[INTERVIEW] – CÉLIA LEBRUMENT, ÉLÉGAMMENT COMÉDIENNE : « Je ne pense pas que nous fassions ce métier pour avoir des réponses »

Copyright : Jean Philippe BALTEL BONNE PIOCHE M6

À 22 ans, Célia Lebrument a déjà toutes les qualités d’une grande. D’origine réunionnaise, elle parcourt la télévision depuis cinq ans et, de seconds rôles à des rôles plus conséquents, Célia Lebrument a su doucement s’imposer par sa fraîcheur, sa spontanéité, son exigence ainsi que son jeu profond et sincère, naviguant avec aisance d’un genre à l’autre.
Fille d’Édouard Montoute (« CUT »), de Vincent Elbaz (« Syndrome E ») et prochainement d’Eric Cantona dans la série « Brigade Anonyme », la jeune comédienne n’a pas toujours été « la fille de… ». Retour sur un début de carrière prometteur, sur laquelle Célia Lebrument se confie à cœur ouvert.

« Mes parents ont compris que c’était sérieux parce que je sacrifiais une partie de ma vie sociale au lycée »

Racontez-nous vos débuts à La Réunion…
Je suis née et j’ai grandi à La Réunion. Je pense que je débordais d’énergie lorsque j’étais petite et, à mes 13 ans, j’ai commencé à faire du théâtre. Je n’arrive plus à me souvenir si ma mère m’a inscrite – car elle n’est pas du genre à nous imposer des activités – ou si c’est moi qui avait cette envie. Quelques mois après avoir débuté les cours de théâtre, je parle avec une amie du collège qui passe un casting pour un court-métrage dans lequel j’ai aussi été prise par la suite. Il s’agit d’« Allées-Cocos » d’Elsa Dahmani. C’était mon tout premier projet. Sur ce tournage, j’ai vite compris que j’étais entourée de gens passionnés. Je me suis sentie à ma place. À La Réunion, j’ai poursuivi ce chemin et j’ai décroché en 2015 le premier rôle dans un autre court-métrage, « Cassandre » de Joffrey Renambatz. Ce court-métrage a reçu le Prix Océan à La Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes. Nous y sommes allés pour le présenter. Je débarquais à Cannes à l’âge de 14 ans. Depuis, je savais que je ferais tout pour intégrer ce milieu même si étant ado il ne s’agissait que d’une activité extrascolaire. Quelques années plus tard, j’ai intégré le Conservatoire Régional de La Réunion et, à partir de la deuxième année, nous avions 12 heures de cours par semaine. J’étais encore au lycée et mon père faisait 45 min de route, 3 fois par semaine à 21h. Mes parents ont compris que c’était sérieux parce que je sacrifiais une bonne partie de ma vie sociale au lycée. Ils m’ont laissée partir sur Paris, après le bac, où j’ai fait une licence de cinéma à La Sorbonne et me suis inscrite au Laboratoire de l’acteur. Puis, tout s’est enchaîné.

À La Réunion, vous avez aussi tourné dans une série assez populaire, « CUT ». Comment avez-vous vécu cette expérience ?
J’avais 16 ans à l’époque. On me propose de passer le casting pour jouer dans la série mais surtout au côté d’Édouard Montoute. Étant une très grande fan d’« Astérix et Obélix : Mission Cléôpatre », je ne pouvais pas refuser cette occasion, ni celle de continuer à prendre en expérience. Sur l’Île, il y a peu de projets -même si ça bouge davantage ces dernières années – alors j’accepte. C’était l’année de mon bac de français, ce fut donc intense. Nous tournions près de 6 séquences par jour et j’avais des centaines de pages de textes à apprendre en plus de mes analyses de textes en français. Ces années-là, je me suis prouvée que je savais gérer une quantité de travail énorme. Je suis heureuse d’avoir fait « CUT » car ça m’a permis de prendre conscience de ce qui se déroulait sur un plateau, de comment fonctionnait une équipe de tournage, de qui faisait quoi et de voir à quel point tout le monde est important. Comprendre ça à mon jeune âge, c’est du pain béni. Quand je suis arrivée sur Paris, j’étais plutôt bien préparée.

[…] Édouard était libre, au service de son personnage. Tous les acteurs que j’ai pu rencontrer jusqu’à présent se souciaient de ça, de l’histoire, du rendu à l’image, et de la cohérence. Édouard fut mon premier « papa de fiction ». Il m’a bien accueillie. Je n’ai jamais osé lui parler d’« Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre » mais nous avons eu des anecdotes de tournage puisqu’il l’évoqué avec nous. Je n’ose jamais aborder les sujets moi-même (rire). Je l’ai recroisé au Festival de la Fiction de La Rochelle, 7 ans plus tard, à la projection de « Brigade Anonyme ». Il m’a reconnue et j’ai été très émue de le voir.

« Je suis intéressée par les comportements humains et je sais que tout comportement s’explique »

Est-ce que vous avez déjà des critères, des exigences sur le choix de vos rôles ?
En lisant un scénario, je me demande tout de suite si j’aurais aimé le voir au cinéma ou à la télévision. J’ai tourné dans une série qui s’appelle « Ouija », qui se déroule dans les années 80, où il y a une enquête, et ça m’a directement fait penser aux Goonies. Alors, j’ai eu envie de le faire. C’était une évidence. Et il y a des scénarios où ça l’est. Sinon, ça peut être le propos ou le message. Par exemple, sur « HPI », nous avons évoqué l’inceste et, pour moi, c’était important d’en parler. En préparant le rôle, j’ai d’ailleurs découvert des statistiques effrayantes.

Sur la préparation, je fais beaucoup de travail en amont sur le scénario en rapportant toutes les infos de mon personnage. Puis, j’essaie de gagner en épaisseur autour de ces informations, je me raconte des trucs précis. Globalement, tout est déjà écrit dans le scénario. Mais je suis intéressée par les comportements humains et je sais que tout comportement s’explique. Alors, je fais des recherches. Ça m’aide. Ensuite, je vais travailler scène par scène afin de saisir l’enjeu de la séquence, les rapports entre les personnages, tous les sous-textes, pourquoi il ou elle prononce cette phrase, etc. Dans la vie, on ne dit pas toujours ce qu’on pense et, le plus intéressant à mon avis, c’est de savoir ce que mon personnage pense de tout ce qui se dit et tout ce qu’il dit. Ainsi, une fois sur le tournage, je ne suis pas qu’une comédienne qui balance son texte. […] Quand j’ai vu « Cassandre », je me suis aperçue que je n’avais pas compris le scénario. Certes, j’avais 13 ans, mais ça m’a marquée. Depuis, je me suis promise de ne plus arriver sur un tournage sans avoir compris tous les enjeux de chaque scène et tout ce qui se raconte.

En 2022, vous intégrez une des séries événements de TF1, « Syndrome E ». Vous y incarnez Eugénie, la fille de Franck Sharko, interprété par Vincent Elbaz, qui apparaît sous forme d’hallucinations et aussi comme la conscience de Sharko. De quelle manière avez-vous abordé ce rôle atypique ?
C’était mon premier gros projet à Paris avec un casting assez exceptionnel. J’ai surtout préparé ce rôle sur le tournage car tout passait par Sharko et donc Vincent Elbaz. Il était très à l’écoute dans le jeu. Je n’ai pas lu les livres parce que ça ne racontait pas la même histoire et je ne voulais pas m’encombrer, mais créer cette relation avec le personnage de Sharko tel que Vincent l’interprétait. Nous avons construit notre duo pendant le tournage.

La relation entre les deux personnages est intense, belle, unique. Et puis, il y a cette scène finale, déchirante, où vous vous faites vos adieux. Racontez-nous les coulisses de cette séquence...

Les coulisses sont plutôt intéressantes. Quand je crois en l’histoire, l’émotion vient facilement. Il y a juste à se laisser aller par la scène et ce qu’elle raconte. Il se trouve qu’ici je me suis laissée un peu trop emporter par la scène. Laure de Butler, la réalisatrice, a démarré par des plans larges où l’on ne me voyait pas bien et, dès les premières prises, je pleurais à chaudes larmes. Laure me disait de m’économiser avant de tourner mes plans. Lorsque la caméra se braque sur moi, je pleure parfaitement et des problèmes techniques surviennent et nous devons recommencer plusieurs fois. Les prises fatidiques arrivent et je ne parviens plus à pleurer. L’émotion est là mais j’ai l’œil sec. Laure me dit qu’elle a tout ce qu’il faut mais je lui demande de refaire une dernière prise.

J’ai bien fait d’oser lui demander une ultime prise. Je ne pouvais pas laisser partir Eugénie sans lui rendre hommage. J’ai appris beaucoup de cette expérience.

Comment avez-vous réussi avec Vincent à atteindre ce degré de sincérité émotionnelle ?
Vincent était dans un rôle de composition. Il avait donné plein d’idées. Par exemple, lorsqu’il porte son plâtre au poignet, il souhaitait qu’il y ait des dessins d’Eugénie dessus. C’est passé par des petits détails comme celui-ci. Nous n’avons pas beaucoup verbalisé, ni parlé de leur relation. Mais il y a une connexion qui s’est faite parce que Vincent a une fille, j’ai un père, et il y avait quelque chose de primaire dans cette relation, que nous n’avons pas eu à chercher très loin. Il suffisait de se reconnecter à soi-même. Avoir conscience de ce qui se raconte pour faire honneur au scénario qui a été écrit.

« Pour ma scène finale avec Audrey Fleurot, j’étais impressionnée »

Vous avez également fait une apparition dans la saison 3 d’« HPI » (épisode 3). On y aborde le thème de l’inceste. Un personnage éloigné de ce que vous aviez pu faire jusqu’à présent puisqu’on découvre dans la séquence finale, face à Audrey Fleurot, que vous êtes la meurtrière. Parlez-nous de cette expérience…
C’est toujours particulier d’arriver dans une équipe qui se connaît depuis 3 ans. J’avais peu de scènes pour défendre mon personnage et ce fardeau de l’inceste. Et être crédible en tant que meurtrière. C’était un vrai challenge. Je me suis renseignée sur l’inceste, notamment en écoutant le podcast « Ou peut-être une nuit » de Charlotte Pudolwski, et j’ai compris que certaines victimes pour ne pas rester victime toute leur vie pouvait devenir les bourreaux. Ça m’a beaucoup aidée me mettre à la place de la meurtrière.
[…] Mehdi Nebbou et Audrey Fleurot ont été accueillants. Pour ma scène finale avec Audrey, j’étais impressionnée. C’est une femme impressionnante et, c’est même la première fois, que j’étais autant impressionnée par quelqu’un.

« J’ai beaucoup appris de la sincérité de jeu d’Eric Cantona »

Le 26 mars prochain, vous serez à l’affiche de la série « Brigade Anonyme » de Julien Seri avec Eric Cantona dans laquelle vous interprétez sa fille. Encore « la fille de… » !

Oui (rire). Toutefois, ce qui est intéressant, c’est que je joue des jeunes filles qui ont vécu des choses difficiles. J’ai toujours des scènes profondes à jouer, à défendre, et donc c’est challengeant en tant que comédienne. Puis, comme avec Edouard ou Vincent, jouer ça avec Eric Cantona était un privilège. […] Eric est autant à l’écoute sur le tournage que dans la vie de tous les jours. Ce qui est agréable. Il est humble, observateur et apaisant. Quand on apprend à le connaître et à le cerner, on s’aperçoit que c’est une personne calme. Surtout, il ne se met jamais en avant. Dans le jeu, il est tellement sincère, authentique. Dans le premier épisode, lorsqu’il cherche sa fille, moi en l’occurrence, il y croit tellement qu’on est sur son pouls, on ressent sa détresse et je trouve qu’en tant que spectateur on s’identifie facilement à lui.

J’ai beaucoup appris de cette sincérité-là. Il compose avec qui il est. […] Ce tournage était porté sur le côté humain, en partie grâce à la productrice Victoire d’Aboville. Nous avons passé de super moments ensemble, même hors caméra. Ce fut exceptionnel. Elle nous réunissait souvent pour tous manger ensemble, nous avons même fait un dîner de Noël. Et ce n’est pas avec toutes les productions que nous faisons ce genre de choses. Sur le plateau, Julien Seri a apporté une bonne humeur communicative. Au départ, j’appréhendais un peu. En me renseignant sur lui en amont du tournage, j’avais vu qu’il avait réalisé des films d’action et je me demandais si nous arriverions à communiquer (rire). Au final, c’est un amour. Il est d’une grande bienveillance. Néanmoins, il faut être bien préparé pour tourner avec Julien car ça va vite. Il laisse une place importante à la liberté et la spontanéité du comédien. Et c’est arrivé à un moment de ma carrière, que je trouve pertinent, moi qui avait l’habitude d’être toujours très dirigée.

Lorsqu’on tourne avec des pointures comme Laure de Butler, Julien Seri, Vincent Elbaz ou Eric Cantona, qu’est-ce qu’on apprend ?
C’est rassurant de voir ces pointures douter, composer avec ce qu’il se passe, prendre des décisions, être humaines finalement. On se dit, jeune comédienne que je suis, que nous n’avons pas tout le temps les réponses au cours de notre carrière. Je ne pense pas d’ailleurs que nous fassions ce métier pour avoir des réponses, en tout cas pas moi. De voir que le stress, l’adrénaline sont toujours présents chez eux, également, c’est très beau. C’était le cas chez Vincent Elbaz. Eric est plus téméraire, je ne saurais pas dire s’il était stressé mais je sais que lui aussi est capable de douter sur certaines choses. Quand ça arrive, il en discute. Nous sommes sans cesse en train de créer et voir qu’au fil des années, cette envie de fabriquer un projet commun ne se perd pas, c’est intéressant. C’est aussi pour ça que j’ai choisi ce métier.

Vous pouvez retrouver ma critique des deux premiers épisodes de la serie ainsi que mon interview avec le réalisateur Julien Seri ici.

« Brigade Anonyme » le 26 mars sur M6.

Synopsis :
Ancien hors-la-loi, personnalité hors-norme et père au grand coeur, Castaneda n’a pas toujours été du bon côté de la vie. Aujourd’hui, il n’a qu’un seul objectif : donner le meilleur à sa fille. Pour cela, il enchaîne les petits boulots et fait tout pour rentrer dans le rang. Mais quand sa fille disparaît, il s’affranchit des règles pour la retrouver. Les premières heures sont décisives et les commissariats en sous-effectifs alors Castaneda va enquêter à sa manière : entouré de gens comme lui, des anonymes, sans passe-droits ni diplômes, ils vont sillonner la campagne pour traquer le ravisseur. Antisystème, rois de la débrouille et proches des gens, et si Castaneda et son équipe étaient les mieux placés pour la retrouver ?

Casting : Eric Cantona, Marilyn Lima, Arié Elmaleh, Héléna Nogguera, Célia Lebrument, Myriam Boyer…

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