MES FRÈRES ET MOI : LA MUSIQUE DES SENTIMENTS

*SPOILERS*

Présenté au printemps dernier au Festival de Cannes dans la sélection « Un certain regard », Mes frères et moi de Yohan Manca est un film chaleureux et lumineux sur la découverte de l’art lyrique par un jeune garçon fan de Pavarotti et met également en scène une fratrie tourmentée – confrontée à leur propre violence – mais terriblement attachante.

Synopsis : Nour a 14 ans. Il vit dans un quartier populaire au bord de la mer. Il s’apprête à passer un été rythmé par les mésaventures de ses grands frères, la maladie de sa mère et des travaux d’intérêt général. Alors qu’il doit repeindre un couloir de son collège, il rencontre Sarah, une chanteuse lyrique qui anime un cours d’été. Une rencontre qui va lui ouvrir de nouveaux horizons…

Douce mélodie ?

« La musique est la langue des émotions » disait Emmanuel Kant. C’est exactement ce qu’est le film de Yohan Manca, une partition musicale pleine d’émotions.
Sur les premières notes Yohan Manca dépeint la colère, la rage et la fureur. Elles animent perpétuellement les personnages, orchestrent la vie d’Abel (Dali Benssalah), d’Hédi (Moncef Fafar) et du jeune Nour (Maël Rouin Berrandou) contrastant, au passage, avec la personnalité plus fraîche et « décalée » de Mo (Sofian Khammes) le quatrième frère.
Dans un deuxième tempo : la brutalité. Celle de la vie, qui vous confronte à la disparition d’un père, à la maladie d’une mère et au monde environnant qui tente par tous les moyens de vous exclure de la société. De cette brutalité découle ce flot de sentiments : aigreur et haine. Certains ne la maîtrisent pas comme Hédi, cherchant toutes les bonnes occasions pour la laisser exploser, s’exprimer. Un appel à l’aide. Car dans cette colère se cache un véritable mal-être que Moncef Farfar et le réalisateur Yohan Manca mettent en scène avec une bouleversante authenticité. Souvent, elle s’oppose à la colère de son frère Abel. Des scènes très dures, qu’elles soient verbales ou physiques. Inconsciemment, dans ces joutes verbales, dans ces danses parolières féroces, Abel et Hédi se cherchent par un contact physique. Les poings remplacent les embrassades. Des poings pour se prêter attention. En vérité, ce sont deux frères qui souffrent des mêmes maux : l’absence d’un amour parental, l’absence d’affection, l’absence de repères, l’absence d’un cadre.
Au milieu de tout cela, Nour, 14 ans. Lui observe cette violence, la subit parfois, au sein de son propre foyer ou bien à l’extérieur. Pourtant, personne ne lui demande comment il vit toutes ces épreuves. À 14 ans, nous sommes censés être des enfants, naïfs, perdus dans nos imaginaires, insouciants face au temps qui passe. Nour, de son côté, est déjà un adulte. Du moins, en apparence. Toutefois, ses douleurs, ses peines, feront toujours de lui un enfant en avance sur les autres. Pour le comprendre, revenons sur les absences que je soulignais. Elles sont visibles dans plusieurs séquences.
. La première est celle où Nour enlace sa professeur de chant. Un câlin instinctif, sincère, qui en dit long sur ce manque affectif et sur le profond désespoir qui le hante. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si la séquence d’ouverture du film est liée à une scène de drague. On cherche souvent l’amour pour combler un manque maternel (ou paternel). Il en va de même pour Mo. Ce dernier n’est pas gigolo par plaisir, il cherche à satisfaire une absence (et cherche, en parallèle, son identité).
. La deuxième est celle qui précède cette séquence, où il se confronte à la discipline. C’est ici que Nour s’aperçoit qu’un véritable cadre offre une conscience sur ce qu’est la responsabilité. Que le cadre, qu’il n’a jamais connu, a du bon. Qu’il atténue aussi les peines.
D’ailleurs, ce n’est qu’en ce lieu, celui des cours de chant, que l’on voit Nour heureux, sourire, qu’on trouve le garçon qu’il aurait dû être. Ces sourires sont importants. Ils sont aussi une bouffée d’air frais dans une histoire tragique entre devoir, altercation physique (policières ou non), courses-poursuites et deuil. Comme les séquences entre Nour et Julia (Olga Milshtein), qui apportent une touche émotionnelle tendre et nécessaire à la construction de sa personnalité. « Quand on chante, on chante pour quelqu’un » déclare Sarah (incarnée avec finesse par la magnifique Judith Chemla). Et c’est intéressant de voir qu’il regarde deux personnes à la fois : Sarah, sa nouvelle figure maternelle et Julia, sa complice et premier émoi amoureux.
Enfin, le film mêle bonté, générosité, enthousiasme et gratitude. Autant de sentiments qui parsèment, se glissent dans le scénario musicale de Mes frères et moi.
La bonté et l’abnégation totale envers une maman malade.
La générosité et le plaisir d’offrir au travers la musique et la joie qu’elle procure.
La gratitude pour les découvertes, l’apprentissage, l’aide apportée et les opportunités.

Cette musicalité, cette valse des sentiments bouscule le spectateur, le place dans une situation inconfortable. Néanmoins, cette richesse scénaristique est celle de la vie. Yohan Manca ne tronque pas la réalité, ne tente jamais de l’atténuer ou de l’embellir (il n’y a pas de grands happy-ending à la fin de son film). Il montre la vraie vie, telle qu’elle l’est pour une partie de la jeunesse.

Mettre en lumière les invisibles

Mes frères et moi, c’est le portrait d’une jeunesse abandonnée à elle-même, tiraillée entre les responsabilités et l’envie d’émancipation. La confrontation entre les trois frères et leur oncle en est le parfait synonyme. La peur de partir, l’inconfort que cette idée procure, le confort de rester dans la situation actuelle, l’angoisse de devenir une autre personne, de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir, de ne pas être assez bon et l’inquiétude du regard des autres, d’être pris pour un lâche, d’être celui qui quitte un foyer et sa famille. Il y a dans l’émancipation, un vertige insurmontable, créé par une multitude d’incertitudes et d’appréhensions.
Alors on se terre, on se mue et on tente d’avancer comme on peut.
Puis, être seul. Difficile de vouloir grandir, de voir ses rêves et ses ambitions aboutir, quand devant nous des murs se dressent, toujours plus hauts et infranchissables.

Abandonnés par la société et l’État, quelques-uns luttent pour ouvrir une voie. Sarah, la professeur de chant, fait partie de ces gens optimistes qui déversent sa bonne humeur et ses espoirs sur les autres. Par ricochet, elle touche, parvient à ouvrir une brèche dans le cœur de ces enfants délaissés par le commun des mortels. Elle est une pièce maîtresse, essentielle, une corde à laquelle les enfants se raccrochent. Elle crée des moments intimes et joyeux. Même si cela ne dure qu’un bref instant, c’est un refuge sacré pour quiconque y pénètre, un refuge pour se révéler à l’abri des regards, un refuge pour convoiter plus grand.
C’est ainsi que les rêves les plus fous peuvent se dessiner et qu’une ambition intime naît, dans les entrailles d’une salle de classe. Rêver de devenir le prochain Pavarotti ? Après tout, pourquoi pas…

La musique est un art comme tous les autres, elle révèle les personnes. Elle offre la possibilité à des invisibles d’être sur le devant de la scène, de capter la lumière, de briller et d’insuffler de la conviction à tous ceux qui les regardent. L’art est un vecteur puissant de transmissions, d’optimisme et d’espoir. Être accompagné des arts dans son quotidien (sans vouloir en faire un métier), permet d’adoucir les chagrins et de surmonter les épreuves. Cela, Nour l’a bien compris.

Conclusion

Yohan Manca livre un sublime premier film entre tragédie et espoir, porté par des acteurs impérieux et d’une précision chirurgicale dans l’interprétation.
Une jolie mélodie en ce début d’année !

1 commentaire sur “MES FRÈRES ET MOI : LA MUSIQUE DES SENTIMENTS

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *