La France regorge de mythes et légendes insoupçonnés, un folklore gigantesque inexploité pourtant le cinéma comme la télévision peinent à offrir des fictions autour de toutes ces histoires extraordinaires et inconnues du grand public. Mais voici qu’en 2022, France Télévisions annonçait le tournage de « Bugarach », une série fantastique dont le récit tourne autour du Pech de Bugarach et de ses secrets. Et quelle merveilleuse idée de choisir un tel site naturel en vue de planter le décor d’une production, lorsqu’on connaît les mystères entourant la zone, entre trésor caché, occultisme et ufologie. Le 21 décembre 2012, alors que les Mayas avaient prédit la fin du Monde, le Pench de Bugarach était d’ailleurs devenu un lieu de pèlerinage intense pour quiconque pensait qu’il allait être épargné par la catastrophe, sorte d’Arche de Noé terrestre. Tous ces événements sont bien entendu évoqués dans la série de Philippe Paumier et Fabien Montagner, qui ont néanmoins décidé de partir vers une autre direction et de donner à cet endroit mystique un refuge abritant un vortex vers des univers parallèles.
S’éloigner de ce que l’on connaît de Bugarach, pour présenter une nouvelle dimension à ce paysage mystique, c’est le pari osé et réussi de la série.
Sliders, les mondes parallèles
Quand son père disparaît après un crash d’hélicoptère au mont Bugarach, Émilie (Marilyn Lima) décide d’enquêter. Avec l’aide de ses amis, elle part explorer le mont persuadée de pouvoir déceler des preuves sur la disparition étrange de son père qu’elle pense liée à son travail chez la société MGE (Muller Global Energy). Ensemble, elles débusquent un portail ouvrant sur des mondes parallèles. En s’y engouffrant, elles découvrent des vies où son père ne serait pas mort mais sa vie totalement différente, pour le meilleur ou pour le pire. La narration joue avec les codes du genre, exploite pleinement le potentiel des univers parallèles, en mettant en scène ses protagonistes et ses héroïnes Émilie, Justine (Lula Cotton Frappier) et Tessa (Lisa Do Couto Teixeira) dans des postures diverses et variées, s’amusant à exposer des situations qui ne sont pas uniquement tragiques, mais aussi rigolotes, cocasses, rocambolesques.
Toutefois, au fur et à mesure des « sauts » dans le vortex, leurs certitudes vacillent et les dilemmes qu’imposent ces voyages deviennent presque des tortures psychologiques. Car, qui ne voudrait pas rester dans un monde où sa famille est réunie et aimante ? Où ses amis sont toujours en vie ? Où tout semble parfait, en accord avec nos désirs ?
Si pour Émilie, la vérité sur son père se dessine après de nombreuses allées et venues, elles ne sont pas sans risques. Chaque saut a un prix. Toute l’intelligence réside dans la machinerie physico-temporelle qu’ont conçue les créateurs de la série. Malgré un format court et des moyens moindres qu’une production Netflix, « Bugarach » est extrêmement bien travaillé d’un point de vue scénaristique. La série ne laisse rien au hasard, que ce soit sur les termes techniques, physiques et même philosophiques, mais également sur les enjeux et les dangers que représentent le voyage vers des univers parallèles. Un récit oppressant, qui maintient alors les personnages dans une constante au sein de laquelle les lois de la physique semblent immuables.
En voulant détourner ces mêmes lois et tromper la « mort », ne risque-t-on pas de disparaître ? Émilie va devoir ruser pour conserver son existence, mettre la main sur la vérité et sauver Bugarach d’industriel véreux. Car la série aborde de concert le thème de l’écologie dans un thriller politico-industrielle malin, où les enjeux ne sont ni plus ni moins que d’empêcher le PDG de MGE (Jérémy Banster) d’exploiter le gaz de schiste dans le paysage environnant de Bugarach, à l’origine de la destruction du site.
Sur l’environnement du Pech de Bugarach, la réalisation de Fabien Montagner ainsi que la photographie de Sylvain Rodriguez renforcent un voile énigmatique au lieu et apportent une profondeur inquiétante à ce mont imposant et solitaire, à l’image de ce générique, symbole de tous les imaginaires. Il faut dire que dans son parcours de réalisateur et de monteur, Fabien Montagner a déjà eu l’occasion de maîtriser le mélange des genres (fantastique/réalité), la façon d’ajouter à la fois du mystère, du frisson et de l’angoisse à une fiction, tout en sachant tirer avantage des environnements : forêts, montagnes ou villes. Que ce soit avec « Le Passage », « La Dormeuse Duval » (monteur) ou « La vie pure » (monteur), Fabien Montagner à l’œil pour laisser aux émotions et aux sensations une place importante, le plus souvent au cœur d’une mise en scène pointilleuse et un découpage précis.
Conclusion
Série audacieuse dans un paysage télévisuel en constant développement et désireuse de prendre davantage de risques, « Bugarach » s’impose donc dans un genre difficile, à l’instar d’autres productions fantastiques telles que « Parallèles », « Les 7 vies de Léa » ou « Les Revenants ». Si on lui souhaite un sort plus favorable que « Prométhée », annulé par TF1 après une saison, « Bugarach » a de belles qualités narratives et visuelles. Une série exigeantes, singulière, soucieuse aussi d’être dans une actualité forte. La touche environnementale permet, en effet, d’accrocher des spectateurs peut-être réfractaires aux aspects fantastiques.
Mon interview avec le réalisateur Fabien Montagner est à retrouver ici.
« Bugarach », le 31 mai sur France.TV
Synopsis :
De nos jours dans une petite ville d’Occitanie, Émilie, une étudiante au caractère imprévisible, décide d’enquêter sur la disparition suspecte de son père, suite au crash de son hélicoptère. Avec l’aide de ses deux amis, elle part explorer le mont Bugarach où l’accident a eu lieu et découvre un portail ouvrant sur des mondes parallèles. Émilie pourra-t-elle changer le cours de son destin et sauver la ville, menacée par une catastrophe environnementale majeure ?
Casting : Marilyn Lima, Lula Cotton Frappier, Lila Do Couto Teixeira, Jeremy Banster, Linda Hardy, Aurélie Recoing, Gaspard Meier-Chaurand, Audrey Giacomini, Jérôme Varanfrain…
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