La nouvelle série fantastique de France Télévisions, « Bugarach », risque de faire sensation ! À quelques jours de la diffusion, le réalisateur Fabien Montagner se confie sur la naissance de ce projet hors-norme et la conception d’univers parallèles ainsi que sur la réalisation en décor naturel et l’utilisation de la technologie LED.
Bugarach est un lieu chargé de mythes et de légendes, de l’occultisme à l’ufologie. Vous, vous avez choisi d’en faire un lieu où se terre un portail menant vers des mondes parallèles. Un contre-pied très intéressant, auquel on ne s’attend pas. Pourquoi ce choix scénaristique là ?
Lorsque nous avons commencé à imaginer le projet, ce qui m’intéressait était d’explorer les choix de vie, ceux qui influencent nos destins. Aujourd’hui, j’ai une famille, je suis marié, j’ai des enfants mais, il y a plus de 20 ans, j’avais une autre vie. Je me suis déjà posé la question de savoir ce qui se serait passé si je n’avais pas rencontré ma femme ? En partant de ce principe, nous tissons une intrigue sur les différents destins. Pour ma part, le seul moment qui existe vraiment dans notre vie c’est le moment présent. Le passé n’existe plus. Le futur n’existe pas encore. Le seul moment où nous pouvons agir, c’est le présent. C’est celui dont il faut profiter. Je m’étais basé sur ce concept là. Le fait de jouer avec les mondes parallèles, nous permet alors d’aborder ces thématiques, les choix de vie et, à travers eux, l’exploration de nos décisions, bonnes ou mauvaises, et leurs influences.
« Notre originalité, c’est que les mondes parallèles sont un prétexte d’histoires pour naviguer dans la vie de nos héros mais ce n’est pas le sujet principal de la série »
La série mélange les genres : fantastique, science-fiction et réalisme entre drame familial et environnemental. Comment s’y prend-on pour équilibrer le tout ?
On part toujours des personnages. Émilie, l’héroïne de la série, est cabossée par la vie. Dans sa trajectoire, ce que nous voulions, c’est de mettre en scène son histoire personnelle et, à travers ça, ouvrir l’histoire sur quelque chose de plus grand qu’elle, à la fois avec les mondes parallèles et l’intrigue autour du gaz de schiste. Grâce à sa quête personnelle, nous parvenons alors à évoquer d’autres thèmes. L’idée était qu’une fois ce problème réglé, elle puisse commencer sa vie et s’inquiéter du monde qui l’entoure. Le prétexte du danger environnemental nous permet d’être dans l’air du temps et de traiter les choix économiques face aux choix de survie. Notre vie d’humains est définie pour avoir plus parce que c’est notre nature, mais ça pose un souci d’ordre écologique. Ce paradoxe de l’économie et de la survie était intéressant. Même si nous ne faisons que l’effleurer, les gens comprennent vite les enjeux.
Des séries au sein d’univers parallèles, il y en a de plus en plus. Est-il difficile d’à la fois convaincre des producteurs et des diffuseurs qu’on a encore des choses à dire sur le sujet et de quelle manière y parvient-on ?
Nous n’avons pas eu ce problème car la direction de France 3 Occitanie, qui est à l’initiative du projet, étaient emballés par l’histoire, dès que nous leur avons proposé. Toutefois, nous, nous avons eu une vraie peur car, lorsque nous avons fini l’écriture de « Bugarach », la série « Parallèles » était en train de se tourner. En lisant le pitch, il y avait pas mal de points communs. Mais en voyant la série, j’ai été rassuré parce que nous ne traitions pas du même sujet. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. Cependant, il est vrai que j’ai toujours cette petite peur que les gens se disent « encore une série ou film sur les univers parallèles ». Notre originalité, c’est que les mondes parallèles sont un prétexte d’histoires pour naviguer dans la vie de nos héros mais ce n’est pas le sujet principal de la série.
J’imagine que c’est amusant à l’écriture d’inventer toutes ces vies…
Complètement ! Avec Philippe Paumier, mon co-scénariste, nous cherchions à trouver des idées sans partir dans des délires fous. Le principe était de jouer sur les virgules de vie, légères, car nous voulions rester sur le personnage principal. Nous modifions alors simplement 2-3 éléments de vie : la personne avec qui elle est en couple, la géolocalisation de ses parents, ou les métiers. Malgré tout, nous pouvions nous amuser. Il y a même des choses que nous avons retirées pour différentes raisons, et pour ne pas nous répéter. C’était d’ailleurs le plus difficile, se renouveler. Notre objectif était que les changements apportent toujours quelque chose à l’histoire.
Les personnages vont vivre plusieurs vies au fur et à mesure qu’ils découvrent tous ces mondes parallèles et vont devoir s’adapter à ces nouvelles réalités, ces nouvelles facettes d’eux-mêmes. Je ne sais pas si la série a été tournée dans l’ordre chronologique, mais était-ce perturbant pour les comédiens de comprendre ce grand tout et de rentrer dans toutes ces séquences alternatives ?
Ce fut l’aspect le plus difficile pour tout le monde, y compris la déco, les costumes, la scripte…. Nous n’avons rien tourné dans l’ordre. Le tournage a été étalé sur 8 mois (pour 30 jours de tournage). Nous avons réalisé un premier bloc de tournage en décembre 2022, à savoir 10 jours de tournage dans les studios où l’on a construit la maison d’Émilie. De fait, vous allez de l’épisode 1 à 8. Ensuite, nous avons tourné tous les extérieurs dans le désordre. Effectivement, il y a eu un gros travail afin que les comédiens se remettent dans le contexte. Cependant, les acteurs ont l’habitude de tourner de cette manière et restent à l’affût de ce qui se passe. Pour moi, il y avait une hantise sur certaines séquences. Par exemple, il y a une scène où les trois filles sont autour de la table, à l’intérieur de la maison, et deux d’entre elles essaient de motiver Émilie à partir au Mont Bugarach.
La scène suivante, dans le jardin, a été tournée 4 mois plus tard. Il faut alors retrouver l’énergie, la couleur des cheveux, etc. Ce fut un vrai défi.
Vous-même, dans l’écriture du projet, de quelle manière avez-vous appréhendé la physique quantique, la théorie des univers parallèles, pour ensuite en faire quelque chose d’abordable et de compréhensible pour le spectateur ?
Les gens commencent à avoir l’habitude de ces histoires là et le concept est compréhensible pour tout le monde maintenant. Néanmoins, il y a toujours ceux pour qui la théorie des mondes parallèles est floue. De fait, nous ne voulions être clairs et ne pas être ennuyeux. Il fallait alors un bon interprète pour vulgariser scientifiquement ces éléments et nous avons eu la chance de compter parmi nous le comédien Aurélien Recoing, que j’aime beaucoup. Quand il parle, on l’écoute.
Puis, lorsque nous avons fini d’écrire la série, nous avons fait relire le script par un astrophysicien, qui s’appelle Jean-Pierre Luminet. C’est son sujet de prédilection. Ça, et les trous noirs.
Légende : C’est ici que nos trois héroïnes rencontreront le physicien interprété par Aurélien Recoing.
Crédit photo : Facebook – Fabien Montagner
Il m’a confié que nous devions faire ce que nous voulions du moment que ça servait notre histoire. En réalité, la théorie des mondes parallèles n’est qu’une étude théorique, ce ne sont que des calculs, il n’y aucune preuve de leur existence. Eux-mêmes, les astrophysiciens, partent parfois dans des délires pour faire avancer la science. Il nous a tout de même dit si nous pouvions un jour sauter dans un trou vers un univers parallèle, nous ne pourrions jamais revenir dans notre monde d’origine. Cependant, cela ne nous arrangeait pas, parce que nos héroïnes reviennent toujours au point zéro. C’est là que Jean-Pierre nous disait de faire comme nous voulions. Ça m’a rassuré.
Ça me rappelle la série « Sliders, les mondes parallèles », où les héros ne retrouvent jamais leur monde…
C’est le principe des séries comme celles-ci, rester coincé dans un univers fantastique. Le but du jeu, c’est effectivement d’en sortir. Nous aurions pu transformer la série ainsi mais ça ne nous arrangeait pas pour l’histoire que nous voulions raconter, à savoir ce qui se passe dans notre monde actuel. […] Il y a d’ailleurs une référence à « Code Quantum » dans la série ainsi qu’à « Sliders » mais elle a été coupée au montage.
Même si les personnages ne restent pas coincés dans d’autres mondes, il y a toutefois des enjeux forts pour ceux qui franchissent le portail trop souvent…
Émilie va avoir des petits soucis à force de sauter dans le vortex. Sans trop en dire, disons que cet élément me permettait de dire que notre corps est autre chose qu’un corps physique. […] Puis, il y a un côté danger que nous voulions développer. L’idée était d’apporter au récit un enjeu supplémentaire, que les sauts et les allers-retours puissent engager une contrepartie, qui pourrait être terrible.
« La technologie LED m’a ouvert des perspectives inédites »
Sur la réalisation, vous parvenez à rendre le mont Bugarach à la fois inquiétant, mystérieux, et à retranscrire son caractère imposant, notamment dans ce magnifique générique qui lui laisse toute sa place, filmé sous toutes les coutures. Comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?
On m’a raconté tellement de choses sur Bugarach que j’ai essayé de retranscrire tout cela à l’écran, grâce à Sylvain Rodriguez, mon directeur de la photographie, qui a fait un travail incroyable. Nous avions peu de contraintes et on nous a laissé faire ce qu’on voulait en terme de direction artistique. Mais nous ne voyons pas le mont Bugarach énormément dans la série. Le générique était donc indispensable pour offrir une existence à cette montagne finalement un peu magique. Ensuite, ce qui aide à rendre les aspects que vous décrivez au mont, c’est aussi le travail sur le son, la musique et, par la suite, les effets spéciaux. Toutes les scènes sur le mont ont été tournées sur des fonds LED, qui lui donnent peut-être aussi un côté irréel.
