il y a de vraies belles propositions scénographiques, je pense notamment à cette scène magnifique sur le banc avec la neige qui tombe…
CMP : A l’écriture, il y avait des moments déréalisés. Cet instant sous la neige, je savais que ça serait compliqué. Il y avait des regards caméra un peu difficiles. J’avais écrit un final sous la pluie, et un passage obligé à la gare avec ce rendez-vous manqué, mais qu’on assume le côté too-much de la rom-com. Ça m’amusait de discuter avec Antony et Laure autour de la réalisation. On parle peu de mise en scène dans la rom-com. On a l’impression que ce qui est davantage mis en avant ce sont les comédiens et le jeu et c’est capital mais, si vous regardez « Coup de foudre à Notting Hill », il y a une scène où Hugh Grant marche en plan séquence et où les saisons défilent. Chaque fois que je pense à ça, je me dis qu’on peut avoir des idées, de la poésie dans ce genre.
Entretien réalisé au Festival de la Fiction de La Rochelle.
Ma critique d’Irrésistible est à retrouver ici.
Actuellement du Disney +.
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