[INTERVIEW] – DRONE GAMES : PLONGEZ DANS LES COULISSES D’UN FILM UNIQUE, ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR OLIVIER ABBOU

Primé au Festival de la Fiction de la Rochelle dans la catégorie Meilleur Unitaire, « Drone Games » est la nouvelle réalisation spectaculaire d’Olivier Abbou. Après le succès « Les Papillons Noirs » (disponible sur Netflix), le cinéaste nous revient avec ce projet singulier, à la mise en scène folle et à l’image sensationnelle. Plongez dans les coulisses extraordinaires et invraisemblables d’un film hors du commun.

Synopsis :
Tom, un adolescent solitaire et fan de drones, croise la route d’une bande libre et joyeusement anarchiste qui l’entraîne dans une série de braquages avec des drones, aussi furtifs qu’impressionnants. Le temps d’un été, c’est un monde d’exaltation, d’amour et de danger qui s’ouvre alors à lui.

« Je voulais que tout soit réel, qu’on le sente, que ce soit un film artisanal »

Racontez-nous la genèse de ce projet…
Ça a commencé en 2015, Thibault Lang-Willar avec qui j’ai écrit le scénario, me montre des courses de drones dans une forêt en Île-de-France. C’est la première fois que je voyais ça. On découvre que tout ça, c’est du pilotage en FPV, First Personne View. Un masque sur le visage, une manette à la main, pas du tout un pilotage de drone classique. C’est comme un petit avion, il faut déjouer la gravité, toujours être en propulsion, toujours en mouvement sinon, le drone tombe. Nous avions la sensation de voir des images de Star Wars. C’était impressionnant ! Nous sommes donc allés rencontrer ces gens et nous avons découvert une communauté. Et Thibault me lance sur cette idée d’un groupe, en rupture avec la société, avec un mode de vie et une philosophie à part, qui fait des cambriolages avec des drones pour récupérer une partie de ce qui leur appartient. Nous avons aussi pensé à « Point Break ».

La particularité de ce projet, c’est que certains plans sont tournés avec des drones. J’en veux pour preuve cet incroyable plan-séquence au début du film. On y découvre l’environnement où se déroulera l’action du film et la vie, parfois intime, des habitants de ce village. Comment avez-vous tourné cette séquence incroyable ?
C’est un vrai plan-séquence, sans effets numériques. Honnêtement, c’était impossible de le réussir et, encore aujourd’hui, je ne sais pas comment nous avons fait. Ce sont des mois de préparation. Sur le tournage, c’est 35 régisseurs, 200 figurants, un droniste dans un van pour ne jamais perdre le contact avec le drone, 14 spots différents avec des acteurs qui ont des scènes à jouer au bon moment à l’arrivée du drone, entre chien et loup, car j’avais envie qu’il n’y ait que deux prises possibles. Les dronistes venaient de Marseille et nous avons beaucoup répété dans des terrains vagues, des squats, des bâtiments, action par action, pour voir si chacune d’entre elle pouvait fonctionner : arriver près d’une fenêtre, tourner autour d’une voiture avant de repartir, l’attaque du chien sur le drone, etc. Puis, refaire tout cela sur les vrais décors. Le jour J, nous avons commencé à midi et nous avons tourné le plan à 20h30. Je voulais vraiment que ce soit entre chien et loup, entre la fin de journée et le soir, parce que c’était le moment le plus beau, ce moment où il y a encore cette lueur dans le ciel, ce bleu magnifique. Nous avons fait une première prise, pas vraiment satisfaisante. Nous avons alors lancé le drone pour une deuxième prise, qui s’est crashé dans la forêt. Dernière chance. Nous avons ressorti un autre drone, c’était la seule prise possible et nous l’avons réussie.

[…] Sur le tournage, les régisseurs étaient cachés avec des talkies-walkies pour annoncer aux comédiens l’arrivée du drone. Ça a été répété toute la journée. C’était très stressant et émouvant à la fois. Quand nous avons réussi la prise, nous avions les larmes aux yeux.

Démarrer par un plan-séquence était obligatoire ?
C’est la première scène écrite au scénario. Évidemment, j’ai réécrit les saynètes à l’infini mais le plan-séquence a été la première chose que j’ai écrite. Il fallait être fidèle à ce désir des origines. Je ne me voyais pas faire machine arrière. Ça aurait été mauvais pour la suite. Je me rappelle que toute l’équipe retenait son souffle. C’est mon équipe, je la connais bien, donc il y avait aussi cette surenchère entre nous : quel plan encore plus dingue nous allons pouvoir réaliser pour surpasser celui du projet précédent ? Puis, ça donne le ton du film. On rentre dedans directement et on sait qu’on va voir des plans jamais vus ailleurs.

Il y a une autre scène impressionnante, la course de drones dans le parking d’un centre commercial. Cette séquence était également complexe à réaliser ?

Oui. Nous avons là aussi répété cette séquence pendant des mois. Petit morceau par petit morceau, comme pour le plan-séquence. La difficulté supplémentaire ici c’est qu’en effet, il y a 8 drones qui sont pilotés. Il y a beaucoup de crash, dont un avec une moto, il faut les faire traverser des voitures par les fenêtres et passer devant un enfant et sa glace, etc. En revanche, c’était là 8 jours de tournage car ce n’est pas un plan-séquence.

Nous avons tourné avec deux caméras au sol, en suivant un storyboard d’une trentaine de pages (le film en comporte 250). Je pense qu’elle a demandé trois semaines de montage. 24 semaines au total. C’était long mais nécessaire.

Votre film utilise plusieurs formats d’images, pourquoi ce choix ?
Effectivement, il y a des changements de formats permanents. Le 16:9, qui implique la caméra des drones lorsque nous sommes en immersion, le format en carré 1:33 et on rouvre en 1:66 sur la toute fin, qui n’est d’ailleurs plus en numérique mais en 35mm. Nous avons un ado confiné dans sa vie, et lorsqu’il intègre la bande, il vit sa vie rêvée, sa vie de cinéma. Très basiquement, c’est cela que j’avais envie de raconter. Mais plus globalement, je savais que les changements de formats à des rythmes assez effrénés, qui impliquent aussi les passages avec les drones, allaient donner une dynamique chaotique et anarchique à l’ensemble. Comme des impacts visuels permanents. C’était davantage un travail sur les sensations, un travail sensoriel, et l’envie de raconter, avec ces changements de formats, l’ouverture à la vie enfin pour Tom. Voilà les deux raisons principales.

« Je ne souhaitais pas que le film soit trop propre, mais que ça sente la vie »

Drone Games a une image atypique qu’on voit rarement, au niveau du grain, des lumières et des couleurs. Parlez-nous de votre travail sur l’image…

Ce qui a porté la direction artistique, la mise en scène, l’image et le montage, ainsi que la façon de faire jouer les acteurs, c’est la volonté que film ressemble à cette bande : un énorme bordel organisé, que ça ait un impact sensoriel sur le spectateur. Il y a d’ailleurs peu de travail numérique sur l’image, il n’y a quasiment aucun VFX. Tout a été fait en vrai. Je voulais que tout soit réel, qu’on le sente, que ce soit un film artisanal. Et c’est aussi parce que la bande est comme ça. Mon chef opérateur à travailler deux mois avec un prestataire pour fabriquer une caméra avec un système de « dépoli », un système installé devant la caméra avec des sortes de plaques de verre. C’est très technique mais cela crée des aberrations chromatiques, optiques.

Il suffisait de changer d’axe pour que l’image soit différente. Ça donne une approche assez organique au film. Je ne voulais pas étalonner, donc nous avons gardé les différences, les contrastes, afin d’avoir cette image dynamique.
Un jeune spectateur m’a dit que l’ambiance lui rappelait celle des films rétro-futuriste, c’est à la fois vintage comme look et vu ce qui s’y passe à l’intérieur, ça semble futuriste. Ça crée quelque chose d’intemporel. L’idée était également de brouiller les pistes en permanence, à tout point de vue. Je ne souhaitais pas que le film soit trop propre, mais que ça sente la vie. C’est un film young-adult et nous ne sommes pas très loin – même si le film est plus « sale » – des filtres Instagram avec ce format carré. C’était une manière de taper dans l’œil des jeunes. Il y a toujours plein de raisons à des choix artistiques.

C’est un film qui dénonce et montre une jeunesse qui souffre et qui a peur pour son avenir. C’était le cœur du projet, dès le départ ?
Oui. C’était comment nous nous en sortons dans un monde qui est en train de s’effondrer, politiquement, socialement, climatiquement ? Et comment, lorsqu’on est jeune, on aborde tout ça ? Je n’avais pas envie que ce soit trop désespéré, au contraire, se dire qu’on peut agir, qu’on peut essayer de construire une vie en rupture avec le monde d’aujourd’hui, et montrer cet élan du « one life », nous n’avons qu’une vie, profitons de chaque instant. La joie et la fête ont une place importante dans le film. C’est donc très présent car je considère que je n’ai filmé que des décors post-apocalyptiques, en tout cas, de ce qu’il restera de notre civilisation si elle s’effondre : une usine d’amiante, des parkings impersonnels, des supermarchés, des fast-foods, etc. Ce n’est pas pour rien que la plupart des films de zombies se déroulent dans les supermarchés. Il y a quelque chose qui a été choisi dans nos décors pour caractériser notre monde capitaliste, post-industriel. C’est du béton, c’est froid. C’était nécessaire de raconter ça au travers les yeux de cette bande.

« Un film, c’est un documentaire sur ses propres tournages »

Justement, comment avez-vous construit cette bande ?
J’ai caractérisé au mieux ces personnages, sans être naïf. Il y a forcément des tensions dans la bande, un moment où un des membres veut récupérer la place de leader, et tente d’imposer sa parole et de faire pression sur les autres. Quel que soit le collectif, il y a toujours quelque chose de cet ordre, qui va prendre le pas sur l’utopie initiale. Je voulais parler de ça. Puis, avoir cette bande où chacun a des compétences différentes, tous s’unissent autour d’une passion et d’illustrer une forme de diversité autant que par les origines, que l’orientation sexuelle, le genre. Sans pour autant en faire un manifeste. On n’insiste pas dessus. Une fois le scénario terminé, il fallait trouver les acteurs. Ce fut plusieurs mois de casting. Car, une fois que nous avons trouvé le bon acteur, encore fallait-il que ça fonctionne en tant que bande. J’avais plusieurs bandes et après plusieurs mois d’essais, celle-ci a fonctionné immédiatement. De suite, il y a eu entre eux une alchimie. Je fais également un parallèle entre cette bande et la mienne. Je travaille sur chaque projet avec la même équipe. […] La façon dont on fait un film se ressent dans celui-ci. Un film, c’est un documentaire sur ses propres tournages. C’est un leitmotiv auquel je crois beaucoup.

Vous avez remporté le prix du Meilleur Unitaire au Festival de la Fiction de La Rochelle, en septembre dernier. Ça a été un moment merveilleux ?
Qu’un film comme celui-ci marque le Festival de la Fiction de La Rochelle, c’est fantastique. Après la projection du film au Festival, il y avait eu un accueil très chaleureux. J’étais heureux de voir que cela avait touché les gens. Au-delà du film d’action, les gens avaient été émus, touchés, par l’audace et la liberté de cette jeunesse que nous avons essayé de dépeindre. Le film a résonné chez les jeunes gens mais aussi chez des personnes plus âgées, comme si ça avait été un bain de jouvence, quelque chose d’enthousiasmant. Cette force de liberté nous a guidés. J’ai senti ça dans les retours.

Drone Games, le 19 octobre sur Prime Video.

Casting : Angèle Metzger, Orlando Vauthier, Axel Granberger, Camille Léon-Fucien, Maxime Thébault, Alice Belaïdi, Grégoire Colin, Sarah Jague…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *