Rencontre avec Alexandra Echkenazi, nouvelle figure du petit écran.
De la philosophie au scénario
Alexandra Echkenazi a un parcours atypique. Avant d’être scénariste pour la télévision, c’est d’abord dans le journalisme qu’elle s’illustre. Après un Bac S et une maîtrise en philosophie, elle hésite entre l’édition et le journalisme mais opte finalement pour le second choix. Pendant un an, Alexandra Echkenazi enchaînera les stages et les piges au sein de Elle, du Nouvel Obs et du Monde, où elle apprendra le métier. Deux ans plus tard, elle envoie des candidatures spontanées pour intégrer une rédaction et c’est Le Parisien qui lui offre un CDI en Seine-et-Marne, à Meaux. Là-bas, elle découvre les faits divers et se prend de passion pour cette rubrique : « Au début, c’est difficile. Tu ne connais personne. Alors tous les matins, tu sillonnes ton « secteur » pour te faire des contacts : tu vas dire un coucou et déposer des journaux à la Gendarmerie, à la Police, chez les pompiers, au Palais de justice, mais aussi au bar PMU du coin, tu files ton portable à qui le veut bien…Tout le monde te regarde de travers, mais tu continues. Puis un beau jour, au bout de six mois, tu reçois un coup de fil qui t’indique simplement que tu ferais bien de te rendre à tel endroit et tu y vas, sans te poser de questions. J’ai adoré le fait divers. On était au cœur des drames humains. Tous les jours, j’avais trois faits divers. Je découvrais un milieu totalement inconnu : la police, la justice ». Mais lassée par la presse locale, elle postule au service Société du Parisien, au siège, et devient spécialiste des questions de Santé, Éducation et Famille.
Lorsque Le Parisien annonce un plan de départ volontaire, Alexandra Echkenazi est secouée et s’interroge. L’écriture de fiction la taraude depuis toujours, mais avec le rythme de la presse quotidienne, impossible de mener les deux de front. Si ce plan social est vite annulé, Alexandra a le déclic et décide de suivre une formation de scénariste durant ses week-end, à l’ALEHP (Paris) : « J’ai toujours eu envie d’écrire, de faire du scénario. Je me suis alors formée. Je me suis confrontée à la technique scénaristique, de m’auto-évaluer par rapport aux autres, c’est important de savoir ce que tu vaux, si tu es fait pour ça, mais aussi prêt à la critique ». À la fin de l’année, le plan revient à la charge : « Je me suis dit que c’était le moment. Les conditions étaient intéressantes , elles me donnaient le temps de me reconvertir. Mais la prise de risque était grande. Je quittais un CDI de reporter dans un des plus grands quotidiens de France, je savais que si j’échouais je ne retrouverais plus jamais le même poste ».
On connaît la suite, Alexandra Echkenazi est désormais une des scénaristes les plus en vogue du moment…
Flashback.
En 2008, Alexandra Echkenazi reçoit le prix « Reporters d’espoir » pour la presse écrite, catégorie Paix Humanitaire : « Ce Prix récompense les articles qui proposent une ouverture positive. C’était un article sur la découverte d’un laboratoire qui avait réussi à fabriquer une pâte alimentaire à base d’arachide pour les pays victimes de famine. Cette pâte pouvait durer des années, avait toutes les caractéristiques nutritives pour pouvoir nourrir des enfants et se distribuait hyper facilement. Le fait d’avoir mis la lumière sur ça m’a valu ce Prix. Pour être honnête, ce n’est pas mon meilleur article, mais j’avais eu une info exclusive et c’est vrai qu’il donnait une lueur d’espoir ce qui est rare dans la presse. S’il y avait un article que je devais retenir de toutes ces années de journalisme, en revanche, c’est celui sur la première greffe totale du visage. C’était un scoop mondial, je me la pète un peu, mais c’est vrai que l’article a été repris par la presse du monde entier, CNN etc…Et l’histoire était dingue, digne d’un film de cinéma à la Face/Off (Volte-Face) ».
L’article est à retrouver ici.
SIMON COLEMAN : Travailler sur une fiction télé
« Ce qui compte pour moi, c’est d’écrire une histoire sincère et authentique ».
Pour vous, qu’est-ce qu’un bon scénario ?
Un bon scénario, pour moi, c’est un scénario capable de transmettre des émotions. Parfois, vous avez des scénarios techniquement parfaits, lesquels cochent toutes les cases, mais vous ne ressentez rien car c’est un simple exercice de style où les personnages sont en surface, où il y a zéro émotion. Beaucoup de films d’action ne proposent que ça. Mais je pense qu’on peut faire des films d’action avec de l’émotion, comme John Woo sait le faire. Dans un film, je veux qu’on me fasse vivre une autre vie que la mienne. C’est important.
Avez-vous des scénaristes qui vous inspirent au quotidien dans votre travail ?
C’est une question piège. Parce que souvent ceux qui m’inspirent, n’ont rien à voir avec ce que je fais (rire). J’ai découvert ça dans mon écriture romanesque. J’aime beaucoup de romanciers très éloignés de ma manière d’écrire. De toutes les manières cela ne sert à rien d’imiter. Ce qui compte pour moi, c’est d’écrire une histoire sincère et authentique. Pour les scénaristes, Vince Gilligan sur Breaking Bad, c’est ma série culte. J’étais abasourdie par tout ce qu’il osait faire. Chaque fois, il fait l’opposé de ce à quoi tu t’attendais. Je suis admirative de ce mec-là. J’adore aussi David Simon (The Wire). Il va au fond des personnages, il crée des protagonistes uniques. Le personnage d’Omar dans The Wire est incroyable. C’est deux styles, deux rythmes différents, mais je les aime pour ces raisons-là. Breaking Bad, c’est la surprise scénaristique. Et The Wire, c’est la création de personnages emblématiques, forts.
Vous avez écrit et coécrit quelques épisodes de séries et de fictions policières, votre dernier coup d’éclat c’est Simon Coleman sur France 2. Quelles sont les étapes de travail pour un scénariste, lorsqu’il s’agit de construire une enquête policière ?
Sur Simon Coleman, puisque-vous en prenez l’exemple, il y a une double difficulté car il y a à la fois l’enquête policière et le drame/vie familiale. Simon Coleman est en charge de ses trois neveux et nièces. La première chose à ficeler, c’est le polar. C’est la base, le squelette de ton téléfilm. C’est un travail énorme. Lorsque tu commences à connaître ton personnage, pendant que tu écris l’enquête, tu sais déjà comment Simon Coleman va trouver telle ou telle chose, quelle cabriole il va faire. Ensuite, on réfléchit à la manière dont le héros va résoudre l’enquête, comment le duo de flics va fonctionner, etc… Comme je le disais, la famille n’est pas accessoire dans Simon Coleman. Aujourd’hui, aucun polar n’accorde autant de temps à la famille. Il faut donc une réelle intrigue et non pas simplement des petites vignettes rigolotes avec les enfants. Une intrigue où il n’y a pas de meurtres à résoudre, c’est hyper difficile, à construire.
Avec mon co-auteur, Thomas Perrier, nous avons la particularité d’avoir cette double casquette comédie et polar ce qui est rare. Cela aurait pu être un souci. Je me suis demandée s’il ne fallait pas que je choisisse, par souci de lisibilité. Mais dès lors que je raconte une histoire, avec des personnages sympas, pourquoi devrais-je m’enfermer dans une case ? Simon Coleman est la preuve que j’ai bien fait de ne pas choisir. Ce programme-là réunit nos deux casquettes à Thomas et à moi. C’est du sur-mesure.
[…] Sur le polar en général, chacun a sa propre technique sur la manière d’écrire. Certains savent déjà qui est le meurtrier avant de savoir comment les événements vont se dérouler, d’autres ont leur victime mais ne savent pas qui en est le coupable, il y a plein de méthodes différentes. Mais on a ce point commun, tous, de débuter par un teaser hyper fort. On travaille dans l’audiovisuel, il faut penser « image » aussi. Mais on peut se faire piéger par ça. Tu accroches les gens certes, néanmoins il faut parvenir à dénouer le tout. C’est difficile.
Autre point commun : on commence tous par un synopsis de 5-6 pages, le traitement où tu développes ton histoire sur une vingtaine de pages, sorte de petit roman puis, on a le séquencier, où tu découpes ton histoire par décor, par séquence, avec des petits résumés à chaque scène. A la fin, on fait une version dialoguée. Sachant qu’à chaque étape, on écrit plusieurs versions. Pour un même programme, on peut écrire jusqu’à 500 pages, voire plus. C’est un travail de titan. On est également validé à chaque étape par le producteur et par la chaîne. Et, on peut se faire virer entre chaque étape. Rien n’est jamais gagné dans ce métier. Il faut avoir les nerfs bien accrochés et ne pas être trop susceptible. Mais j’ai été à bonne école avec le journalisme.
Comment avez-vous travaillé la caractérisation du personnage de Simon Coleman, pour rester sur cet exemple ?
Au départ, c’est une idée du producteur, Richard Berkowitz. On travaillait ensemble sur un autre projet et un jour, il me dit qu’il aimerait bien développer une série sur un flic célibataire qui aurait des enfants à charge.
Tout était à construire, mais j’ai tout de suite senti le potentiel de ce mec qui aurait à jongler entre son job et les enfants. Lorsque je rencontre Thomas sur un autre projet, on s’entend vite hyper bien, et je lui reparle de cette idée qu’a eu mon producteur. Nous avons tout de suite eu la même envie : donner un petit coup de pied aux fesses au flic à l’ancienne. Nous sommes partis d’un flic sûr de lui, à la Bebel, fier de sa virilité et qui, d’un coup, se retrouve dans un rôle de maman, avec toute la charge mentale qui va avec. Nous avions envie de le malmener, un excellent flic mais qui, une fois à la maison, ne maîtrise plus rien. Il se prend alors quelques leçons au quotidien par les enfants, les collègues, etc… Puis, il se découvre papa-poule. On a réussi à le rendre attachant, c’était le défi.
[…] Nous n’avons jamais parlé entre nous d’inspirations comme Patrick Jane (Mentalist) ou Colombo. Sur l’aspect familial oui, avec notamment Madame est servie. Néanmoins, sur le polar, non. Il a une façon de résoudre des enquêtes bien à lui. C’est un homme qui, auparavant, n’a jamais travaillé dans un commissariat puisqu’il était expert en infiltration. Ce n’est donc pas un type qui va sagement rester assis, à interroger les suspects dans une salle interrogatoire. Ensuite, il est vrai qu’il doit avoir une partie de mentaliste car ses missions reposaient aussi sur l’observation, sur la psychologie. De par sa vie personnelle, Simon Coleman est un sale gosse et donc, ce côté sale gosse se ressent dans la manière dont il mène ses interrogatoires. On n’a pas pensé à ces personnages-là, mais c’est un type hors des clous de par son profil, son parcours. C’est un mec d’action. Lorsqu’un suspect ne parle pas, il va forcément le malmener au grand dame de sa hiérarchie.
« Pour moi, c’est la base du scénariste audiovisuel, de se tenir au courant de l’actu. Tu ne peux pas être totalement déconnecté, être hors-sol, et travailler pour la télé sur de la fiction populaire ».
Est-ce que vos études de philosophie, votre passage dans la presse écrite, nourrissent votre écriture scénaristique aussi ? Avez-vous des exemples ?
La philo, non, ou peut-être sur une façon de penser et d’écrire. Le journalisme, à 100%. Dans mon parcours scénaristique, j’ai eu beaucoup de chance car c’est allé très vite et c’est grâce au journalisme. Le premier programme que j’ai écrit et qui a vu le jour c’est « Le mari de mon mari » (2013). France 2 cherchait son programme sur le mariage pour tous qui venait d’être promulgué, et tout Paris travaillait dessus. J’ai eu vent d’une histoire d’une femme mariée, 2 enfants, divorcée dont l’ex mari lui avait annoncé qu’il avait rencontré un homme et qu’il allait se marier. On me raconte toutes les anecdotes de cette histoire. Les enfants, les grands parents, avaient accepté le nouveau fiancé, il n’y avait aucun blocage. Mais la femme, pourtant militante LGBT, de toutes les marches des fiertés, l’avait en travers de la gorge. Elle vivait une vraie souffrance, mais pas parce que son mec était gay. Juste par ce que son mec s’était recasé et qu’elle devait faire le deuil de sa relation. En définitive, l’air de rien, à travers un personnage qui aurait pu être n’importe quelle téléspectatrice, et avec une bonne dose d’humour, on passait le message avec ma co-auteure Alexandra Julhiet que le mariage pour tous n’était pas le problème. D’un coup, le téléfilm devenait fédérateur. C’est ce qui a plu à France Télé. Je pense vraiment que c’est mon expérience journalistique qui m’a permis de trouver cette porte d’entrée.
[…] C’est aussi cette expérience qui m’a permis de trouver des co-auteurs assez rapidement. Beaucoup de gens ont accepté comme Alexandra Julhiet justement, ou encore Isabel Sebastian, de travailler avec moi, à mes débuts, alors que je n’avais aucune expérience. Je leur apportais ça et ils m’apprenaient le métier. C’est un vrai plus. Je suis une passionnée de la presse, tous les matins je lis les journaux, je me tiens au courant des sujets de société, etc. Pour moi, c’est la base du scénariste audiovisuel, de se tenir au courant de l’actu. Tu ne peux pas être totalement déconnecté, être hors-sol, et travailler pour la télé sur de la fiction populaire.
