Créateur : DENIS MANIN / Droits d’auteur : Denis Manin
Homme de théâtre, Yannick Choirat fait partie de ces comédiens qui incarnent.
Véritablement. Profondément. Intensément.
Chez Yannick Choirat, il y a du jeu, une vibration, la flamme de l’acteur. Chacun de ses rôles passionnent, bousculent, dérangent. Et ses qualités d’interprétations font aujourd’hui de lui une des figures emblématiques et incontournables du 7ème art.
À l’occasion de la diffusion de « Homejacking » sur OCS, l’acteur se confie sur quelques-uns de ses derniers rôles forts à la télévision ainsi que sur sa manière de travailler en évoquant son parcours et ses rencontres.
Pour vous, c’est quoi être un acteur ?
De mon point de vue, un acteur n’est pas qu’au service d’un auteur ou d’un metteur en scène, ce n’est pas qu’un interprète, c’est aussi un auteur. Auteur de son interprétation. Nous allons amener notre lecture et donc notre écriture sur un texte prédéfini, parfois même, nous réinventons. Après, cela dépend où vous travaillez et avec qui. Si vous travaillez au théâtre avec des hommes comme Joël Pommerat, vous improvisez beaucoup et vous écrivez en même temps que lui. J’aime cette idée-là d’être auteur-acteur.
De quelle façon vous choisissez vos personnages ? Qu’est ce qui vous fait dire oui à un rôle ?
En général, c’est la teneur du projet, ce que ça raconte et quel sens ça va avoir pour moi, à ce moment-là de ma vie. Je peux refuser un rôle alors que deux ans auparavant, j’aurais pu l’accepter. Parfois, on vous propose des rôles inrefusables. Par exemple, lorsque j’ai tourné « Victor Hugo », cela faisait déjà 5 ans que je tournais avec Joël Pommerat dans un spectacle sur la Révolution Française, où nous étions sans cesse en train de manier des discours à l’Assemblée Nationale. Donc, ça s’est trouvé à un moment hyper cohérent. De fait, ça m’a aidé. Endosser un personnage comme celui-ci, ça pouvait être vertigineux mais, pour moi, c’était très concret, c’était du discours, c’était un engagement politique et je le travaillais au théâtre.
Puis, est-ce que ça aura du sens pour les spectateurs ? J’aime aller dans des zones inconnues. Qu’est-ce qui va m’exciter ? Qu’est-ce qui va me challenger ?
« J’ai eu l’occasion d’échanger avec l’enquêteur aussi et sur sa vision d’Agnelet. Ce ne sont pas des choses qu’on applique, mais elles infusent en nous »
Régulièrement, vous incarnez des personnages complexes, ambiguës, des personnages qu’on qualifie trop facilement de méchants. Comment abordez-vous ce type de personnages ?
Je le prends toujours de l’angle humain. La méchanceté ce n’est pas inné, c’est une situation. C’est ce qui m’intéresse, trouver les déterminismes de ce mécanisme qui s’est mis en place pour en arriver à des situations terribles. Qu’elles soient sociales, analytiques, psychologiques, politiques. J’aime démonter des mécanismes pour les remonter, afin de montrer aux gens la manière dont ils fonctionnent et comment on peut les reconnaître, les déjouer. Parfois, c’est de la fiction, d’autre fois ce sont des histoires vraies. « Entre ses mains », c’est plutôt fictionné, tandis que « Tout pour Agnès » c’est du réel. Il y avait de quoi se renseigner entre les documentaires et les livres.
Ça m’a fait avancer sur le personnage. Sur le documentaire de Simone Harari Baulieu et Judith Naudet, « L’Affaire Agnès Le Roux », productrices également de « Tout pour Agnès », il y avait des extraits d’une interview que le fils de Maurice Agnelet avait donnée à son père au moment où son dernier procès allait arriver. Je vois ces extraits, qui provenaient de 8 heures de rushs. J’ai tout visionné. Il n’évoque pas la mort d’Agnès, mais surtout de l’histoire d’argent qui s’est déployée entre lui et Madame Le Roux. Je voyais le caractère du bonhomme. J’ai eu l’occasion d’échanger avec l’enquêteur aussi et sur sa vision d’Agnelet. Ce ne sont pas des choses qu’on applique, mais elles infusent en nous. Et, lorsque vous allez jouer, vous aurez alors des souvenirs, des sensations, de tout ce que vous avez ingurgité comme informations. Néanmoins, vous devez tout remettre en critique, car c’est le point de vue subjectif de chacun. Mais tout ceci m’a permis de faire un mix. Puis, vous avez le reste, les décors, les costumes, qui nous apportent beaucoup. Cela vous campe de suite dans le personnage, vous ancre dans une époque.
