[CRITIQUE] – TOUT CELA JE TE LE DONNERAI (FRANCE 2) : UN THRILLER FAMILIAL SUCCULENT

Adaptée du roman espagnol de Dolores Redondo « Todo esto te daré », la nouvelle fiction de France Télévisions aurait pu s’inscrire dans la grande tradition des sagas de l’été tant elle en a certains aspects, les atouts et les ambitions. Diffusé dès le 7 février sur France 2, « Tout cela je te le donnerai » nous plonge dans un thriller familial, dans lequel secrets de famille, non-dits et mensonges s’entremêlent pour former un voile noir terrifiant sur le domaine de Fontaresse, – lieu d’action de la série – tenu aujourd’hui par une matriarche au cœur de pierre. Une famille au bord de l’implosion, que l’arrivée d’un écrivain va finir d’ébranler.

Vers l’inconnu, la peur et les doutes…

Manuel, écrivain parisien de renom, apprend qu’Aymeric, son mari, vient de mourir dans un accident de voiture près d’Aix-en-Provence. Il croyait pourtant que son mari était en voyage d’affaires à Bruxelles… Sous le choc, Manuel se met immédiatement en route pour le Sud de la France, où il rencontre sa belle-famille, effarée d’apprendre qu’Aymeric avait un mari. A la surprise générale, c’est pourtant Manuel qui hérite du somptueux domaine viticole familial. Il fait alors la rencontre de Richard, un policier acariâtre persuadé qu’Aymeric a été assassiné, qui va le convaincre de mener l’enquête à ses côtés.

Oui, à la lecture du synopsis, « Tout cela je te le donnerai » aurait pu être diffusé cet été et venir troubler la tranquillité estivale des téléspectateurs. Que nenni, c’est dans une ambiance hivernale que France Télévisions sortira son nouveau feuilleton pourtant aux airs de « saga de l’été » : un domaine familial, des secrets, un meurtre à résoudre, des énigmes et un héritage en jeu. Les codes sont là pourtant, la série de Nicolas Guicheteau et écrite par Françoise Charpiat, Pascal Fontanille et Karine Lollichon a sa propre identité, scénaristique et visuelle, une façon d’aborder ses enjeux, ses personnages et son environnement avec une singularité et des intentions qui vont bien au-delà de la simple série codifiée. La série ose !

Son héros, premièrement. Un homme tout en sensibilité, un héros dont on assume la délicatesse et l’humanité. Un mélange souvent ambiguë de courage, de fureur et de finesse, assez est rare en télévision. Son homosexualité n’est d’ailleurs jamais un sujet, il est le reflet de ce que toute personne devrait être, douée de sentiments et de compassions. Un héros touchant, autour duquel gravite une multitude de protagonistes qui mettra à rude épreuve sa lumière éclatante. Chaque personnage est conçu ainsi, dans une rudesse bâtie par des années de silence, afin d’ébranler les certitudes et le caractère profond de Manuel Ortigosa. D’autant que les mystères entourant son défunt mari ne lui exempte rien et trouble un deuil déjà difficile à surmonter. Efficace et machiavélique !

L’enquête, elle, est admirablement bien ficelée, allant fouiller dans les entrailles d’une famille esquintée, mutilée, éclatée par la folie humaine. Folie dont on décèle encore quelques lueurs et un espoir. Même chez cette mère de famille malveillante, orgueilleuse, et méprisante, il y a une douleur, vive, intense, qui ne laisse pas indifférent, qui touche. Même chez ses enfants, prisonniers d’une histoire et d’un domaine, que la vie n’a pas épargnés. Tous se retrouvent alors au cœur d’une intrigue – la résolution du meurtre de leur fils – où s’enchevêtrent passé, présent et futur, dans un melting-pot de problèmes que les scénaristes ont habilement réussi à mettre en place, sans fausse note jusqu’à son dénouement.

Au milieu de ce scénario, le domaine de Fontaresse. Autre enjeu de la série. Là aussi, la fiction de France 2 s’octroie une véritable particularité. En effet, à l’image, le domaine dégage une telle puissance, qu’il paraît parfois vivant. Comme si ses murs écrasaient la vie de cette famille, sous le poids de leur propre mensonge et de leur propre culpabilité. Comme si l’immensité du château, ses dimensions labyrinthiques retenaient les non-dits dans des voies sans issues, étouffaient la parole de chacun dans des chemins inextricables. Le réalisateur Nicolas Guicheteau s’adonne à modeler le domaine à cette forme, à cette silhouette magnifique de l’extérieur, cauchemardesque à l’intérieur, où personne n’ose réellement rompre le silence, où la faiblesse devient un rempart à un semblant de protection.

Et il faudra le courage de quelqu’un, pour faire s’effondrer les tours de pierre qui rongent le domaine de ses pensées véritables.

Outre une réalisation soignée et organique, « Tout cela je te le donnerai » se révèle aussi par les nombreux talents qui composent cet impressionnant casting. David Kammenos, tête d’affiche de la série, incarne merveilleusement le personnage de Manuel Ortigosa, avec une sensibilité à fleur de peau à la fois émouvante et séduisante, portant son interprétation dans une rage poétique et fulgurante. De son côté, Nicole Calfan campe une matriarche absolument détestable, dure et froide, dans un jeu sans compromis, qui provoquera chez le spectateur des crises d’irritation. Jouissif !
Enfin, et c’est peut-être le personnage le plus intéressant de la série, le lieutenant Richard Saugier, interprété par Bruno Solo. Ronchon, insupportable, limite condescendant et homophobe, casé par la vie et les drames familiaux, usé par les fautes et la honte, l’ex-comédien de « Caméra Café » tient ici un de ses meilleurs rôles. Au côté de Manuel Ortigosa, cet enquêteur revanchard, évolue, brise la carapace, pour devenir un être humain sensible. Bruno Solo lui offre une tenue, une envergure puissante, où toute la splendeur de l’acteur, son émotion et sa pudeur, se dévoilent.

Conclusion

Thriller haletant et prenant, « Tout cela je te le donnerai » plaira sans peine aux amateurs. La série constitue ce qui se fait de mieux dans le genre : enquête ficelée, complexe et difficilement appréhendable, personnages flous, inquiétants, vicieux ou lumineux, un environnement perturbant ainsi qu’une famille bourgeoise en crise, composée de protagonistes, où tous ont des choses à cacher. Une réussite !

Mon interview avec l’acteur David Kammenos est à retrouver ici.

« Tout cela je te le donnerai », dès le 7 février sur France 2.

Synopsis :
Quand Manuel Ortigosa, célèbre écrivain parisien, apprend la mort de son mari Aymeric dans un accident de voiture, il est totalement dévasté. Il le pensait en voyage d’affaires à Bruxelles : que faisait-il en pleine nuit sur une petite route de Provence au moment du drame? Manuel descend à Aix reconnaître le corps, et découvre qu’un pan entier de la vie de son mari lui était inconnu. Aymeric avait repris en secret le domaine viticole de sa famille, avec laquelle il disait avoir rompu depuis des années. Une famille puissante dans la région et qui va très mal réagir quand Manuel hérite de l’intégralité du domaine de Fontaresse. Ils feront tout pour le récupérer… Avec l’aide de Richard, un gendarme à la retraite, aussi revêche qu’homophobe,  Manuel va enquêter sur la mort suspecte de son mari. Ce duo très mal assorti parviendra-t-il à percer à jour les secrets de famille qui entourent le domaine de Fontaresse ? 

Casting : David Kammenos, Bruno Solo, Louise Monot, Philypa Phoenix, Aurélien Wiik, Nicole Calfan, Annie Gregorio, Lionel Erdogan, Alexis Loret, Mélanie Maudran, Sophie Cattini, Anne Décis…

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