[INTERVIEW] – LES TROIS MOUSQUETAIRES, MILADY : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR MARTIN BOURBOULON : « Les films d’époque agissent comme un échappatoire à notre monde contemporain, qui n’est pas toujours très gai »

Avec 3.3 millions d’entrées, « Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan » fut un des beaux succès français de 2023. Critiques séduites par cette nouvelle adaptation, public au rendez-vous pour soutenir un cinéma français qui manque parfois de blockbusters, l’histoire d’Alexandre Dumas continue d’attirer les foules et traverse les générations avec un flegme légendaire et un charisme indémodable. Pourtant, réadapter l’histoire des Trois Mousquetaires était un énorme pari, d’autant plus en coupant la production en deux parties. Cependant, il fallait bien ça pour conter une histoire si dense, si riche. Ainsi, pour mener à bien un tel projet, nous avions besoin d’un homme capable de retranscrire la beauté d’un objet littéraire culte mais aussi de moderniser son récit. Martin Bourboulon, auteur du merveilleux « Eiffel », est choisi.

À l’occasion de la sortie au cinéma le 13 décembre prochain de la seconde partie, « Milady », le réalisateur revient sur ses ambitions autour de ces deux projets titanesques, sur la notion d’épique, son approche de l’Histoire et sa manière de filmer l’action et les décors.

« Lorsqu’on dit « épique », c’est aussi le côté généreux à l’image, spectaculaire, les grands plans larges, les chevauchées à cheval… »

Vous avez enchaîné coup sur coup deux grosses productions historiques « Eiffel » et « Les Trois Mousquetaires ». En tant que réalisateur, de quelle façon s’empare-t-on de ces histoires, de ces personnages, pour composer ensuite l’image d’un film ?
On essaie de trouver le bon équilibre entre l’histoire d‘origine, respecter l’ADN d’une œuvre, et sa propre vision des choses. Je m’en empare aussi souvent par des petits mots, des idées qui me lancent. Sur « Les Trois Mousquetaires », c’était le « pas de côté ». Puisqu’on avait l’occasion de revisionner cette histoire qui n’avait pas été racontée depuis 60 ans en France, comment nous allions trouver le « pas de côté », le petit truc qui fait qu’à tous les endroits – costumes, décors, mis en scène – ça serait différent de ce qui a été fait auparavant ? Le pas de côté sur les costumes, par exemple. Nous imaginons souvent Les Mousquetaires avec des casaques, des habits bleus, des croix, etc. Je m’étais dit que ça serait intéressant de trouver un style différent, plus proche du western. Et nous construisons petit à petit, avec différents collaborateurs, le projet et la vision du film que nous en avions.

On a souvent qualifié d’épique le premier volet des « Trois Mousquetaires », à juste titre, comment on insuffle de l’épique dans une mise en scène ? Est-ce que le plan séquence que vous avez utilisé est un des outils qui contribue à cela ?

Le plan-séquence est rarement analysé techniquement par le spectateur comme un plan-séquence. D’ailleurs, il ne doit pas se demander si cela en est un ou non. Néanmoins, nous avons intérêt à ce qu’il ait un ressenti d’immersion, que son œil soit accroché avec un visuel ou une image à laquelle il ne s’attendait pas forcément. Sur un film comme celui-ci, je me racontais que les scènes d’action devaient être filmées ainsi. Pour moi, ça peut effectivement participer à une forme d’épique. Après, lorsqu’on dit « épique », c’est aussi le côté généreux à l’image, spectaculaire, les grands plans larges, les chevauchées à cheval, etc. Tout un tas d’éléments et d’outils qui peuvent raconter ce qui est épique à l’image.

« Milady » comme « D’Artagnan » ont été conçus avec le même objectif : réaliser une œuvre épique et grande »

Le second volet sera-t-il encore plus épique que le premier ?
Les deux films ont été façonnés de la même manière. Nous avons toujours eu à cœur de trouver le bon équilibre entre la partie la plus épique et la partie la plus intime. Dans « Milady », nous profitons toutefois que l’exposition soit passée afin de permettre d’aller plus en profondeur chez les personnages, de creuser davantage leur âme, notamment la relation entre Milady et Athos, qui partagent un passé commun. L’équilibre épique/intime va me paraître alors plus large. Mais « Milady » comme « D’Artagnan » ont été conçus avec le même objectif : réaliser une œuvre épique et grande.

Sur des films comme « Les Trois Mousquetaires », est-ce que l’épique et l’intime sont forcément liés ? Ou est-ce que l’un peut exister sans l’autre ?
De belles images sans enjeux narratifs ou dramatiques forts, serait sûrement moins intéressant. Dans « Eiffel », j’avais également essayé de mélanger ces deux notions. Maintenant, il est clair que c’est un objectif que nous nous donnons à chaque fois : parvenir à faire cohabiter l’épique et l’intime.

Nous avons la chance d’avoir un patrimoine historique en parfait état et vous avez donc pu tourner dans des décors réels magnifiques. Quand on arrive sur un lieu comme le château de Fontainebleau, où il y a ces immenses salles et des hauteurs sous plafond impressionnantes, est-ce que placer sa caméra devient un challenge ? Et, fait-on plus attention parce qu’il y a cette histoire de France à préserver, à honorer ?

Nous faisons attention d’avoir une vision personnelle et un regard contemporain sur une période de l’Histoire de France, sans chercher à tomber dans l’anachronisme gratuit, qui serait un non-sens, mais je ne me suis jamais laissé pour autant emprisonner par le carcan de l’Histoire de France. C’est important de s’accorder un espace de liberté visuelle, par exemple. Évidemment, lorsque nous arrivons dans la Salle du conseil du Roi, nous ne pouvons pas faire n’importe quoi. Il n’y avait pas d’électricité à l’époque alors nous avons pris soin de remplacer toutes les ampoules par des bougies en post-production.

Sur les costumes, puisque nous en parlions à l’instant, je n’avais pas le but acharné que les personnages portent les vrais costumes d’époque. Pour la narration, nous essayons de baliser quelques rendez-vous clés, qui nous permettent de bien raconter la période dans laquelle se déroule le récit, mais sans jamais en être les prisonniers.

Sur le positionnement des caméras, paradoxalement, ce n’est pas si facile. Les salles ont beau être très belles, il y a des angles, des cadrages qui fonctionnent mieux que d’autres. Dans certains lieux et pour certaines scènes, nous avions d’ailleurs à cœur d’interroger la dorure. Je ne souhaitais pas spécialement qu’il y ait beaucoup de dorures dans les décors pour moderniser l’ensemble, mais il y avait parfois le besoin d’en avoir de manière assumée comme la Salle du conseil du Roi parce que cela racontait quelque chose. Donc, il faut à la fois bien filmer le décor et trouver le bon angle.

En tant que réalisateur, lorsqu’on arrive dans des lieux si imposants, est-ce qu’on appréhende, est-ce qu’on a le vertige ?
Pas forcément. J’ai été davantage marqué par l’idée de tourner dans la Cour du Louvre que dans cette grande salle à dorure. Je suis Parisien et je connais cette cour depuis toujours. Symboliquement, il y avait quelque chose de fort qui se jouait pour moi.

Est-ce que vous comprenez que les spectateurs ont à cœur d’être véritablement plongés dans l’Histoire de France ? Est-ce que c’est une chose à laquelle vous avez pensé en préparation ?
Bien sûr et nous essayons de respecter ça au maximum. Nous racontons toute une partie de l’Histoire de France et nous ne pouvons pas faire n’importe quoi avec ça. Nous avons à cœur de revisiter, d’apprendre, de plonger au mieux dans cette histoire. De plus, les films d’époque agissent comme un échappatoire à notre monde contemporain, qui n’est pas toujours très gai, ni facile à vivre au vu de notre actualité. À titre personnel, j’aime me replonger dans des films d’époque pour échapper à ce monde contemporain. Et c’est toujours intéressant d’y chasser des correspondances. Il y a des choses qui s’y passent et qui font écho à notre monde d’aujourd’hui.

« Nous avons surtout cherché à salir l’image »

Parlez-nous du travail sur l’image, qui a cette particularité de n’être jamais réellement propre…
Avec le chef opérateur, Nicolas Bolduc, nous avions mis un filtre à l’image qu’on appelle « un chocolat » et cela nous a permis de salir l’image. Lorsqu’on réalise un film d’époque comme celui-ci, nous avons peut-être tendance à trop embellir l’image. Ici, nous avons surtout cherché à la salir, à lui donner une patine, à lui donner une caractéristique particulière, à l’impacter pour que nous ayons la sensation que tout ne soit pas trop propre. Il faut croire au contrat que l’on propose de passer avec le spectateur. Au maquillage aussi, nous avons essayé d’abîmer les acteurs. Pour que tout le monde y croit. Ce fut un gros travail.

La photographie a été aussi sujet à débat entre le premier et le second volet. Vous avez récemment annoncé que « Milady » serait plus lumineux. C’est un travail que vous avez pu reprendre en cours de route ou le montage était déjà bouclé ?
Le montage était en train de se terminer. C’est le bénéfice et le retour d’expérience de pouvoir faire deux films. Le second opus est plus lumineux aussi car l’histoire et les décors s’y prêtent. Nous sommes davantage en extérieur, près de la mer. Il est vrai que dans certaines salles de cinéma, nous avions l’impression que notre image était un peu sombre, notamment sur les séquences d’intérieur, les nuits… Nous avons eu à cœur de corriger ça et d’éclaircir l’image à certains endroits.

« Voir D’Artagnan tomber amoureux de Constance, fait que le spectateur va être en empathie avec lui »

Le film a également ce caractère romanesque, notamment à travers cette histoire d’amour entre d’Artagnan et Constance. Vous avez souvent filmé l’amour, Eiffel en est le parfait exemple. Comment décide-t-on de filmer la rencontre, le premier baiser, etc… ?

Nous essayons d’abord de voir si la situation dans laquelle cette scène va avoir lieu est juste, si on y croit. J’aime beaucoup la première scène entre d’Artagnan et Constance, lorsqu’ils sont dans la cour, assis sur un banc, je trouve ça très mignon. Pour leur premier baiser dans les escaliers du Louvre, il fallait trouver le ton et l’assumer. Là, il y avait un ton volontairement mignon. Quand je dis qu’il faut l’assumer, c’est avec la musique, avec tout un tas d’éléments et ne pas se cacher. Nous avons une scène de baiser, c’est un rendez-vous, c’est romantique, ça peut être un peu « cheesy » (mielleux), mais il faut l’assumer à 100% sinon ça ne passera pas.

Lorsqu’elle l’embrasse en prenant son visage en lui disant « C’était seulement pour vous faire taire », c’est un moment que j’aime énormément. À priori, le spectateur l’a aussi apprécié.

Et puis, il faut croire en cette histoire d’amour car elle est l’élément clé de l’intrigue…
Absolument. C’est le moteur émotionnel du film. Voir D’Artagnan tomber amoureux d’elle, fait que le spectateur va être en empathie avec lui. Ce qui était compliqué, c’est que se mêlent beaucoup d’intrigues différentes dans « Les Trois Mousquetaires ». Il faut réussir à composer avec tout cela et raconter au mieux l’action. Mais nous avons toujours besoin d’un moteur émotionnel et chez moi, ça passe souvent par les histoires d’amour, afin de mettre en mouvement les personnages. J’avais trouvé ça chez « Eiffel ». Au fond, cet homme agit aussi pour reconquérir la femme de sa vie, qu’il avait croisé dans sa jeunesse. Quelque part dans « Papa ou Maman », j’y trouve une correspondance. J’ai toujours dit que j’avais réalisé une comédie de remariage, mais c’est l’histoire de deux personnes qui se lancent cette guerre un peu folle de se réduire et de retrouver chez l’autre ce qu’il avait perdu au fil du temps. Ça, j’y crois beaucoup.

Comme vous le disiez, l’amour a une place importante dans votre filmographie. Ça représente quoi pour vous, en tant que cinéaste ?
L’amour, c’est le moteur émotionnel. C’est ce qui permet d’être en mouvement. Lorsqu’on est animé par une flamme émotionnelle, ça crée de l’action et un objectif. Un personnage peut alors rencontrer des obstacles, et par la même occasion, cela crée de l’action à la dynamique, mais également de la dramaturgie. Et c’est ce que nous cherchons à faire pour que vous puissiez vous attacher aux protagonistes. L’amour est un sentiment universel. Tout le monde peut s’identifier à des personnages qui s’aiment.

Milady sera au cœur de ce second volet, ce personnage surnaturel qui semble se jouer du commun des mortels. L’iconisation d’un tel personnage, comment se fait-elle dans la mise en scène ? J’imagine que c’est aussi un travail entre le costume, la lumière, la musique…
Et beaucoup par le choix du casting. Nous avons la chance d’avoir Eva Green pour l’interpréter mais elle a transporté avec elle énormément de choses : un mythe, du mystère dans sa propre personne. Elle incarne très naturellement cette Milady, sans chercher à en faire plus que ça. Et cela m’intéressait. Je me suis appuyé sur Eva. 

* Vous pouvez retrouver mon interview avec le chef décorateur du film, Stéphane Taillasson ici.
* Vous pouvez retrouver mon interview avec le chef costumier du film, Thierry Delettre ici.
* Vous pouvez retrouver mon interview avec le scénariste du film, Alexandre de la Patellière ici.

« Les Trois Mousquetaires – Milady », le 13 décembre au cinéma.

Synopsis :
Du Louvre au Palais de Buckingham, des bas-fonds de Paris au siège de La Rochelle…
Dans un Royaume divisé par les guerres de religion et menacé d’invasion par l’Angleterre, une poignée d’hommes et de femmes vont croiser leurs épées et lier leur destin à celui de la France.

Casting : François Civil, Eva Green, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Lyna Khoudri, Louis Garrel, Eric Ruf, Vicky Krieps…

Image : Martin Bourboulon, réalisateur de « Papa ou Maman », « Eiffel » et « Les Trois Mousquetaires ».
Crédit : Arno Lam

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *