LE COURS DE LA VIE : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR FRÉDÉRIC SOJCHER ET LE COMÉDIEN JONATHAN ZACCAI

Pour la sortie du film « Le cours de la vie » au cinéma, le réalisateur Frédéric Sojcher et l’acteur Jonathan Zaccai sont revenus sur la définition d’un scénario, sur la notion de caractérisation et les particularités de tourner un long-métrage se déroulant durant une masterclass. Une rencontre enrichissante pour qui aime le cinéma.

« Le scénario a des règles auxquelles chaque scénario finit par échapper pour devenir original » – Jonathan Zaccai

Le film démarre et se poursuit par une masterclass sur le scénario dirigée par Noémie (Agnès Jaoui). Quelle est votre définition à tous les deux du « scénario » ?
Frédéric Sojcher : Le scénario, c’est l’art de raconter une histoire pour le film. Ce qui veut dire, et c’est un vrai paradoxe, que c’est une première étape qui n’est pas une fin en soit. Le plus beau scénario du monde, s’il ne se transforme pas en film, est un objet inachevé. Il y a donc différentes phases d’écriture. La phase d’écriture du scénario est essentielle car c’est comme la fondation d’une fondation. Mais vous allez aussi avoir des réécritures durant un tournage ne serait-ce que par le choix des acteurs, par l’interprétation qui va forcément influer sur la manière dont on perçoit l’histoire, dont elle est filmée. Je suis convaincu que lorsque nous filmons une même action différemment, nous n’avons pas la même perception de ce qu’elle raconte. Enfin, une troisième phase, celle du montage. Dans ce processus, nous pouvons décider de supprimer des scènes ou d’en changer l’ordre. Et c’est une tout autre histoire. Puis, c’est là qu’intervient aussi la musique, qui pourrait être une quatrième étape puisqu’elle raconte quelque chose. Soit émotionnellement, soit comme dans les films à suspens, où la musique participe à la manière dont on ressent la tension dramatique. En somme, le scénario est une étape cruciale mais qui, s’il elle n’est pas complétée par les étapes suivantes, serait incomplète. La complémentarité entre la base du scénario et tout le reste, contribue à faire ressentir des émotions chez le spectateur.

Jonathan Zaccai : Le scénario a des règles auxquelles chaque scénario finit par échapper pour devenir original. La première règle, c’est d’arriver à captiver l’attention du spectateur sur une histoire, sur des personnages, sur un intérêt à les suivre. C’est l’essentiel. Dans le meilleur des cas, comme dans « Le cours de la vie », faire naître des émotions.

« J’aime l’idée d’un personnage romantique, qui a reconstruit sa vie, mais qui est resté marqué par son amour de jeunesse » – Jonathan Zaccai

En tant qu’acteur, qu’est-ce qui vous convainc d’accepter un scénario ?
JZ : Pour Sur les Chemins Noirs, par exemple, j’ai dit « oui » pour la beauté du projet, pour participer et rencontrer Jean Dujardin, avec qui c’était tellement agréable de partager un bout de chemin. Puis, il y a d’autres projets que je fais pour l’amour du rôle, du scénario. Le personnage de Vincent dans « Le cours de la vie » m’a beaucoup touché à la lecture, l’histoire d’amour de jeunesse avec Noémie, l’originalité du scénario et son propos. Bizarrement, en revoyant le film, je me suis dit qu’il y avait peu de films qui parlent de la vie, de nous, de façon intéressante. […] Ce personnage a fait un arrêt sur image avec son histoire d’amour. J’aime l’idée d’un personnage romantique, qui a reconstruit sa vie, mais qui est resté marqué par son amour de jeunesse. Nous avons tous été marqués par notre premier amour. C’est son romantisme effréné que j’aimais. C’est un personnage qui n’a pas non plus réalisé tous ses rêves et c’est peut-être à cause de cette femme avec qui il rêvait de cinéma, avec qui il écrivait ses histoires. Son départ a cassé tout ça. Il y avait une petite part de Frédéric dans ce personnage. Je n’ai pas fait de mimétisme mais il y a une forme de pudeur, de gêne, que j’ai essayé de retranscrire.

Au début du film, on apprend qu’un scénariste se base souvent sur des observations et de ces observations, il se pose alors une question : « Et si… ? ». Quel a été le « Et si… ? » pour démarrer le scénario de cette histoire signée Alain Layrac ?

FS : « Et si… ? on adaptait le livre d’Alain Layrac », qui s’appelait « Ateliers d’écriture ». C’est un livre qui raconte comment Alain Layrac donne des cours de scénario. Ce qui m’a intéressé lorsque je l’ai lu, c’est qu’il fait des passerelles en permanence entre la vie et le cinéma. C’était très original d’amener le scénario non pas d’un point de vue théorique, non pas d’un point de vue de l’ordre du matériel du scénario mais en incarnant cette approche d’exemple concret lié à sa propre vie. Comment sa propre vie a interagi avec son travail de scénariste. À partir de là, comment toutes les vies des personnes qui ont envie d’écrire des histoires pour le cinéma peuvent interagir dans leur écriture.

Quand j’ai proposé à Alain Layrac cette adaptation il m’a répondu que j’étais fou. Il pensait que c’était impossible de réaliser un film à partir de cours de scénario. Je lui ai dit « et si on complétait les cours de scénarios avec une histoire d’amour ? » avec des personnages spécialement inventés pour le film et qui seraient l’incarnation entre la vie et le cinéma. Alain a pris le temps de la réflexion. Il a finalement accepté d’écrire le scénario.

Jonathan, vous vous êtes déjà posé la question de « Et si… ? » ?
JZ : C’est mon quotidien d’acteur. Forcément nous puisons dans nos propres expériences pour s’imaginer ce qu’on aurait été si telle ou telle chose nous étaient arrivés comme dans le film. Nous nous projetons dans des probabilités que nous n’avons pas vécues. Cet imaginaire là dans lequel l’acteur doit se plonger est passionnant. On doit être près à endosser d’autres vies. Dans ma propre vie aussi. Lorsqu’on arrive à la cinquantaine on se pose mille questions. Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières mais parfois je me demande « et si ma mère était encore là ? », « et si son art avait été plus reconnu de son vivant ? ». C’est quelque chose qui me taraude.

La masterclass sert de rétrospective affective et amoureuse à Noémie et Vincent. Etait-ce difficile d’arriver à se faire confronter ces deux éléments : le cours et l’histoire d’amour ?
FS : J’ai suivi toutes les étapes d’écriture et il y avait un vrai et bel échange entre Alain et moi. Très vite, l’histoire d’amour s’est développée et il n’y a pas eu beaucoup de difficultés à ce niveau-là. Le plus difficile a été d’intégrer les étudiants qui sont une sorte d’intrigue secondaire et à laquelle je tenais beaucoup. Dans le film, les étudiants ne sont pas passifs, ils vont réagir ce que dit Agnès Jaoui. Et ce qu’elle dit va avoir un impact sur leur propre vie. Il y aura un écho dans ce que vivent les étudiants dans le film. Nous devions trouver le bon dosage entre l’histoire principale et parvenir à développer l’intrigue secondaire des étudiants et un troisième acte avec des intrigues parallèles.

JZ : C’est ça qui rend la masterclass vivante, entre autre. Elle est vivante parce qu’elle parle de la vie, de ce qu’il faut connaître de la vie et de soi-même pour écrire un scénario. C’est passionnant. Au fur et à mesure, indirectement, elle dit à ses élèves ce qu’elle a envie de me dire à moi. La masterclass devient un dialogue entre nous, même si je suis plus à l’écoute.

« Agnès Jaoui a émis une condition pour accepter le rôle, c’était de relire toutes les scènes de cours où l’on parle de scénario pour être en adhésion avec ce qu’elle raconte » – Frédéric Sojcher

Souvent, on a la sensation que le personnage de Noémie se confond avec Agnès Jaoui, elle-même scénariste…
FS : C’était un souhait de ma part. C’est pour cela, effectivement, que je souhaitais Agnès Jaoui pour interpréter le rôle de Noémie. Elle est totalement crédible en scénariste. Personne ne peut remettre ce point en question. Ce n’est pas facile d’avoir une actrice crédible dans le rôle d’une scénariste. Avec elle, la question ne se pose pas. Dans mes précédents films, j’ai souvent pris un grand plaisir à faire jouer les acteurs dans leur propre rôle. […] Dans « Le cours de la vie », j’ai aimé l’idée de la rencontre entre le personnage de Noémie et Agnès Jaoui, qu’il y ait cette porosité, des vases communicants entre les deux. Cela est surtout vrai pour les scènes de cours. Agnès Jaoui a émis une condition pour accepter le rôle, c’était de relire toutes les scènes de cours où l’on parle de scénario pour être en adhésion avec ce qu’elle raconte et être en accord avec ce qui était écrit. Il y a eu un travail de réécriture sur certains dialogues et séquences de cours, avec l’accord d’Alain Layrac. Ça rajoute une autre dimension à cette rencontre avec Agnès et son personnage.

« Il y a tout un art du scénario dans la création d’un personnage » – Frédéric Sojcher

Durant la masterclass, le personnage de Noémie évoque la caractérisation des personnages. En tant que scénariste, comment crée-t-on un bon personnage de fiction ?
FS :Il y a au moins trois niveaux. D’abord, définir son personnage via un questionnaire, par exemple, et dont on parle dans le film. Rentrer dans l’intimité de son personnage (ses relations sexuelles), même si nous n’en parlerons pas dans le scénario. Cerner toutes les dimensions d’un personnage : professionnelle, familiale, affective, sentimentale… C’est le travail scénaristique. Ensuite, il y a la rencontre entre un personnage et un acteur. Cette rencontre peut faire évoluer les choses. C’est mon grand plaisir de réalisateur, ce moment où le scénario prend vie à travers les acteurs. Ça me fascine. Enfin, une dernière étape. Peut-être la plus cruelle. C’est celle du montage. Lorsqu’on tourne un film, on réalise plusieurs fois un même plan et on choisit la bonne prise, le bon raccord entre les plans. Forcément, il y a une réécriture du personnage avec le montage et faire évoluer encore la définition du personnage. Mais évidemment, il y a tout un art du scénario dans la création d’un personnage. Bertrand Tavernier affirmait que dans l’écriture scénaristique française et même européenne, on s’intéresse aux personnages, les personnages mènent l’action, tandis que dans l’écriture américaine, c’est l’action qui mène le récit et les personnages sont au service de l’action. Deux approches, deux visions différentes du cinéma.

De quelle façon ont été créés les personnages de Noémie et de Vincent ?

FS : Le personnage de Noémie c’est le double d’Alain Layrac puisque ce qu’elle raconte durant la masterclass est ce qu’a écrit Alain dans son livre. Le personnage de Vincent, c’est un peu mon double. Il est comme moi, je coordonne un master à Paris et lui dirige une école de cinéma, on est proche. Alain Layrac avec mon accord, s’est inspiré de ma propre histoire de vie, pour créer Vincent. Il y a néanmoins une différence entre lui et moi, et je ne sais pas si c’est à mon avantage, c’est que dans le film Vincent a décidé d’arrêter de réaliser des longs-métrages alors que de mon côté, je continue de me battre pour en réaliser.

« Je pense que les grands acteurs et les grands scénaristes ont ce point commun d’observer les autres pour ensuite écrire un scénario ou interpréter un rôle » – Frédéric Sojcher

Pourquoi avoir choisi Jonathan Zaccai pour le rôle de Vincent ?
FS : Nous étions amis d’enfance en Belgique. Sa mère et mon père se connaissaient. La vie a fait son œuvre, chacun a fait son parcours. Lorsque j’ai pensé à lui pour le rôle de Vincent, non seulement cela a fait le bonheur d’Agnès Jaoui, et pour moi aussi. Nous avons immédiatement retrouvé la complicité que nous avions enfants. Lui également, a pris plaisir à s’inspirer de moi pour le rôle de Vincent, selon ses dires. Je suis maladroit physiquement. Il a retranscrit ça, notamment avec cet accessoire de l’écharpe qu’il porte autour du cou et accentuée par les costumes. C’est ma femme qui est costumière du film et lors des essayages, Jonathan lui a demandé de s’inspirer de moi. Au départ, il ne savait pas que c’était ma femme (rire). Je raconte cette histoire parce que c’est vraiment une poursuite entre la vie et le cinéma. […] Dans certains films, on peut voir une sorte de mimétisme entre l’acteur et le réalisateur voire même un rapprochement physique. Je pense à Martin Scorcese et Robert de Niro, Fellini et Mastroianni, Truffaut et Jean-Pierre Léo ou encore à Michel Piccoli et Claude Sautet. C’est étonnant de voir ce mimétisme entre les acteurs et les réalisateurs. Alors qu’au départ, il n’y a pas forcément de ressemblance physique, mais c’est comme si les acteurs observaient les cinéastes pour s’inspirer d’eux dans la gestuelle, dans l’expression du visage. Je pense que les grands acteurs et les grands scénaristes ont ce point commun d’observer les autres pour ensuite écrire un scénario ou interpréter un rôle.

Jonathan, comment s’est déroulée votre collaboration avec Agnès Jaoui ?

JZ : Nous avions déjà tourné ensemble dans « Le rôle de sa vie », qui était aussi une histoire d’amour. L’idée de la retrouver était excitante. Aucune autre actrice ne pouvait mieux endosser ce rôle qu’Agnès car elle est même une très grande scénariste. […] C’était troublant d’ailleurs car, nous sentions sur le tournage qu’Agnès ne fait qu’un avec Noémie. […] J’ai eu du plaisir à la retrouver et cela s’est concrétisé naturellement. C’est une partenaire qui donne beaucoup de confiance et on peut plonger les yeux fermés avec elle. C’est une femme merveilleuse.

Tout était naturel. Nous n’avons pas eu de difficultés à créer cette relation entre nous. Déjà à l’époque, j’avais été touché par Agnès, par son travail et lorsque vous vous entendez bien avec une personne, c’est comme une belle histoire. Je l’ai donc retrouvée avec tout ce qu’il y avait eu à l’époque et qui nourrissait notre relation. Ça nous a de suite mis dans une spontanéité évidente.

Il y a beaucoup de jeux de regards entre vous, très intenses. De quelle façon avez-vous travaillé ça ?
JZ : C’est du sensible. On se laisse porter par l’instant. Le dispositif de Frédéric était pas mal parce que durant la masterclass, nous ne savions pas quand les caméras tournaient sur moi. C’est agréable car tu vis ton moment sans savoir quand tu seras capturé dans l’image. Donc, de manière très simple, laisser les émotions nous guider, l’histoire nous envahir.

Ma critique du film est à retrouver ici.

Synopsis :
Noémie retrouve Vincent, son amour de jeunesse, dans l’école de cinéma dont il est désormais directeur. A travers une masterclass hors norme, elle va apprendre à Vincent et ses élèves que l’art d’écrire un scénario c’est l’art de vivre passionnément.

Le cours de la vie, le 10 mai au cinéma.

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