Est-ce facile de sortir de ces personnages une fois le tournage terminé ?J’ai besoin d’aller voir ailleurs. Jouer des personnages antagonistes, ce sont souvent les meilleurs rôles mais, à la longue, ça pèse. Sur le moral, notamment. Il faut essayer d’enlever cette peau un peu sale de ces personnages. Souvent, on me dit que je fais ça bien (rire) mais ce ne sont que des personnages. C’est peut-être aussi la période que nous vivons. J’aimerais véhiculer d’autres choses : l’espoir, la positivité…
Pourquoi selon vous, vous assigne-t-on parfois à ces rôles-là ?
C’est peut-être parce que je suis sympa, de ce que j’ai cru comprendre. De fait, c’est plus intéressant pour les réalisateurs car on ne s’attendrait pas à ce que je sois une ordure. À force, les gens vont comprendre que je suis le méchant de l’histoire, c’est pour ça qu’il faut que je change de registre (rire). Je ne veux pas être mis dans une case, je sais que nous aimons ça en France, mais je voudrais casser l’étiquette.
Au cours de votre carrière, vous avez beaucoup bougé. De quelle manière vous imprégnez-vous de l’environnement naturel ou d’un décor pour construire un personnage ?
Étant donné qu’on cherche un présent dans ce que nous allons capter, je m’imprègne de tout ce qu’il y a autour. Ça permet de moins avoir à jouer. Moins on joue, mieux on est. C’est paradoxal. On ne peut pas lutter contre la réalité, lorsque vous êtes en tenue militaire, dans un village au Maroc, que vous êtes avec ces gens qui vivent là, vous êtes à la hauteur des choses, ça vous place au bon endroit. J’adore ! Dans le désert, vous n’avez pas que le lieu, vous avez aussi les éléments. Nous avons vécu un tournage parfois difficile, où il y avait des tempêtes de sable tous les deux jours et des températures à 48-50 degrés tandis que nous étions avec nos costumes, notre casque et notre sac . Mais il faut jouer. Et tout ça joue en notre faveur, nous n’avons pratiquement plus rien à faire car nous sommes dans la situation.
« Nous étions pointilleux sur ce que nous devions jouer avec Marie Dompnier, pour éviter les écueils »
Sur « Homejacking », qu’avez-vous ressenti en entrant pour la première fois dans cette immense maison au style très particulier ?
J’étais assez époustouflé. Il y a des gens qui vivent dans des lieux vraiment extraordinaires, même si en voyant cette maison, je me demandais si je serais capable de vivre ici. C’est une maison ouverte sur l’extérieur, constituée que de baies vitrées tout autour, vous êtes alors à la vue de tous ceux qui débarqueraient comme dans la série. C’est une drôle de transparence. Autant la maison est ouverte sur l’extérieur, autant à l’intérieur vous pouvez ressentir un sentiment d’enfermement. Même si les volumes sont grands, il y a quelque chose qui vous met mal à l’aise. Et il y a des pièces design dingue à l’intérieur et, en même temps, la maison est plutôt vieillotte.
Paradoxalement, elle était usée et fatiguée cette maison et ça rend bien pour la série. Sorte de blockhaus. Vous voyez instantanément du drame. C’est une maison ultra-cinégénique et un personnage à part entière.
Comment avez-vous vécu le tournage de « Homejacking » qui a une narration singulière avec des flashbacks, des retours en arrière sur différents points de vue parfois faux, parfois vrais ?
C’était un peu galère, je dois l’avouer. J’ai dû relire le scénario plusieurs fois, dans tous les sens, et refaire le puzzle pour bien comprendre l’histoire et les enjeux. C’était très important de reconstruire l’histoire à chaque scène. Heureusement, il y avait la scripte qui était là, Hervé Hadmar pour nous aider à remettre les choses dans le bon ordre ainsi que le HMC (habillage / maquillage / coiffure). Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est le partenariat avec Marie Dompnier que je connaissais bien. Nous avons fait des lectures avec les auteurs, nous avons pu modifier des répliques, ce qui est rare. Je leur tire mon chapeau car ils ont été très ouverts à nos propositions. Nous avons pu faire évoluer la série ainsi. Nous étions pointilleux sur ce que nous devions jouer avec Marie, pour éviter les écueils. […] Et je ne m’attendais pas à une telle fin. Pour la jouer, je me disais qu’il allait falloir être vraiment crédible. C’est pour ça que j’ai accepté cette série, pour cette proposition inédite.
Outre Maurice Agnelet, vous avez incarné d’autres personnages qui ont réellement existés, de grandes figures historiques comme Victor Hugo que vous évoquiez plus haut. De quelle manière on se prépare à incarner un personnage aussi important de l’Histoire de France ?
Victor Hugo est un homme et la façon dont l’histoire a été racontée était celle d’un homme, pas celle d’un mythe. Nous n’étions pas en train de glorifier une statue mais, au contraire, de la démonter un peu, de la déboulonner dans le scénario. D’oublier tout ce qu’il représentait, ça m’a beaucoup aidé à me débarrasser de cette inquiétude d’interpréter une légende. Ensuite, j’ai eu 1 an pour me préparer. J’ai relu ses œuvres, des biographies, et j’ai eu le temps de prendre 10kg et de me laisser pousser les cheveux (rire). En discutant avec Jean-Marc Moutout, le réalisateur, en relisant le scénario, les discours de Victor Hugo à l’Assemblée, on s’imprègne. Incarner un personnage aussi fort sur la misère, le suffrage universel, etc, qui ont un écho, j’adore ça.
Ça me permet de dire des choses que moi-même je ne dirais pas par ma propre voix, et d’une meilleure façon. C’est aussi ça le métier d’acteur, se faire porte-voix.
Vous avez tourné aussi dans une des grandes fictions de l’année 2022 : « Les Combattantes ». Comment avez-vous vécu cette expérience ?
C’était extraordinaire ! Le réalisateur Alexandre Laurent est un vrai bosseur, un mec en or, et une personne qui mène son équipe avec enthousiasme et générosité. Il est accueillant, bienveillant, et il a beau avoir un objet entre ses mains d’une valeur de 20 millions d’euros, il laisse malgré tout le travail se faire, même sur le tournage. Ensemble, nous avons changé une scène entière, que j’ai réécrite, et que nous avons tournée. C’était inattendu. Il est là pour le projet, pour le spectacle. J’étais entouré d’acteurs formidables. Puis, se retrouver dans une rue entière, métamorphosée juste pour la série, avec des calèches et des figurants partout, c’est incroyable. C’est la beauté de notre métier, pouvoir passer d’un univers à l’autre en un clin d’œil.
Je tournais « Les Combattantes » en même temps que « Les Sentinelles » de Jean-Philippe Amar, je faisais alors des allers-retours entre Les Vosges, pour tourner une série sur la Guerre 14-18 et, Le Maroc, pour jouer un militaire durant l’Opération Barkane dans le désert.
Au cinéma, vous avez tourné aux côtés de grands réalisateurs : Jacques Audiard, Jeanne Herry, Martin Bourboulon et récemment Xavier Gens. Qu’est-ce qu’on apprend à leurs côtés ?
Ce que je trouve beau, c’est que ce sont des gens qui travaillent tout le temps. Ce n’est pas de la fumisterie. Ils sont à la recherche profonde de vérité. Car, le cinéma et la télé, c’est ça, trouver des scènes où des vérités vont éclater et qui vont rester. Ils sont en quête de ces vérités-là. Quand je suis arrivé sur le plateau de Jacques Audiard, il y avait un silence d’église. Tous réunis pour créer un moment fort. Avec Jeanne, c’était identique. Elle est très attachée au texte, c’est une autrice. Nous jouons son texte. Xavier Gens, lui, c’est encore autre chose. Il fait des films de genre et il est totalement pris dans sa machine. Là aussi, c’était un gros budget et, comme Alexandre Laurent, c’est quelqu’un qui n’a pas peur d’improviser, de chercher des choses. À leurs côtés, on continue d’apprendre, d’explorer le métier d’acteur.
Vous pouvez retrouver ma critique de « Homejacking » ici.
« Homejacking » dès le 7 avril sur OCS.
Synopsis :
Une maison d’architecte en pleine forêt. Un matin, un couple bourgeois est victime d’intrusion. Isabelle et Richard Deloye sont séquestrés par un agresseur anonyme. Caché sous une cagoule rose, il porte une arme et un bidon d’essence, mais on ne sait pas ce qu’il cherche. Voler ? Violer ? Tuer ? Ou tout autre chose que le couple ignore encore… Et si, dans le fond, agresseur et victime n’étaient pas du tout ceux qu’on croit ?
Casting : Marie Dompnier, Yannick Choirat, Sofia Lessafre, Carl Malapa, Merwame Tajouiti, Mama Bouras, Joaquim Fossi…
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