[INTERVIEW] – JE SUIS NÉ À 17 ANS : ENTRETIEN AVEC THIERRY BECCARO ET LE RÉALISATEUR JULIEN SERI

Récit bouleversant sur la violence intrafamiliale, « Je suis né à 17 ans » fait aujourd’hui l’objet d’une adaptation pour la télévision. Réalisé par Julien Seri (« Astrid et Raphaëlle », « Le Remplaçant », « Le Saut du Diable »…), le téléfilm retrace la jeunesse de Thierry Beccaro, enfant battu par son père et la façon dont cette enfance a eu des répercussions sur la vie de l’animateur, jusqu’à aujourd’hui.
Une histoire vraie terrible où le silence épouse le drame, dans une mélodie à coup de ceinturons et d’humiliations qui émeut autant qu’elle enrage. Un téléfilm, une fois encore, dur mais nécessaire sur un sujet sociétal fort qu’on oublie trop souvent d’évoquer, comme si la parole des enfants ne comptaient pas. Pourtant, ils subissent sans broncher et s’enferment dans un mutisme courageux. Mais parfois, libérer la parole est un soulagement. Poser des mots sur la souffrance est une porte vers l’espérance. C’est ce que raconte « Je suis né à 17 ans », que l’espoir existe…

Rencontre avec Thierry Beccaro et le réalisateur Julien Seri. Ensemble, ils se confient avec une infinie tendresse et en toute sincérité sur les temps forts de ce téléfilm ainsi que sur ce travail d’adaptation entre rire et émotion.

« Le tournage a été très doux » – Julien Seri

D’où est né le désir d’adapter pour la télévision votre téléfilm « Je suis né à 17 ans » ?
Thierry Beccaro : L’envie d’adapter mon roman n’est pas de moi. J’avais déjà beaucoup hésité à écrire le livre, et je ne pouvais pas imaginer que ça ouvrirait autant de portes, que ça aiderait et soulagerait autant de personnes. Avec ce livre, je considérais que j’avais fait un bon bout de chemin. Un jour, un producteur du nom de Raphaël Cohen s’est dit qu’il fallait faire quelque chose avec ce livre. Il m’a proposé l’adaptation et j’hésite. J’hésite à jouer dedans. Au départ, je ne voulais même pas le faire et lui ai donné une liste de comédiens. J’ai mis une semaine à ouvrir le scénario. Raphaël Cohen qui a notamment produit « Pédale Douce », me dit qu’aucun comédien ne lui avait fait ça (rire). Puis, il me sort un atout majeur lors d’une réunion avec Julien Seri. Tu peux peut-être raconter la suite car c’est toi qui vas être convaincu que j’intervienne et que je fasse ce film.

Julien Seri : Nous nous sommes retrouvés dans un restaurant, nous avons parlé de lui, du film, et du personnage du père. Thierry se met devant nous, à jouer son père. Il m’a scotché. Je lui ai dit que je ne pouvais pas faire ce film sans lui et que ne le réaliserais pas sans sa présence.

T.B : J’ai joué mon père pour que Julien, le jour où il allait tourner des importantes avec Moïse Santamaria (l’interprète du père de Thierry), puisse comprendre. Mais Julien a un peu vécu ce que j’avais subi. C’est la belle histoire qui nous a réuni tous les deux. Tous les comédiens qui ont participé à cette aventure sont venus avec l’envie d’être dans ce film par rapport à ce qu’il véhicule, et les messages qu’on veut faire passer.
Mais ce jour-là, j’étais fait (rire). Julien a su me convaincre. France Télévisions préférait aussi que ce soit moi qui intervienne par rapport à ce que j’avais vécu. Qui pouvait mieux vivre que moi les scènes avec mon père, ma mère, ma tante ? Grâce à ce film, j’ai dit plus de choses à ma mère, à ma tante, à ma sœur, à mon père que je n’en ai jamais dit auparavant. C’est incroyable. Ce fut une aventure très joyeuse.

J.S : C’est vrai. Le tournage a été très doux. Nous passions notre temps, alors que nous tournions des scènes difficiles, à rire et à sourire. C’est peut-être le tournage où j’ai pris le plus de plaisir. Il y a toujours des amis proches sur les tournages, mais là il se dégageait une grande douceur.

Julien, de quelle façon vous êtes-vous emparé de cette histoire pour en construire la réalisation et la mise en scène ?

J.S : Quand je tourne un film que je n’ai pas écris, je me mets totalement au service de l’histoire. Cela étant, j’essaie d’amener ma petite pierre à l’édifice, d’apporter, j’espère, ce petit plus qui fait que ce film sera vu comme un film signé Julien Seri. Ce téléfilm me tenait à cœur. J’ai mis deux ans à convaincre France Télé de me réaliser ce téléfilm. Au départ, je n’étais pas l’homme de la situation car je suis connu pour faire des films d’action. Mais mon travail sur la saison 3 d’« Astrid et Raphaëlle », qui les avait convaincu que je pouvais aussi gérer l’émotion. Anne Holmes a donc validé ma présence en tant que réalisateur. […] C’est une histoire qui m’a tout de suite touché. Mon agent, Sophie Lemaître, m’a fait lire le livre car le co-auteur Jean-Philippe Zappa fait partie de l’agence mais aussi parce qu’elle pensait que je pourrais le réaliser. Que personne ne m’attendrait sur un truc pareil.

Quand nous avons lu le livre avec Raphaël, c’était évident pour nous qu’il fallait en faire un vrai beau film. Nous l’avons traité comme si c’était un film de cinéma et pas simplement un téléfilm à destination de la télévision.

« C’est aussi le message du film, on s’en sort ! Le chemin est long mais il y a de l’espoir » – Thierry Beccaro

Thierry, était-ce difficile émotionnellement de vous replonger dans votre histoire et de revoir certaines images, notamment sur les flashbacks ?
T.B : Cela va certainement vous étonner, mais ce ne fut pas difficile. Pourquoi ça n’a pas été difficile ? Parce que tout ce que j’évoque, tout ce que j’accepte de rejouer en tant que comédien, c’était davantage pour ceux qui m’entouraient que ça fut compliqué. Je leur disais où cela les emmène les coups, les gifles, l’humiliation, la maltraitance physique et psychologique, je montrais à Julien, au scripte, à l’équipe technique très engagés, qui ne connaissaient pas la sensation d’avoir les mains crispées sur un volant ou les crises de spasmophilie qui vous empêche d’avancer. C’était ça que je voulais montrer. Il fallait que j’y mette la sincérité, pour que ceux qui le regardent. J’ai reçu des tonnes de messages après le téléfilm la Belgique, de personnes touchées par l’histoire qui leur a été raconté. Et c’est pour ça que ce ne fut pas difficile et c’est aussi le message du film, on s’en sort ! Le chemin est long mais il y a de l’espoir. […] Ce qu’on souhaite avec Julien, les comédiens et l’équipe technique, c’est alerter les gens. Qu’ils prennent conscience que les gifles, ça peut tuer un homme. On entend souvent dire que les claques ça n’a jamais tué. Si, c’est le cas. Des tas de gens n’arrivent pas à s’en sortir, c’est pour eux que nous avons fait ce film.

Aviez-vous le droit de réécrire des scènes, pour coller davantage à vos émotions vécues ?
T.B : J’avais la permission de Julien et Raphaël, de pouvoir modifier ou rajouter des choses lorsqu’elles me paraissent excessives ou, au contraire, n’allaient pas assez loin. J’ai pu le faire sur la séquence où je vais retrouver mon père à la fin du film, par exemple. Et puis, il y a des surprises sur le parcours. Durant le tournage, Julien est venu me voir et il me dit : « Il manque une scène ». Il ne m’a rien dit de plus et m’a écrit une séquence magnifique devant un miroir. Donc voilà, pour répondre à votre question, oui, j’avais le droit de réécrire des séquences et d’autres se chargeaient de m’en rajouter (rire).

Il y a des séquences particulièrement touchantes, je pense notamment à celle où vous demandez à votre fils de vous noter en tant que père. Ce fut une véritable angoisse ?

T.B : Quand j’ai appris que j’allais être père, ça a été terrible. Un tsunami dans ma tête. Pour être honnête avec vous, je priais pour que ce soit une fille. Et c’est Pauline qui est arrivée. Pourquoi j’avais cette angoisse ? Comme tous les enfants battus, nous avons peur de la fameuse répétition. N’ayant connu que ça, ils pensent que la vraie vie c’est de mettre une claque, une fessée, une raclée, à ses enfants et de répéter régulièrement. Je le dis et le répéterai, ce n’est pas une fatalité. Je n’ai jamais levé la main sur mes enfants ou sur une femme. Mais j’ai fait le travail, j’ai eu le courage d’aller m’allonger sur un divan pour déblayer comme je dis, le grenier et la cave. Il faut être courageux pour tout déblayer afin de comprendre que tout n’est pas tout blanc ou tout noir. Cette histoire de note, on ne le formalise pas ainsi mais plein de parents se demandent inconsciemment s’ils ont été de bons parents. On n’est jamais le parent parfait mais nous faisons au mieux.

J.S : Depuis que je suis papa, tout ce que je fais, je veux pouvoir et devoir être un exemple pour mes enfants. J’essaie de m’évertuer à ça. Ce n’est pas toujours évident mais c’est mon guide premier. C’est important pour moi que mes enfants soient fiers de moi.

« Ma priorité va toujours aux acteurs » – Julien Seri

De quelle manière décide-t-on de filmer les angoisses, les doutes, la solitude d’un personnage ? Il y a des plans très forts où, par exemple, le temps se fige, tout est au ralenti, avec des gros plans autour sur Thierry…
J.S : Plus que les plans, on choisit d’aller à fond dans la direction de la séquence. Ne pas avoir peur d’aller jusqu’à utiliser des techniques que j’aurais pu utiliser dans des films de genres. Parfois, il faut savoir être simple et faire les choses en un seul plan. À d’autre moment, il faut oser l’emphase sur les émotions en se servant du découpage pour amener le spectateur à ressentir ce par quoi le personnage est en train de passer. […] Ce qui est important aussi, c’est de garder les acteurs chauds. La technique ne peut pas prendre le pas sur les acteurs et ne doit en aucun cas laisser le temps aux acteurs de se refroidir sur un plateau. Ma priorité va toujours aux acteurs. […] D’ailleurs, j’ai toujours voulu que le personnage d’Elsa Lunghini, la femme de Thierry dans le film, soit solaire. Au départ, le personnage était plus sombre. C’est pour ça que je voulais une actrice solaire. Elsa a ce soleil en elle et elle apporte beaucoup au téléfilm. Nous aurions aimé tourner quelques séquences supplémentaires avec elle.

T.B : Quand j’ai vu le film, je ne m’attendais pas à ce que cette scène soit au ralenti. Elle résume ce qui peut se passer dans ma tête. Pour l’anecdote, sur cette séquence, je ne pouvais pas prendre mes petits tranquillisants que j’avais sur moi. J’avais donc des Tic Tac. Première prise, un Tic Tac. Et je fais ma scène. Au bout de la sixième prise, je lance à Julien : « Je suis au dernier Tic Tac ! Après, j’attaque le vrai » (rire).

« C’est un film sur le silence, sur l’omerta » – Thierry Beccaro

En parlant de découpage, il y a une autre scène montée avec une énorme puissance, celle où le père de Thierry menace sa femme et son fils avec un fusil…
J.S : Thierry m’a confié ce moment qu’il avait vécu, ce qu’il a ressenti pendant cet instant hallucinant et j’ai tenté de retranscrire l’émotion que m’avez donné Thierry en me racontant cette histoire clé de sa vie. Je ne sais jamais à l’avance comment je fais découper une séquence. Je ne découpe plus les films comme avant lorsque je réalisais des films publicitaires ou sur mes premiers longs-métrages mais d’être à l’écoute de ce moment et de me plonger dans l’émotion. Je prépare aujourd’hui mes séquences du point de vue émotionnel, plus de manière technique. Thierry m’a cependant guidé par une référence, il souhaitait que ce soit une scène à la Sergio Leone dans « Le Bon, La Brute, et le Truand », une scène triangulaire.

T.B : Dans le scénario, il était dit que ma mère s’approchait de mon père pour lui prendre le bras. Et comme je pouvais intervenir sur le scénario, je leur ai dit que ça, c’était impossible. Personne ne bouge à ce moment-là. Ce sont des séquences figées. Ma mère et moi ne pouvions pas bouger, de par la sidération de ce qui se passe. J’avais donné cette indication.

Votre tante et votre mère n’ont jamais rien fait pour empêcher que votre père vous batte. Et lorsque vous leur dites, elles ne semblent pas prendre la mesure de ce que vous avez réellement vécu. On le voit dans le téléfilm…

Je n’ai jamais pu le dire dans la vraie vie. C’est un film sur le silence, sur l’omerta. Dans les années 60-70, personne n’entend rien, personne ne voit rien. Chacun vit sa vie et personne ne s’occupe au sein de la famille ou chez les voisins. Il n’y a pas de numéro 119 pour les enfants et, aller chez un psy c’est être fou. Je ne sais pas si c’était une force ou un petit cadeau subliminal mais je gardais toujours le sourire. Donc, on ne pouvait pas deviner. Puis, les marques n’étaient jamais visibles, elles étaient sur mon dos. Le seul danger était lorsqu’on allait à l’infirmerie de l’école et où l’infirmier.e pouvait être alerté.e. C’est une période où mes parents reviennent de la guerre. Des souffrances, ils en ont vécu alors, une raclée, ça vous fait un homme. Mais non, ça le détruit. Et c’est important de le dire. On ne touche pas à un enfant !

[…] Pour l’anecdote, et rester sur la douceur dont parlait Julien, nous nous sommes tous réunis un soir pour prendre un pot. Tous les comédiens et comédiennes étaient là. Là, j’ai réalisé que je dînais avec ma sœur, ma tante, ma mère, mon père et ça, ça n’était jamais arrivé dans la vraie vie. C’était incroyable. Un cadeau. Ce fut que de bons souvenirs.

Je suis né à 17 ans le 20 novembre sur France 2.

Casting : Thierry Beccaro, Moïse Santamaria, Elsa Lunghini, Elisabeth Commelin, Manon Lheureux, Muriel Combeau, Pierre Azzarello, Thomas Kroon, Jules Morlon…

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