Pour une fiction policière, comment travaillez- vous la psychologie des criminels ?
Je pars du principe que tuer, c’est compliqué. Sauf si vous êtes un serial killer ou un détraqué, ce qu’on ne trouve pas à chaque coin de rue. Je ne fais d’ailleurs jamais de serial killer, ça ne m’intéresse pas. Je préfère que ce soit des gens lambda, qui sont embarqués dans une histoire, une spirale infernale, qui les a amenés à tuer. On part du principe que tuer est un passage à l’acte que personne ne ferait, donc il faut vraiment le justifier. Pour le justifier, il faut raconter toute son histoire, toute sa relation avec la victime, qu’est-ce qui fait qu’il en est arrivé.
L’écriture comique
« Nous allons souvent exagérer certaines situations pour provoquer davantage de rires, mais le socle familial reste une source d’inspiration immense ».
Vous avez aussi scénarisé des comédies comme le téléfilm Le mari de mon mari ou Le bonheur d’être parents. Écrire de la comédie, en quoi est-ce un exercice différent ? Et est-ce plus simple ou plus difficile que le genre policier ?
C’est dix fois plus dur (rire). C’est d’une difficulté stratosphérique mais c’est un kiff quand tu y arrives. Parce que la comédie est plus fédératrice que le polar. Heureusement, j’ai travaillé avec des gens qui m’ont appris. C’est une technique. Après, tu es doué ou non dans la punchline, c’est autre chose. Mon co-auteur Thomas Perrier par exemple est un vrai punchliner. On rigole beaucoup durant nos séances de travail. Il y a une base scénaristique dans l’écriture, c’est l’obstacle. Comparé au polar où il faut dénouer une intrigue criminelle, dans la comédie, les obstacles sont très faibles. Dans le polar, la base est la même, la difficulté est d’être original. En comédie, la difficulté est de rester drôle tout en ayant un obstacle important et intéressant pour tenir tout un film. L’humour est aussi subjectif. Parfois, certaines choses te font rire mais ne font absolument pas rire le producteur ou la chaîne. D’ailleurs, à la télévision, il y a peu de comédies.
[…] Parfois, plus que l’actualité, si on prend l’exemple de Simon Coleman, c’est davantage la vie privée qui nous inspire. Par exemple, un matin ta fille rentre de l’école avec les cheveux colorés. C’est drôle. Et ça arrive à tous les parents. Alors, on se sert de ça pour faire rire. On croit que la comédie est superficielle et éloignée de l’auteur mais je crois que la comédie est plus personnelle et plus intime que le polar. Car, à un moment, tu es obligé d’aller chercher chez toi. Nous allons souvent exagérer certaines situations pour provoquer davantage de rires, mais le socle familial reste une source d’inspiration immense : nous avons tous eu des enfants avec des poux, nous avons tous été convoqués par la maîtresse, etc… ça parle aux gens car ils l’ont vécu.
« Il y a un appétit du public pour l’aspect divertissant de l’enquête, il aime chercher qui est le coupable ».
Il y a un rapport qui est sorti dernièrement sur la fiction française, notamment concernant le genre policier qui domine effectivement le paysage audiovisuel français. Vous pensez que la France manque d’imagination dans le domaine des séries ?
La télé s’adapte aux envies des téléspectateurs. C’est un goût du public pour le policier, le polar. La comédie, c’est un genre difficile à écrire, à produire, à faire marcher. Mais il n’y a pas toujours que du polar, dans le polar. On peut y mettre beaucoup d’autres choses, de la comédie, mais aussi du sociétale. On prend le public par la main, on lui offre ce qu’il aime, et l’air de rien, en douceur, on l’attire vers autre chose. C’est pour ça que Simon Coleman est un bon concept, puisqu’on réunit tout cela. Et, visiblement, le public a adhéré à cette formule. Sur le papier, ce n’est pas évident de proposer un polar feel-good avec de l’émotion. Mais Simon Coleman est la preuve que c’est possible. Le public a évidemment envie de rigoler, mais il aime également les « parties de cluedo ». Le téléspectateur aime faire fonctionner son cerveau. Il y a un appétit du public pour l’aspect divertissant de l’enquête, il aime chercher qui est le coupable. Et puis il a envie qu’on lui parle de la société dans laquelle il vit. Simon Coleman, papa solo débordé, qui doit concilier son boulot avec l’éducation des enfants, fait aussi cela.
Vous pouvez retrouver mon interview de l’acteur Jean-Michel Tinivelli (Simon Colema), ici.
Vous pouvez retrouver mon interview avec le réalisateur de Simon Coleman, ici.
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