[CRITIQUE] – GUEULES NOIRES : UNE DESCENTE EN ENFER SANGLANTE

Pour sa troisième réalisation, Mathieu Turi nous embarque dans les méandres des mines, univers particulièrement hostile, où l’ombre d’une créature mythologique terrifiante plane sur une équipe de mineurs. Ce qu’ils ont réveillé aurait dû rester endormi, un slogan promotionnel qui tient toutes ses promesses. Entre aventure archéologique, descente horrifique et oppressante, et monstre lovecraftien, Gueules Noires réunit les genres avec une habileté que seul Mathieu Turi sait combiner. Grandiose !

Des larmes et de la crasse

Après les déserts post-apocalyptiques, sous forme de comédie romantique, et les tubes infernaux (d’une autre planète?), Mathieu Turi s’engouffre dans l’univers des mines françaises de l’année 1956 pour planter le décor de son nouveau long-métrage : « Gueules Noires ». Dans une retranscription fidèle des faits, le réalisateur expose ainsi la mine où se déroulera l’action du film et présente ses protagonistes, leurs personnalités, dont un certain Roland (Samuel Le Bihan), le leader naturel et héroïque du groupe. Son équipe, composée de Bruno Sanches (Santini), Thomas Solivérès (Louis) – dans un rôle à contre-emploi détestable -, Diego Martin (Miguel) et Marc Riso (Polo), accompagne le professeur Bertier (Jean-Hugues Anglade) à la recherche d’une civilisation perdue dans les entrailles de la terre. Une introduction nécessaire afin d’affirmer le caractère douloureux et sinistre des mines et du destin tragique des mineurs qui y travaillaient à cette époque. De la sueur, des larmes, de la fatigue, un sentiment familial et de solidarité se dégagent alors de cette exposition authentique, où la couleur de peau n’est même plus un critère « Tu sais comment on nous appelle nous les mineurs ? Les Gueules Noires. Parce qu’une fois en bas, Italiens, Espagnols, Français ou Arabes, on a tous la même couleur, celle du charbon ». Des liens forts qui, au fur et à mesure du récit, contribueront à la dramaturgie d’une narration dont la perte et le deuil seront les moteurs de ses héros (pour survivre) mais aussi leur plus grand tourment.

C’est donc ici, dans ce lieu qu’aucun homme ne voudrait connaître, qu’est réveillée une créature mythologique (le secret le mieux gardé de la promotion et on comprend pourquoi !), conçue par Jean-Christophe Spadaccini, déjà à l’œuvre sur « Hostile » et « Méandre ». On bénit la rencontre entre Mathieu Turi et le maquilleur/prothésiste car, avec « Gueules Noires », les deux hommes se sont surpassés et ont créé une divinité absolument épouvantable de férocité. D’une beauté effrayante, ce monstre aux influences lovecraftiennes et des années 80, nous plonge aussi dans ce cinéma d’antan dont certains d’entre nous sont nostalgiques.

Cela lui confère également une aura de toute puissance, une apparence hors-du-réel, une dimension fantastique impénétrable et insaisissable. D’autant que Mathieu Turi lui bâtit tout une background, un récit prophétique pour épaissir son mystère et renforcer non seulement la peur autour de lui mais aussi de ce qu’elle serait capable une fois libérée dans notre monde extérieur.

Côté réalisation, Mathieu Turi insuffle un côté anxiogène à la fois dans sa manière de filmer l’environnement souterrain des mines, en alternant par des plans irrespirables, étouffants, car très recentrés, et des plans sur des points de vue à l’horizon, d’un noir glacial, où se terrent mille dangers, ainsi que par des jeux de lumière perturbants qui brouillent les perspectives et les champs. Un travail d’orfèvres sur les cadres, les contrastes, les jeux de lumières, les noirs, qui amènent une vraie esthétique au film ainsi qu’une immersion totale dans l’horreur des événements, que l’on doit par ailleurs au directeur de la photographie Alain Duplantier. Son travail photographique sur le noir et blanc, et son œil, profitent à « Gueules Noires » et notamment sur les gros plans des acteurs. Il parvient à capter dans le regard des comédiens, toute l’inquiétude, le doute, le stress, l’angoisse.

Le concept du film reposant en partie sur ces jeux de lumières alimentés par les lampes torches sur les casques des mineurs, Mathieu Turi et Alain Duplantier trouvent là aussi des astuces afin de styliser l’image et offrir, en même temps, une plongée dans ce mauvais rêve que vivent les protagonistes. Ce sont ces lampes torches qui sont les uniques percepteurs de la panique.

Conclusion

Plus qu’un film d’enfermement, « Gueules Noires » est un vrai mélange des genres, entre l’horreur et l’aventure, où l’appât du gain transforme l’aspiration à une vie meilleure en cauchemar gore et insidieux. Ode à « The Descent », « Indiana Jones » et à l’univers de Lovecraft que Mathieu Turi revendique, « Gueules Noires » a cependant sa propre identité visuelle, riche, singulière, soignée, aux partis pris ambitieux, à l’image de la musique d’Oliver Derivière aux tonalités lugubres. Intense, caniculaire et suffocant, le film atteint son principal objectif, celui de nous ensevelir émotionnellement dans une mine du Nord de la France au côté de ses ouvriers. Étonnamment, Mathieu Turi prend le contre-pied de ce qu’il avait déjà réalisé avec Hostile et Méandre. En effet, de ses deux premiers longs-métrages horrifiques émergeaient toujours une poésie philosophique, que ce soit sur l’amour ou la rédemption, que « Gueules Noires » anéantit au profit d’une destruction humaine sanguinaire et jouissive.

« Gueules Noires », le 15 novembre au cinéma.

Synopsis :
1956, dans le nord de la France. Une bande de mineurs de fond se voit obligée de conduire un professeur faire des prélèvements à mille mètres sous terre. Après un éboulement qui les empêche de remonter, ils découvrent une crypte d’un autre temps, et réveillent sans le savoir quelque chose qui aurait dû rester endormi…

Casting : Samuel Le Bihan, Amir El Kacem, Bruno Sanches, Thomas Solivérès, Marc Riso, Diego Martin, Philippe Torreton, Jean-Hugues Anglade…