VISIONS : ENTRETIEN AVEC LES SCÉNARISTES JEANNE LE GUILLOU ET BRUNO DEGA

À l’occasion de la sortie ce 16 mai de la nouvelle mini-série de TF1, Visions, rencontre avec les scénaristes Jeanne Le Guillou et Bruno Dega.

Synopsis : Alors qu’une petite fille d’à peine douze ans disparaît, Diego, huit ans, manifeste d’étranges visions qui alertent le capitaine de gendarmerie chargé de l’enquête, Romain, et surtout sa compagne, Sarah, une jeune psychologue. Et si ce que voit ou dessine Diego était lié à cette disparition ?

« Nous voulions une série « normale » et non pas une série de genre. C’était traiter le surnaturel, au naturel. »

D’où est né le projet Visions ?
Jeanne Le Guillou : Nous avions le co-producteur de la série, Michaël Gentile, qui avait une envie de parler médiumité. Nous, nous sommes très attirés par cet univers-là. Cependant, il est difficile d’imaginer une série sur la médiumité puisque plein de choses ont déjà été faites, telle que la série Médium avec Patricia Arquette. Nous ne voulions pas une énième série avec un flic médium. L’idée est venue au cours d’un dîner, lorsque le pas de côté a été fait en se demandant « et si c’était un enfant ? ». Ces phénomènes commencent généralement dans l’enfance et, sont sous-évalués par la famille. Nous trouvions donc intéressant de parler de ça, à travers le regard d’un enfant et du point d’une mère qui ne sait pas comment gérer cette nouvelle situation. Puis, ce qui est fascinant pour nous d’avoir un enfant comme héros, c’est qu’il ne sait pas ce qu’il lui arrive, il n’évalue pas son don, il pense que tout le monde est ainsi.
[…] Néanmoins, nous ne voulions pas imposer notre vision sur le sujet. Qu’on y croit ou non, il y a des personnes suffisamment sensibles pour voir le surnaturel. Face à ça, nous voulions mettre le spectateur dans cette position, au cœur du débat entre Sarah et Romain : cela est-il possible ?

Bruno Dega : Nous voulions une série « normale » et non pas une série de genre. C’était traiter le surnaturel, au naturel. […] Ensuite, ça nous intéressait d’évoquer la différence. Qu’est-ce que ça veut dire d’être un enfant différent ? D’avoir un enfant différent lorsqu’on est parent ? […] Ce qu’on aime, ce sont davantage les personnages que l’aspect policier.

Quelles été ont les étapes d’écriture pour Visions ?
J.L.G : Une fois que nous avons eu l’idée d’inscrire un enfant pour être le héros de notre série, en un quart d’heure nous avions globalement l’histoire. C’est très bizarre. C’est comme un puzzle qui se met en place, c’est-à-dire que nous savons exactement dans quel type de narration nous diriger. C’est instinctif. À partir de là, nous allons marcher énormément, au sens propre du terme, plusieurs kilomètres, et nous inventons des personnages, ceux dont nous avons besoin. Puis, dans quel univers ils vont s’inscrire et lesquels vont nous aider à créer des rebondissements, des fausses pistes. Nous voulions aussi créer une communauté qui se rassemble autour de cette première mort. De cette base, nous construisons les personnages les uns après les autres. Nous les enrichissons en fonction de ce qu’ils peuvent nous donner. Notre objectif était de rentrer dans les maisons, dans les vies intimes, les histoires personnelles.
Nous avons écrit la série pendant le confinement, à Port Cualquier, l’endroit où a été tourné notre fiction et, tout naturellement, nous avons inscrit l’intrigue dans les lieux que nous traversions à pied.

B.D : On a également créé le personnage de Sarah (Louane) en lui concoctant un passé. Nous voulions qu’elle ait sa propre histoire et que l’enfant l’aide à reconstruire son passé. Il y a deux histoires en parallèle, celle de la disparition de Lilly et l’histoire de Sarah.
[…] Pour rebondir à ce que disait Jeanne sur la communauté, nous ne souhaitions pas non plus que la gendarmerie soit le lieu principal de la série. On adore Soufiane et son personnage, mais notre volonté était vraiment d’être proche des gens, dans leur intimité, leurs secrets et leurs souffrances.

Akim Isker est le réalisateur de Visions. Un choix intéressant et logique. Comment s’est passé votre collaboration ?
J.L.G : Quand nous écrivons des scénarios, nous sommes très visuels. Tous les détails sont déjà écrits, tout comme les scènes muettes, que nous détaillons vraiment. Toute la difficulté pour nous était de trouver un réalisateur qui, à la première lecture, allait voir ce qu’on voulait faire à savoir une forme de poésie dans la façon de raconter et de filmer cette histoire. Les apparitions, les silences, les choses un peu évanescentes comme celles-ci, il fallait un rythme assez doux. Akim a été l’évidence absolue. Il est rentré dans notre univers de façon immédiate et, ensuite, a apporté le sien. Il nous expliquait scène par scène, la manière dont il filmerait les séquences. Nous, en fonction de ça, nous pouvions par exemple supprimer tel dialogue car nous savions qu’Akim le dirait à travers un regard filmé, un silence.

B.D : Ce fut une rencontre formidable. Lors de la première réunion, avant qu’il ne soit officialisé comme réalisateur, il avait compris tout ce que nous espérions mettre dans cette série. […] Il n’a rien réécrit. Il a amené son univers, sa vision des choses comme le disait Jeanne. Nous réadaptions le scénario avec ses envies de mises en scène, sans en changer le sens. De ce point de vue là, il nous a beaucoup aidé. C’était une vraie collaboration. Souvent, nous nous retrouvons avec des réalisateurs qui veulent eux-mêmes réécrire le scénario alors que ce n’est pas leur boulot et, finalement, ce n’est jamais aussi évident. Akim n’a pas bougé une seule ligne. À l’arrivée, le scénario lui appartient peut-être plus qu’une personne qui aurait tout réécrit lui-même. […] On peut rajouter le travail de la productrice, Pauline Eon, qui a travaillé main dans la main avec nous et Akim. Notre quatuor a fonctionné de façon rare, magique et nous étions contents. Pour chaque décision, casting, costume, décor, etc…, nous étions consultés. De plus, tout s’est fait rapidement puisque nous étions toujours d’accord.

Image : Akim Isker, le réalisateur, et Léon Durieux alias Diego.
Crédit photo : Instagram – Léon Durieux.

Le travail sur la lumière est aussi très intéressant et assez inédit pour une production TF1…
B.D : On est d’accord. J’irais même plus loin, au niveau des décors. Chaque fois, nous voyons des flics dans des lofts luxueux, avec vue sur la mer, dans des environnements pour faire rêver les gens. Là, nous sommes dans des maisons normales. Les décors sont réalistes. Nous étions heureux de voir qu’Akim allait dans ce sens-là. Ça donne une vérité à tous les personnages.

« Il y a une virilité paisible chez Soufiane, qu’on n’avait jamais vu avant. Il propose un personnage unique. Il a un sourire d’enfant mais quand il fait son regard sombre, il a une force et une puissance qui émane de lui incroyable. Il mélange douceur et virilité. Chez un homme, c’est très rare ».

Comment avez-vous travaillé la caractérisation des trois personnages centraux, Sarah, Romain (Soufiane Guerrab) et Diego ?
J.L.G : Nous avons d’abord travaillé sur le couple Sarah/Romain. Nous trouvions intéressant que ce soit deux jeunes, lui dans un nouveau rôle de chef qu’il ne connaît pas, dans une situation professionnelle fragile ou, en même temps, il doit faire ses preuves. Ça le rend attachant et, comme c’est une personne entière et intuitive, il fallait aussi qu’il s’écoute et fasse confiance à son instinct. […] Il y a une virilité paisible chez Soufiane, qu’on n’avait jamais vu avant. Il propose un personnage unique. Il a un sourire d’enfant mais quand il fait son regard sombre, il a une force et de puissance qui émane de lui incroyable. Il mélange douceur et virilité. Chez un homme, c’est très rare.

Nous avons travaillé le personnage de Louane de la même façon. Une jeune psy diplômé qui quitte la ville pour suivre son compagnon dans un bled, et se retrouve « sous-jobé » alors qu’elle pourrait avoir son propre cabinet. Elle se retrouve sur un cas troublant, alors qu’elle débute aussi dans la profession et elle doit trouver ainsi la force de comprendre ce que Diego perçoit. Nous voulions aussi un couple qui s’aime, pas un couple avec des difficultés. C’est intéressant d’avoir deux jeunes amoureux qui démarrent à la fois leurs vies amoureuses et leurs vies professionnelles. Ils ne sont pas dans une problématique de couple mais de leur vie personnelle. Ils avancent ensemble. C’était notre désir sur ce couple.

Le petit garçon, Diego, nous l’avons écrit sensible, intelligent, qui observe énormément et fait face au monde des adultes tout en restant en retrait car il comprend qu’il peut être rejeté et incompris. La chance que nous avons eu c’est de pouvoir trouver un comédien qui puisse incarner les silences.

Parlez-nous de Léon Durieux, éblouissant dans la série…
J.L.G : C’est Léon qui est moteur, c’est son désir de jouer, il s’épanouit. C’est un garçon très billant à l’école, qui n’a aucun problème scolaire donc, tourner ne le met pas à mal. C’était important pour nous aussi de le savoir. […] Il a créé une intimité avec Akim et Louane qui était incroyable. Ils étaient dans un amour total et dans une confiance absolue. C’est un enfant qui est vivant, qui gigote tout le temps, rigole beaucoup, et qui n’a rien à voir avec le personnage qu’il incarne. C’est assez fascinant d’ailleurs. Il est très professionnel. Louane, qui est super active, toujours en mouvement, l’a calmée parfois et c’était trop marrant.

B.D : Il apporte un monde. On a la sensation qu’il se passe 50 000 choses dans sa tête en un seul regard. Dès le départ, nous savions que si notre casting d’enfant n’était pas bon, la série s’écraserait.

Ces regards sont forts… Dans L’Enfant de Personne, Akim Isker parvenait déjà à capter des choses très puissantes sur le visage des enfants. Il a ce don.
J.LG : Il y a ça et ce qu’Akim prenait de lui. La façon dont il le dirigeait et dont la caméra prenait des choses de lui. Akim était en fin de montage du téléfilm lorsqu’on l’a rencontré. Il était très investi dans sa fiction. C’est une personne très impliquée émotionnellement dans son travail. On a réussi à l’avoir avec nous parce que c’était, je pense, Visions était dans la prolongation de son travail avec L’Enfant de Personne.

B.D : On ne s’en rend pas compte mais il y a un personnage central là-dedans, c’est la complicité entre le chef op’ Julien Bullat et Akim. Ils se sont trouvés sur cette série. Ils sont allés choper, en gros plan, dès choses étonnantes chez Léon. La caméra d’Akim apporte tellement sur les silences, les regards. Puis, l’ambiance qu’il a créé sur le plateau pour arriver à cette qualité de silence chez les comédiens. Ça participe aussi d’une ambiance sur le plateau. Il y avait une douceur permanente sur le tournage. Ce qu’il a fait également avec Théophile, cet enfant autiste, est fou.

Ma critique de Visions est à retrouver ici.
Visions sera diffusé ce 16 mai sur TF1.

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