Il est l’un des compositeurs les plus doués de sa génération, François Lietout est devenu en quelques années un incontournable du petit écran. Ses compositions, intelligentes et percutantes, transcendent aussi bien les réalisations que les émotions des personnages à l’écran. « Le Bazar de la Charité », « Les Combattantes », Parallèles » (Disney +), « Mademoiselle Holmes » et prochainement « Cat’s Eyes », François Lietout enchaîne les projets d’envergure, toujours avec son regard attentif et cette oreille qui lui murmure ses plus belles mélodies.
Retour sur une carrière, entre influences musicales et coulisses de fabrication.
Parlez-nous votre parcours mais avant cela, de votre amour pour la musique ? D’où vient-il ?
Je fais de la musique depuis tout petit. Je n’ai pas grandi dans une famille d’artistes néanmoins, j’ai vécu avec une mère qui chantait beaucoup et mon grand-père adorait le Jazz. Ça a sûrement eu une influence. Surtout, mes parents m’ont permis d’en faire mon métier. Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir offert cette chance. Je sais que ce n’est pas donné à tout le monde. Mon père, lui, était très cinéphile. Je crois même qu’il m’a appelé François en hommage à François Truffaut. Finalement, il y a une forme de logique à ce que je fasse de la musique de films aujourd’hui. J’ai fait du chant et mon premier instrument a été le saxophone. Pas banal comme instrument mais c’était un instrument doré, ça avait l’air fun à pratiquer quand j’ai vu des concerts. Le Jazz m’attirait aussi. Mais vous savez, lorsqu’on est enfant, on ne réfléchit pas trop ce vers quoi on est attiré. La beauté de l’instrument d’abord et le côté groupe également.
Puis, j’ai intégré plusieurs groupes dans lesquels je jouais notamment de la guitare. Je suis venu au piano un peu plus tard, lorsque j’ai commencé à composer. Ce qui fait que je n’ai pas d’instruments de prédilection.
Pour mes études, je voulais m’engager dans une voie en rapport avec la musique mais je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. J’ai fait une école pour être ingénieur du son afin de travailler dans un studio de musique. J’ai donc une formation technique. Cette école avait d’ailleurs un cursus cinéma, ce qui fait que j’ai rencontré des gens du cinéma et commencé à composer mes premières musiques pour des courts-métrages. Très vite, j’ai découvert ce métier spécifique de la musique de films, que je ne connaissais pas vraiment. En 2014, est arrivé mon premier gros projet avec TF1, « Le Secret d’Elise ».
« Chaque projet est une nouvelle page blanche à combler »
Vous avez des inspirations, des compositeurs fétiches ?
Je suis toujours à l’affût des nouveautés mais les compositeurs qui m’ont donné envie de poursuivre cette voie sont nombreux. En musiques de films, il y a Thomas Newman (« Rencontre avec Joe Black », « La Ligne Verte », « Skyfall », « 1917 »…). Je me rappelle du choc qu’avait été « American Beauty » et je m’étais dit qu’il était alors possible de faire une musique pas nécessairement hollywoodienne classique. Pour ce film, Newman avait utilisé des percussions presque exotiques et des sonorités que je ne connaissais pas, ce n’était pas une musique traditionnelle avec orchestre. Il a cette capacité à faire de la musique tantôt très émotionnelle, tantôt subtile, et toujours avec une pointe d’originalité. Je suis admiratif. Avec Sam Mendes, il forme un super duo. C’est beau les couples de réalisateurs/compositeurs. Quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, j’ai évidemment été passionné par les grands maîtres que sont John Williams ou Hans Zimmer.
Hans Zimmer est beaucoup critiqué ces dernières années. Vous avez un point de vue sur le sujet ?
Il est excessivement doué car il parvient à trouver des mélodies qui accrochent. S’il est critiqué, c’est sûrement parce qu’il a moins ce bagage technique purement d’orchestration et d’arrangements, où il se fait aider. Toutefois, pour un réalisateur, bosser avec Hans Zimmer, ce doit être un régal. Il produit des underscores – tout ce qui est derrière les dialogues et qui met en tension -, avec tellement d’intelligence que ça sublime un film. On fait moins attention à cela car on retient surtout les grands thèmes des musiques de films mais quand vous regardez un Batman de Christopher Nolan, sur 2h30 de films, il y a presque autant d’heures de musique. Pour que ça gâche par l’oreille, il faut savoir gérer, contraster, passer en dessous de la narration, parfois prendre le dessus. Ça demande une grosse maîtrise. Puis, il trouve toujours des concepts. Je trouve ça important d’intellectualiser la musique avant de la faire et de trouver LE concept. Chaque projet est une nouvelle page blanche à combler. On doit trouver la sonorité, l’idée derrière la musique, ça passe souvent par le choix d’un instrument ou c’est harmonique. Lui, il est fort pour trouver des concepts puissants. Pour « The Dark Knight », il avait utilisé un son de violoncelle, il l’avait à moitié samplé, puis produit et tordu avec des effets, tout ça dans un esprit rock. Ça reste une idée forte qu’il a développée pour tout le film. Chez lui, on ne parvient plus à savoir quelle est la frontière entre les synthés et l’orchestre. C’est un gros travail.
Le travail sur chaque série est sûrement différent mais de quelle façon travaillez-vous la BO d’une série ? Quelles sont vos étapes de travail ?
J’arrive à l’étape du scénario. Je lis le script et ça me donne une idée de ce que va être l’histoire même s’il n’est pas aisé de se projeter sur ce que sera le film ou la série puisqu’un réalisateur va passer par-là. Mais vous avez déjà une tonalité. C’est une discussion avec le réalisateur, avec le producteur, autour des références, de l’ambiance, etc. Je commence à faire une maquette avant le début du tournage. Sur une série, il y a beaucoup de volumes de musiques à produire et je démarre réellement à composer à partir des premiers rushs. Je laisse tourner en boucle et je commence à composer dessus, je vois ce qui marche, ce qui m’inspire, sans trop réfléchir. Ensuite, il y a une grosse phase où je vais essayer de trouver le son qui va donner la couleur à la série. Pour « Mademoiselle Holmes », ce fut assez évident car le violon est un instrument que l’héroïne utilise durant la série. En même temps, nous voulions un côté pop-rock anglais et donc la guitare électrique a été un incontournable. Je brode à partir de ça, pas à pas. Le montage d’une série se faisant pendant le tournage, je reçois des bouts de séquences et ça me permet déjà de travailler plus en profondeur. Le gros du travail est vraiment quand le montage est avancé car on échange avec les monteurs pour savoir où placer la musique. Puis, il y a des vérités du film ou de la série qui éclosent au montage.
François Lietout dirigeant la cession d’enregistrement de « Mademoiselle Holmes ».
Sur « Le Bazar de la Charité », série d’époque, par exemple, nous savions dès le départ que nous voulions quelque chose de flamboyant. J’étais parti sur une musique orchestrale, classique et, rapidement, nous nous sommes rendus compte que ça ne marchait pas à l’image. J’ai donc remplacé des parties entières de cordes et de violons par des synthés en gardant les mêmes notes mais une sonorités plus électro. De suite, ça fonctionnait. Parfois, on a des idées en amont mais il faut s’adapter si, sur l’image, la musique sonne faux.
Vous est-il arrivé de devoir composer une BO sans avoir d’images ?
J’ai évolué par rapport à ça. Il y a quelques années, je vous aurais dit que le travail commençait vraiment quand le montage était terminé parce que c’est là que je suis le plus à l’aise. Désormais, même sans image, je parviens à dégager des thèmes. Avant, j’avais cette peur que la musique ne reste pas car ça ne collait pas et que c’est du travail gâché. Je me rends compte maintenant que bosser sans image, en ne se détachant pas du film, en ayant une vision abstraite, ça permet de trouver des thèmes qui ont de la force. Souvent, ce n’est pas rare qu’après m’être plongé dans le film, je revienne sur ce que j’ai composé et de me dire que finalement, ce n’est pas si mal. Je reprends alors la compo et je la réadapte pour l’image. Je le fais de plus en plus.
« Avec Alexandre Laurent, c’est une chouette collaboration »
Dans votre carrière, il y a eu des rencontres importantes, notamment celle avec le réalisateur Alexandre Laurent avec qui vous avez collaboré sur « La Mante », « Le Secret d’Élise », « Le Bazar de la Charité » et « Les Combattantes ». Racontez-nous votre rencontre avec lui…
Je n’avais encore jamais fait de séries télévisées. La production cherchait un compositeur pour « Le Secret d’Élise » par le biais d’un appel d’offres et a demandé à plusieurs compositeurs de lui faire des propositions à partir du synopsis de la série. J’avais composé quelques pistes. Lorsque nous étions plus que deux en lice, Alexandre Laurent m’a fait travaillé sur deux séquences déjà montées. Depuis, nous collaborons ensemble. Ça se passe à merveille d’un point de vue artistique et j’ai la chance de travailler sur des projets tous très différents les uns des autres. C’est une chouette collaboration. Le fait de bien se connaître, ça permet de se dire les choses et on gagne du temps. Je comprends vite désormais lorsqu’il me demande quelque chose. Il a confiance dans ce que je peux lui proposer et il sait que je suis force de propositions de mon côté, que je peux le surprendre.
François Lietout et le réalisateur Alexandre Lauretnt, duo gagnant ?!
« En musique de films, on se projette sur ce que vivent nos personnages, je me mets à leur place et me mets en pure empathie pour les héros dont je compose la musique »
Sur des séries historiques comme « Le Bazar de la Charité » et « Les Combattantes », quelles ont été, dès le départ, les ambitions musicales ?
Sur « Le Bazar de la Charité », pour rebondir à ce que je disais plus haut, nous voulions ce côté grandiose pour embarquer le spectateur dans cette immense fresque historique. L’incendie du Bazar est un événement qui a réellement eu lieu, et cela apporte une dimension plus tragique au récit. De fait, il fallait qu’il y ait une notion épique et grandiose. L’orchestre a donc été remplacé par des synthés, par des sons plus électroniques. Nous voulions un aspect pop, non pas pour jouer le décalage par simplicité, mais parce que nous trouvions que l’histoire était résolument moderne. La musique ne devait donc pas trop vieillotte. Que ce soit dans les costumes ou les dialogues, il y avait aussi cette modernité, nous pouvions nous permettre des petits anachronismes car ce qui comptait vraiment c’était le message et les émotions que nous voulions transmettre.
Pour « Les Combattantes », nous avons fait le chemin inverse. Il y avait une dimension plus dramatique dans le thème de la Grande Guerre et nous avions envie d’être dans quelque chose de plus envoûtant, plus grand, dans l’histoire avec un grand H. La musique devait englober tout ça, l’histoire de ces 4 femmes mais aussi cette Histoire de France, de cette patrie qui lutte.
Il y a une musique que j’aime beaucoup dans « Le Bazar de la Charité », c’est « Thème d’amour » (vidéo 1 ci-dessous). Racontez-nous la création de ce thème…
C’est le thème entre Rose et Jean (Julie de Bona et Aurélien Wiik), une histoire d’amour assez tragique. Je l’ai composée en visionnant une scène où ils se retrouvent. C’est un des rares morceaux où j’ai utilisé le piano de manière aussi frontale. Comme nous étions sur quelque chose d’intime, il fallait une mélodie simple, douce et triste à la fois. C’est un thème récurrent que j’ai réutilisé plusieurs fois au cours de la série. C’est un thème simple mais qui reste dans la tête. […] En musique de films, on se projette sur ce que vivent nos personnages, je me mets à leur place et me mets en pure empathie pour les héros dont je compose la musique. Quand je bosse sur des séries comme celles-ci, j’ai parfois l’impression d’être amoureux de certains personnages, comme un spectateur. Je passe par tous les états et c’est génial.
J’aimerais qu’on parle de la musique « Départ au front » (vidéo 2 ci-dessous) dans « Les Combattantes ». Comment compose-t-on un thème comme celui-ci, fort en symbolique, avec un aspect dramatique, et qui a d’ailleurs la particularité d’avoir un thème quasi en deux parties avec une envolée lyrique très forte à 3 min 10, dont on retrouve aussi quelques sonorités dans le morceau « La Tendresse » (vidéo 3 ci-dessous) ?
Pour composer ce morceau, avec les monteurs, nous avons écouté des compositions d’Ibrahim Maalouf. C’était davantage le côté chanté de la trompette qui nous intéressait, qui est une forme de lamentation et, en même temps, garde cette chaleur humaine. Je ne voulais pas quelque chose de trop froid et de militaire. Ça reste un instrument de l’armée donc il était logique que nous utilisions cet instrument. La musique a été composée en visionnant la séquence. C’est très lié à l’image. On a donc utilisé la trompette sur ce morceau et j’ai bossé avec un super trompettiste, Célestin Guérin.
Je ne dirais pas qu’il y a une forme de responsabilité mais il y a cette idée que nous allons évoquer un moment de l’histoire qu’ont vécu nos grands-parents et arrières grands-parents. Nous devions apporter un soin particulier aux émotions que la musique allait dégager.
François Lietout et le trompettiste Célestin Guérin enregistre le départ au front.
Sur chaque série ou film, on dégage souvent un thème par personnage. De quoi se sert-on justement pour composer le thème d’un personnage ?
Nous nous servons de tous les éléments à notre disposition : sa personnalité, son énergie – qui apporte le rythme – et les moments qu’il traverse dans la série. J’attends d’ailleurs d’avoir composé des scènes avec ce personnage. Puis, je conserve une sonorité de la mélodie qui fonctionne pour ensuite la décliner afin qu’elle en devienne son thème. Je ne suis pas trop à me dire qu’il faut absolument un thème pour chaque personnage, de façon mécanique. Car ma vision de la musique de films, c’est qu’elle doit sublimer l’image. À moins que le personnage vive la même chose dans chaque scène – ce qui n’est heureusement jamais le cas – la musique ne va pas dire la même chose. Je préfère me donner le temps. Il faut que ça vienne naturellement.
Récemment, vous avez participé à la création de la BO de « Mademoiselle Holmes » et notamment cet incroyable générique, à base de violon, instrument important dans la série comme vous le disiez en début d’interview. Comment l’avez-vous composé ?
C’est un thème que je n’avais pas composé pour le générique. Un générique se compose souvent à la fin de la post-production et il est rare de le faire en amont. Nous trouvions ça chouette que ce soit un thème récurrent et ce sont alors quelques notes que nous retrouvons à plusieurs reprises dans la série, notamment au tout début de l’épisode 1 lorsqu’elle va au commissariat à vélo ou lorsqu’elle a ses phases de déductions. J’ai repris ce petit thème-là et je l’ai retravaillé pour avoir un générique de quelques secondes. On entend également un petit morceau de guitare et de percussions car nous voulions que ce soit rythmé, coloré et explosif.
« Mademoiselle Holmes », actuellement en diffusion sur TF1.
« Thème d’amour » (vidéo 1)
« Départ au front » (vidéo 2)
« La Tendresse » (vidéo 3)