[INTERVIEW] – DE PAPICHA À LUPIN, LA FULGURANTE ASCENSION DE SHIRINE BOUTELLA : « Je crois aujourd’hui en ma légitimité et je prends ma place »

Dans la nouvelle comédie d’Adeline Picault, « Sirènes », Shirine Boutella incarne Leïla Balani, une jeune flic parisienne timide, brillante, méthodique et respectueuse des règles. Au côté d’une Alice Pol déchaînée et extravertie pour traquer un serial killer à Nice, Shirine Boutella déploie une nouvelle palette de jeu dans un registre qu’elle connaît pourtant bien : la comédie. Entre retenue et sensibilité, elle charme dans ce rôle de première de la classe, confrontée à une partenaire haute-en-couleurs, un commissariat misogyne et un tueur impitoyable.

À l’occasion de la sortie de « Sirènes » sur Prime Video, la comédienne se confie sur l’aventure « Papicha », son rôle dans « Lupin » et le doublage de « Spider-Man : Accross The Spider-Verse », où elle prête sa voix à la super-héroïne Spider-Gwen.

« Quand « Papicha » arrive, je perçois que quelque chose peut se jouer au niveau de l’acting »

2019, « Papicha ». Un drame bouleversant de Mounia Meddour. Comment avez-vous vécu cette première expérience cinématographique ?
C’est mon premier film et il a changé ma vie. À l’époque, j’étais encore en Algérie et je tournais quelques séries là-bas. Ce film représente beaucoup pour moi notamment par rapport à mes origines, à des choses que ma famille, mes grands-parents ainsi que des amis ont vécues dans cette période sombre de l’Algérie et, même si c’est assez dramatique, c’est très beau de pouvoir rendre hommage à toutes ces femmes qui ont continué à essayer de vivre, à se battre pour leur liberté, pour la liberté de leur pays. Il y a quelque chose de symboliquement puissant. Puis, les rencontres que j’ai pu y faire : Mounia Meddour ou Lyna Khoudri. Tout était extrêmement fort sur le tournage de « Papicha ». Il y avait aussi énormément de générosité, nous vivions ensemble même hors tournage, nous travaillions nos scènes ensemble, nous partagions des moments ensemble. La sororité, la symbolique de ce tournage me dépassait. Sans compter l’euphorie de jouer pour la première fois dans un film, destiné au cinéma, j’étais aux anges. Néanmoins, je ne pensais pas que ça lancerait ma carrière. Lorsque nous sommes allés à Cannes – c’était un privilège exceptionnel – j’ai découvert le film sur place. À la fin, nous avons reçu une standing ovation de 10 minutes. Ce fut un instant magique. Tout ce que nous avions vécu en toute intimité se retrouvait dès lors exposé aux gens, et ils le recevaient comme nous nous l’avions vécu, de façon très forte. Même si le sujet se suffit à lui-même et que le film est fort, l’impact que ça a eu est immense. On en parle encore aujourd’hui, on m’en parle souvent, et on me le décrit toujours comme un film exceptionnel. J’en suis extrêmement fière.

Il y avait une certaine appréhension de votre part, une pression peut-être, vous qui veniez des réseaux sociaux et de Youtube ?

Ce film est arrivé un peu comme ça. La directrice de casting connaissait ma mère et elle a essayé de me contacter plusieurs fois. À l’époque, tout le monde avait mon numéro, ce qui m’agaçait un peu alors je ne répondais pas. Pendant des semaines, elle a cherché à me joindre. Mounia m’avait vue sur les réseaux et elle souhaitait me rencontrer. Jusqu’au Festival de Cannes, je crois que je ne réalisais pas ce que ça représentait. Donc, c’était très léger pour moi, j’apprenais, je découvrais cet univers-là car je n’avais encore jamais fait de vrais tournages, aux normes françaises j’entends, avec une équipe aussi énorme et un planning comme celui-ci. Tous les jours, j’étais ébahie. Ébahie par le jeu de Lyna, ébahie par tout ce qui entourait ce film. D’ailleurs, Lyna a été super, elle m’a donné beaucoup de conseils, beaucoup aidé. Moi, j’avais appris sur le tard, à travers les séries algériennes auxquelles je participais.

Sur le tournage de « Papicha », j’apprenais à être actrice. J’ai également eu la chance d’avoir une réalisatrice à l’écoute, bienveillante, qui m’a guidée dans le jeu. Je n’avais aucune appréhension du lendemain parce que je ne savais pas à quoi m’attendre. Et on le ressent à travers mon personnage, il y a quelque chose de naïf, quelque chose qui nous dépasse mais, en même temps, de naturel, de spontané, de réel. C’est ainsi que j’ai conçu Wassila, qui me ressemble finalement dans sa spontanéité, dans sa fraîcheur, dans son envie de vivre, de croquer la vie à pleines dents.

« C’est à partir de « Lupin » que j’ai compris ce que je voulais et que j’ai commencé à me mettre la pression »

« Lupin » a été un autre tournant dans votre carrière…
Oui, tout s’est enchaîné très vite. Après « Papicha », je me demandais si cela allait véritablement m’ouvrir des portes. Tout le monde me conseillait de trouver un agent afin que le milieu ne m’oublie pas, qu’on me voit. Là encore, je découvrais. Gros coup de pression car je ne savais pas comment trouver un agent, comment trouver des projets et continuer à exister. Je pensais que « Papicha » serait une parenthèse enchantée qui allait prendre fin. Mon agent d’aujourd’hui m’a contactée et nous nous sommes rencontrés. Je me suis installée à Paris, plutôt en influenceuse. J’ai vécu dans un 15m2 avec quatre mois d’économies d’avance. Ensuite, je savais que ça serait retour au bercail. Pour moi, j’avais 80% de chances de rentrer en Algérie. Je pensais malgré tout que personne ne me prendrait au sérieux et je me demandais qui j’étais pour pouvoir prétendre intégrer ce milieu qui est gigantesque. Quelques mois plus tard, mon agent me propose un casting avec Omar Sy et Netflix. J’avais passé le casting pour jouer le personnage de Ludivine Sagnier mais j’étais trop jeune. Comme je ne savais pas pour quelle série j’auditionnais, j’y avais été avec légèreté. Mon agent me rappelle, me dit que ça n’a pas fonctionné mais qu’à l’audition ils ont aimé mon énergie et qu’ils me verraient bien dans le rôle d’une flic. Quand je reçois le scénario, je comprends. Le fait de faire une série pour Netflix, c’est déjà fou ! C’était inimaginable pour moi de travailler avec une plateforme comme Netflix que je consommais en Algérie. Même géographiquement, il y avait quelque chose d’inaccessible.

C’est à partir de « Lupin » que j’ai compris ce que je voulais et que j’ai commencé à me mettre la pression. Au fur et à mesure, j’avais envie, j’y croyais. En tant qu’influenceuse, j’avais peur qu’on ne me prenne pas au sérieux. Finalement, ça n’a jamais posé problème et je me mettais une pression folle pour rien. Ça a commencé ainsi où, tous mes castings, je voulais les réussir. Au début, j’associais ça au jeu. Je me disais que si j’étais prise, c’est parce que je jouais bien, et que si je n’étais pas prise, c’est que je jouais mal. Plus je mettais la pression, plus j’avais la sensation d’échouer. Aujourd’hui, je me suis détendue. Je vois ça comme des opportunités mais aussi comme un terrain de jeu. Je m’amuse, j’essaye, je tente. Je crois en ma légitimité et je prends ma place.

Lorsqu’on travaille sur une telle machine qui déploie des moyens logistiques et humains immenses, qu’est-ce qu’on apprend en tant que comédienne ?
On apprend que c’est l’humain le principal. […] L’équipe devient une famille. Vous vous voyez tous les jours, vous vous engagez dans un projet commun qu’on pressent énorme, et vous tissez des liens forts. Avec mon partenaire Soufiane Guerrab, nous sommes devenus amis. J’étais heureuse chaque matin d’aller sur le tournage, de le retrouver et de jouer avec lui. Il y a un truc de l’ordre de la « cours de récré ». Nous sommes là pour nous amuser et créer une série incroyable. Les uns sans les autres, nous ne sommes personne. Pour moi, c’est important de créer du lien, de créer une complicité, pour qu’on y croit, que ça fonctionne à l’écran. C’est ce que je retiens des tournages comme « Lupin », ça a beau être le tournage le plus grand du monde, vous restez un être humain. Je me rappelle d’une journée avec Omar où nous chantions entre deux prises, car nous attendions de reprendre. Nous étions ensemble dans la galère et c’est ça qui crée un moment précieux hors caméra mais qui se verra à la télévision parce que nous étions ensemble et que nous nous sommes donnés à fond. Malgré le fait qu’on est la sensation de vendre du rêve, c’est le rapport humain qui compte plus que tout.

« On découvre peu à peu la force de la voix qui peut, à elle seule, créer des émotions, des situations, un mouvement, une action »

Vous avez prêté votre voix à la super-héroïne Spider-Gwen dans « Spider-Man : Accross The Spider-Verse ». De quelle manière avez-vous appréhendé ce nouvel exercice ?
Quand j’étais petite, je voyais souvent passer des coulisses d’acteurs pratiquant le doublage. Je me rappelle de Hugh Jackman, que je voyais dans « Wolverine » en mode ultra-badass, posé derrière un micro pour incarner un personnage de film d’animation, à faire des mimiques, des grimaces et c’était amusant. C’est plaisant de pouvoir interpréter un truc où ton corps n’est plus dans la limite du physique. Il n’y a plus de limites, vous pouvez lâcher prise, vous pouvez pousser le jeu plus loin. Alors, quand on m’a proposé de prêter ma voix à Gwen Stacy, moi grande fan de Marvel qui rêve de jouer un jour une super-héroïne, j’étais aux anges. D’autant que le personnage est tellement cool !
J’ai regardé le premier volet « Spider-Man : Into the Spider-Verse » après qu’on m’ait proposé le rôle de Gwen Stacy car j’étais passée complètement à côté. Je suis parfois à l’ouest (rire). Pourtant, ce fut un phénomène. J’ai réalisé également que ça allait au-delà du simple film d’animation pour enfants. Sur le second volet, nous avons travaillé sur quelques images – le film n’était pas terminé – et même sur des croquis. Travailler sur des croquis était assez dingue, vous prenez conscience du parcours, de tout le processus pour créer une seule image. En voyant le résultat final, vous ne pouvez pas vous empêcher d’être en admiration pour ces gens qui fabriquent ces ambitions, ces décors, ces lumières. Ce sont de vrais tableaux mobiles. Un chef d’œuvre !

Pour le doublage, j’avais en référence la voix américaine de Hailee Steinfeld, mais j’ai pu apporter plus de douceur dans la voix que la VO, même si j’ai parfois conservé un ton grave. Cette expérience était extraordinaire. Je ne pensais pas que c’était un exercice si difficile. On imagine que c’est simplement la voix mais vous mettez tellement d’énergie, notamment corporelle. Vous allez puiser dans votre corps afin de créer l’action, créer le mouvement et, il y avait des jours où nous finissions plus tôt car j’étais épuisée, à bout. Ma voix baissait, je n’avais plus l’énergie nécessaire. Gwen Stacy est un personnage dynamique donc vous êtes obligés de suivre le rythme avec la voix.

D’ailleurs, au début, on me disait de mettre du mouvement dans la voix. Je ne comprenais pas, c’était trop abstrait. On découvre peu à peu la force de la voix qui peut, à elle seule, créer des émotions, des situations, un mouvement, une action. C’est vraiment un métier à part entière. J’ai beaucoup d’admiration pour les comédiens qui font du doublage.

On vous voit régulièrement dans des comédies. Vous avez une force comique indéniable. A quel moment vous avez su que vous aviez cette force en vous ?
Je ne suis pas sûre d’en avoir conscience. J’ai toujours eu cet a priori qu’il fallait être drôle pour faire de la comédie. En réalité, non. J’en ai parlé avec Melha Bedia (« Miskina »), je lui ai demandé comment on faisait pour être drôle, et elle m’a répondu qu’il n’y avait pas de secret mais que néanmoins, la petite astuce était d’être premier degré. Ne jamais jouer la blague, la vivre. J’ai gardé ça en tête. Puis, il faut être bien entouré, avoir des gens qui savent créer des situations et vous dire si ça fonctionne ou non, si vous en faites trop ou pas. J’ai eu de la chance d’avoir été extrêmement bien entourée jusque-là. Je suis drôle grâce à d’autres gens qui le sont. Quand vous êtes avec Kad et Olivier, c’est simple, pareil avec Melha Bedia, ça facilite aussi pas mal. Moi, personnellement, je ne suis pas sûre d’être vraiment drôle.

« Je garde un super souvenir de films comme « Le Masque de l’Araignée » avec Angelina Jolie »

Vous jouez depuis quelques années beaucoup de rôles de flics, dans des comédies mais pas que. Dans « Sirènes », vous en incarnez une nouvelle, différente toutefois. Pourquoi selon-vous, vous offre-t-on ce type de rôles ?
Je pense que c’est l’effet « Lupin ». Étant un de mes projets les plus vus, il a certainement donné une image de moi d’une fille dans l’énergie, dans l’action. Puis, je suis un peu comme ça dans la vraie vie. Je prends beaucoup de plaisir à jouer des femmes flics et j’adore les séries policières, de surcroît. Je garde un super souvenir de films comme « Le Masque de l’Araignée » avec Angelina Jolie. J’adore le suspens, le thriller, l’enquête, le côté choc qui reflète la folie de l’être humain. J’en suis encore loin mais j’adore ce type de rôles parce que ce sont des femmes fonceuses, qui prennent des risques, elles sont badass, elles n’ont peur de rien, elles ont confiance en elles. Ce sont des rôles où vous pouvez aussi créer de la profondeur. Je dois malheureusement refuser de jouer que des flics parce que je ne veux pas être enfermée là-dedans. Je veux explorer d’autres personnages, d’autres héroïnes. Toutefois, avec le rôle de Leïla Ballani dans « Sirènes », c’est la preuve qu’on peut interpréter un autre genre de policière : introvertie, timide, maladroite, très intelligente, futée, limite Asperger, à l’odorat sur-développé, une logique à toute épreuve, minutieuse. C’est une super enquêtrice sur le papier mais nulle sur le terrain. Elle ne sait pas parler aux gens. Il y a quelque chose qui va à l’encontre de tout ce qu’on imagine du flic. Pourtant, elle est touchante et ça fonctionne.

« Le drame m’attire »

Vous aimeriez revenir au drame ?
Je suis dans une phase où j’ai envie de tout explorer. Je commence à accepter que j’ai une place, comme je le disais tout à l’heure, et j’ai envie de prouver de quoi je suis capable en explorant plein de rôles différents. J’ai eu un rôle dans un film qui sortira prochainement au cinéma, « Les Tempêtes » de Dania Raymond, un film de genre, et c’est une direction vers laquelle j’aimerais aller davantage. J’adore les films de genres. Je trouve qu’il y a plein de choses à explorer et on peut repousser les limites à la fois en tant qu’actrice mais aussi techniquement, à l’image.
J’aimerais également revenir au cinéma. J’ai littéralement envie de tout faire (rire). Le drame m’attire. J’ai vraiment le désir d’avoir des rôles plus conséquents de ce côté-là. De pouvoir me challenger encore plus. 

Vous pouvez retrouver mon interview avec la réalisatrice de « Sirènes », Adeline Picault, ici.

« Sirènes » le 15 mars sur Prime Video.

Synopsis :
Alison Flesh, capitaine de police rebelle et incontrôlable est forcée par son supérieur le commissaire Djiba à travailler en binôme avec Leïla Balani, experte en criminologie mais nulle sur le terrain. Sur la piste d’un serial killer à Nice, Flesh et Balani vont devoir faire équipe quitte à retourner toute la Riviera.

Casting : Alice Pol, Shirine Boutella, Ramzy Bedia, Natacha Lindinger, Serge Hazanavicius, Jérémy Gillet, Medi Sadoun…

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