Pour tourner le générique, nous sommes partis une journée avec une équipe de dronistes. Utiliser des drones était une volonté du producteur Olivier Compère. C’est toujours délicat car c’est une journée de travail supplémentaire et c’est un budget en plus mais pour le coup je n’ai pas eu à me battre car étant aussi le désir du producteur, nous n’avons pas eu de problèmes.
Comme vous le disiez, certains plans sur le mont Bugarach ont été tournés avec la technologie LED, où les images sont projetées sur des écrans. La dernière fiction de France Télévisions a avoir utilisé ce type de technologie, c’est « Vortex ». De quelle manière avez-vous appréhendé cette nouvelle technologie ?
Pour l’anecdote, notre série devait s’appeler « Vortex » (rire). Au départ, nous ne devions pas tourner en studio. Nous cherchions un endroit naturel auquel nous aurions peut-être amené un fond vert et des câbles. Nous n’avons jamais trouvé l’endroit le plus sûr. Il était impossible de réaliser ces séquences sur le mont Bugarach pour plusieurs raisons : l’accès au sommet pour lequel il faut compter deux heures de marche, sans équipement, et les conditions de sécurité n’étaient pas optimales.
C’est notre directeur de production qui s’appelle Vladimir Feral et Sylvain Rodriguez, qui nous ont proposé d’utiliser la technologie LED.
Nous avons tourné au studio de Provence à Martigues avec la société Planète Rouge, qui a le plateau LED le plus grand de France. Je pensais que les comédiens aimeraient mais je crois que ça n’a pas été le cas pour tous. Ce n’est pas à cause de la technologie, mais chaque plan était long à mettre en place. Il nous aurait fallu plus de préparation.
L’incroyable environnement 3D a été créé par Henry Lepot, qui s’est également chargé des VFX, mais pris par le budget il n’y a pas eu beaucoup d’allers-retours entre lui et Planète Rouge. Alors, nous faisions des réglages pendant que nous tournions. Nous avons tourné moins de plans que ce que nous prévoyions. Au-delà de ça, ça reste une technologie incroyable et c’est plus avantageux que d’avoir un fond vert.
De plus nous avions toutes les conditions les plus compliquées : nous devions recréer un extérieur en haut d’une montagne où il est censé y avoir du vent, un soleil couchant… Nous avons cumulé beaucoup de difficultés. Pour le vent, nous avons utilisé des ventilateurs mais au niveau bruit l’équipe son n’était pas très contents forcément et nous avons dû tout postsynchronisé. Mais encore une fois je suis très content du résultat et du travail collectif mis en place à ce moment là, car avec le budget serré qu’on avait, c’était déjà inespéré de pouvoir utiliser une telle technologie. Ça m’a ouvert des perspectives inédites. J’aurais envie de refaire quelque chose là-bas.
Crédit photo : Stéphane Bouquet
Le vortex se trouve dans un creux au cœur du Mont Bugarach. Les protagonistes doivent effectuer un saut dans le vide pour l’atteindre. De quelle façon les sauts ont-ils été filmés ?
Comme le plateau LED n’avait pas suffisamment de hauteur car il nous fallait au minimum 10 mètres de haut, nous avons installé des fonds verts géants en dehors du plateau, en extérieur. Nous avons ensuite fait appel à la team Cauderlier, qui nous ont fait l’installation.
Nous avons filmé les sauts sur une journée.
Comment les gens de Bugarach ont-ils accueilli le tournage de la série ?
Le Maire espère que la série ne lui ramènera pas d’autres illuminés. Certains des habitants étaient très contents de nous voir, certains ont été plus réticents. Un régisseur m’a raconté que lorsqu’il cherchait un endroit pour garer les camions, il a été plutôt mal accueilli. Mais globalement, tout s’est bien passé. La ville a mis à notre disposition une salle pour la cantine, pour filmer où nous voulions, etc. La plupart veulent simplement rester tranquilles, ce qui est normal. Heureusement, la majorité des gens sont bienveillants et extrêmement gentils. Nous ne tournons qu’une fiction, c’est du divertissement, il n’y pas de connotation négative à notre travail. Et la région gagne à être connue, il y a des très beaux endroits, de beaux paysages, des châteaux, des lieux magnifiques pour des tournages !
Lula Cotton Frapier saute dans le vide.
Crédit photo : Stéphane Bouquet
Ma critique de « Bugarach » est à retrouver ici.
« Bugarach », le 31 mai sur France.TV
Synopsis :
De nos jours dans une petite ville d’Occitanie, Émilie, une étudiante au caractère imprévisible, décide d’enquêter sur la disparition suspecte de son père, suite au crash de son hélicoptère. Avec l’aide de ses deux amis, elle part explorer le mont Bugarach où l’accident a eu lieu et découvre un portail ouvrant sur des mondes parallèles. Émilie pourra-t-elle changer le cours de son destin et sauver la ville, menacée par une catastrophe environnementale majeure ?
Casting : Marilyn Lima, Lula Cotton Frappier, Lila Do Couto Teixeira, Jeremy Banster, Linda Hardy, Aurélie Recoing, Gaspard Meier-Chaurand, Audrey Giacomini, Jérôme Varanfrain…