[CRITIQUE] – LA FIÈVRE : UN COMBAT ENTRE L’HYPERSENSIBILITÉ ET LA VIOLENCE DE L’AMBITION

Le créateur de « Baron Noir » Eric Benzekri s’attaque à l’ère des polémiques et des réseaux sociaux à travers la descente aux enfers d’un joueur de football qui, suite à un geste violent et une insulte raciste, va enflammer et scinder la société en deux camps. Quand la fièvre monte, que les polémistes s’agitent et exercent leur mauvaise influence pour manipuler l’opinion, que reste-t-il si ce n’est la vérité, la sincérité et la pureté des émotions ? Plus qu’un combat manichéen entre le bien et le mal, « La Fièvre » est davantage une opposition émotionnelle entre la sensibilité et le pouvoir de la haine. Grandiose !

La haine, rien que la haine ?

Fodé Thiam (Alassane Diong) est la star du club de foot du Racing. Comme tous les ans, la grande famille du football se réunit pour la soirée des trophées de l’UNFP qui récompense les meilleurs joueurs de la saison. Lors de l’évènement, Fodé donne un coup de tête à son entraîneur et le traite de « sale toubab » ( sale « blanc » en wolof). Pour tout le monde, c’est la sidération. Une tempête médiatique s’abat alors sur le Racing et prend une ampleur nationale. Deux communicantes, Sam Berger, engagée par le club, et Marie Kinsky, qui instrumentalise l’événement en attisant les déchirures identitaires et sociales qui lézardent le pays, vont se livrer un combat sans mercie ni répit pour orienter une opinion publique défigurée par la puissance des réseaux sociaux et leur culture du clash.

« La Fièvre » est le récit d’une rupture. Une rupture entre deux France, entre deux anciennes amies que les chemins ont séparées. Sur le front de cet incident tragique, deux forces organiques s’apprêtent alors à s’affronter, deux forces personnifiées par les personnages de Sam Berger (Nina Meurisse) et Marie Kinsky (Ana Girardot).
La première est une mère de famille hypersensible, une femme à fleur de peau que la violence du monde contraint à une forme d’isolement, un certain pessimiste déprimant, que les comportements d’autrui affectent plus que de raisons et que les mots atteignent de façon décuplée. Comme si elle portait le poids de la Terre entière sur ses épaules. Un fardeau si lourd qu’elle est obligée de consulter un psychiatre, parfois même d’être internée. De par son hypersensibilité et son intelligence émotionnelle, Sam perçoit le monde différemment, ses nuances, et comprend les émotions humaines mieux que quiconque.
De son côté, Marie est un mélange de narcissisme et d’ambition dévorante. Il n’y a chez elle véritablement aucune envie de combattre les propos extrémistes qui rongent la société mais, au contraire, les utilise, les façonne à sa guise afin de grandir, d’être vue, de côtoyer les hautes sphères de l’État. Elle est l’image des personnalités politiques actuelles – lesquelles parcourent les plateaux télé comme des propagateurs de haine – une âme sans conviction et dont la division est un fond de commerce, un moyen de briller et de gagner sa vie, une vie par ailleurs confortable à des années-lumières des vraies préoccupations de la population. La France, les Français, ne comptent pas, seul son orgueil et son arrivisme sont les moteurs de sa vie.

En bonnes communicantes, chacun va user de ses atouts – le club de foot pour Sam, son spectacle pour Marie – afin d’asseoir leur influence sur les événements en cours, convaincre de leurs idées, défendre un idéal. Si pour Sam l’objectif est d’apaiser la société par la voie de la raison et de la vérité, en misant sur ce que l’humain a de plus précieux (l’altruisme, la générosité, l’empathie…), Marie, elle, utilise les bas instincts de l’espèce humaine, leur médiocrité (l’individualisme, l’antipathie, la haine…) pour parvenir à ses fins, atteindre le pouvoir tant espéré, quitte à employer des méthodes linguistiques douteuses et des moyens technologiques illégaux. Ce n’est pas tant deux visions du monde qui se heurtent que les intérêts purement politiques et de domination de Marie.

Et comment combattre une personne qui joue sur les peurs, l’animosité et les doutes, qui ne se bat que pour elle-même ? C’est tout l’enjeu de cette série, sortir d’une impasse qu’elle impose, d’un rythme médiatique qu’elle insuffle.

« La Fièvre » repose alors sur des deux personnages, admirablement caractérisés. Au cœur d’un monde brutal, l’hypersensibilité de Sam fait d’elle une héroïne atypique certes, mais surtout un personnage touchant, émouvant, beau. Beau dans sa détresse. Beau dans ses combats. Beau dans ses réussites. Elle est le reflet d’un royaume perdu, celui où le sensibilisme primait sur la malveillance et le fanatisme. Marie, l’antagoniste de la série, est l’incarnation du détestable. C’est là que réside sa force. Car il n’y a rien de plus intéressant qu’un protagoniste que l’on déteste. Marie vient chatouiller chez nous une humanité, tenter de l’ébranler, de la broyer et, essaie de créer des conflits intérieurs en remettant en cause nos propres évidences sur notre façon de penser le monde. Les plus solides seront confortés dans leurs idéaux, chez d’autres, les paroles de Marie trouveront un écho, s’immisceront dans la moindre de leurs failles, s’engouffreront jusqu’à corrompre. Une antagoniste complexe dans sa logique, complexe dans son comportement et ses réflexions. Ainsi, nous la répugnons parce qu’elle profite d’une situation délicate à son profit unique, parce qu’il se dégage d’elle des vérités complexes que l’on ne voudrait peut-être pas admettre, soulève des problématiques qui mets à mal notre vision des choses, parce que son côté hautain et sûre d’elle lui procure une aura de toute puissance séduisante à laquelle nous pourrions succomber. Toute sa folie se trouve dans sa capacité à séduire, sa fougue, sa jeunesse et son éloquence. Sinon, comment expliquer le succès de certaines personnalités politiques et de certains extrêmes ?

#PremierFéminicide

Puis, l’intrigue prend une ampleur inattendue. Au-delà du coup de boule et des propos racistes, Eric Benzekri tisse un voile dramatique qui va de nouveau gangrener toute la société et sur un sujet a priori très américain : le port d’armes pour les citoyens. Avec son one-woman show, Marie lance une idée. Et si, pour se protéger, les citoyens avaient le droit de porter une arme à feu ? Et si les femmes étaient armées, seraient-elle encore la cible potentielle d’agresseurs sexuels ? Une petite étincelle s’enclenche alors comme une douce mélodie dans la tête des gens, vicieuse et insidieuse, jusqu’à atteindre le débat public et les rangs de l’Assemblée Nationale. Le processus, intelligent, dévoile les coulisses d’une manipulation des pensées pernicieuse et révèle la vitesse à laquelle une simple idée peut se transformer en objet politique explosif.

Outre l’aspect quasi pédagogique sur les aspects des métiers de la communication et comment s’articulent les débats publics dans les médias et les réseaux sociaux, Eric Benzekri offre avec cette sous-intrigue supplémentaire une double-tension à sa série, qui fait monter la fièvre au sein d’une narration déjà poignante et particulièrement ardente. Ça bouscule, ça percute, et ça pousse à une véritable réflexion. Toutefois, la série prend position et le fait sans fausse note, en évitant d’être moralisateur ou de dicter sa volonté. « La Fièvre » devient alors un émouvant et formidable pamphlet contre le port d’armes.

Conclusion

Avec sa nouvelle création « La Fièvre », Eric Benzecki (accompagné par deuw scénaristes de talent : Laure Chichmanov et Anthony Gizel) poursuit son travail qu’il avait entreprit sur « Baron Noir ». En mettant en scène le monde de la communication et de la gestion des crises, il révèle les bas-fonds d’un univers, où tous les coups sont permis, où les notions de bien et de mal n’existent pas.
Ziad Doueiri, à la réalisation, continue de faire des miracles. Le cinéaste concentre sa caméra sur le regard humain, privilégiant la portée des mots plutôt que la grandiloquence des gestes. Un travail d’orfèvre pour faire vivre des personnages, de leurs émotions les plus intimes aux dualités les plus sombres.
Enfin, la série ne serait rien sans la justesse de Nina Meurisse, personnage tragique que les yeux de l’actrice transcendent en quelque chose d’émotionnellement vivant, et de la cruauté séduisante que compose Ana Girardot, authentique monstre médiatique, captivante dans sa beauté, hypnotisante dans la voix. N’oublions pas non plus les performances d’Alassane Diong, Benjamin Biolay, Pascal Vannson, Lou-Adriana Bouziouane ou encore Xavier Robic, qui subliment l’histoire par leur présence.

« La Fièvre » dès le 18 mars sur Canal +. 

Synopsis :
Comme à chaque fin de saison, la grande famille du foot français fête ses héros : sourires, selfies, récompenses – c’est la soirée des Trophées UNFP. Tout bascule quand devant les caméras, Fodé Thiam, la star du Racing, assène un violent coup de tête à son entraineur et le traite de « sale toubab ». « Toubab », cela signifie « blanc » en wolof. Sidération : la tempête médiatique peut commencer. Appelée au chevet du club, Sam Berger, communicante de talent mais dévorée par son hypersensibilité, pressent que cette fois la crise ne sera pas balayée par un nouveau scandale plus vendeur. Depuis la scène de son théâtre toujours complet, Marie Kinsky instrumentalise l’événement en attisant les déchirures identitaires et sociales qui lézardent le pays. Sam craint d’autant plus Marie qu’elles ont été très proches… Les deux femmes spin doctors vont se livrer un combat sans merci ni répit pour orienter une opinion publique défigurée par la puissance des réseaux sociaux et leur culture du clash. Au coeur de ce combat, le destin d’un grand joueur, et avec lui celui de la France. Car cette fièvre, c’est avant tout la nôtre.

Casting : Nina Meurisse, Ana Girardot, Benjamin Biolay, Xavier Robic, Alassane Diong, Grégoire Bonnet, Lou-Adriana Bouziouane, Assa Sylla, Pascal Vannson.

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