LE CAPITAINE CINEMAXX A VU UN DÉMON * SPOILERS *
En 2004 et 2008, Guillermo Del Toro adaptait sur grand écran Hellboy, une créature inspirée de l’imaginaire de Mike Mignola et venue de l’Enfer, dont les nazis voulaient s’emparer afin de gagner la Seconde Guerre Mondiale. Recueilli par l’armée américaine, il combat depuis les menaces paranormales, en intégrant le Bureau for Paranormal Research and Defense, le BPRD.
Entre Guillermo Del Toro et Neil Marshall, deux visions s’affrontent. S’il y a des similitudes entre les comics et les deux origins-stories de Hellboy au cinéma ainsi que sur la constitution de l’équipe chez Del Toro et Marshall, chacun a ensuite pris des libertés plus ou moins importantes pour mettre en scène la première aventure de Hellboy sur grand écran, un personnage complexe à aborder et difficile à faire accepter à un grand public, lequel peut avoir du mal à s’identifier au « Diable » ou dans une moindre mesure, à un héros à l’apparence démoniaque (tout le monde n’a pas la chance de ressembler à Tom Ellis).
Del Toro est certainement un des cinéastes les plus brillants lorsqu’il s’agit de donner vie à des créatures pour le 7ème art. Ses Hellboy, au-delà de sa mise en scène soignée, très esthétisée, (ainsi que la beauté de ces décors naturels, qui permettent une réelle immersion), une photographie précise avec des couleurs vives et chatoyantes, avaient surtout su donner une âme, une sensibilité, des enjeux à ses personnages/créatures « mythologiques », au travers d’histoires prenantes et inventifs (le traitement des personnages humains, du FBI notamment, laissé néanmoins à désirer).
Cependant, le caractère du personnage d’Hellboy, arrogant mais immature, son humour trop prononcé à mon goût et qui ne fonctionnait pas toujours, m’agaçait, me sortait parfois du film et on retrouve aussi chez Marshall, ce style de comportement, lequel semble très Hellboyien (je ne connais pas les comics).
Del Toro / Marshall, deux visions, mais laquelle s’en tire le mieux ? Réponse !
Douleurs & Tourments
Ce Hellboy 2019 n’est clairement pas la grande catastrophe mondiale annoncée par les critiques. Malgré ses innombrables défauts, Hellboy a 2-3 atouts à faire valoir, lesquels peuvent lui éviter d’avoir la mention du pire blockbuster de la décennie.
À titre personnel, j’ai apprécié l’introduction du film en noir et blanc et ses nuances de gris – une scène d’exposition malheureusement rapidement expédiée -, la profondeur du champ et de l’image lors du combat entre Hellboy et les Géants (cf. les instants où Hellboy est éjecté par les Géants) et l’éclairage de la séquence chez Baba-Yagga, malgré un côté horrifique qui aurait gagné à être davantage approfondi.
Bien sûr, ces rares coups d’éclat ne suffisent pas à sauver intégralement ce reboot, la faute, notamment, à un dernier acte d’une médiocrité affligeante, avec ses explosions immondes en CGI immondes qui, heureusement, ne durent pas aussi longtemps que le laissait supposer la bande-annonce. Et c’est là que je me rends compte à quel point, il est ardu pour un cinéaste de réaliser une séquence post-apocalyptique avec créativité, sans tomber dans le déjà vu. Illisible, sombre, gris, sans âme (où les fonds verts sont omniprésents), ce traitement de « fin du monde » ne convainc plus (Spider-Man : Far From Home semble prendre le même chemin) car l’Apocalypse, sous diverses formes (déchaînement de l’enfer, invasion.s extra-terrestre, apocalypse zombie…) ne doit pas forcément être synonyme de pauvreté colorimétrique. Si on souhaite véritablement que le ciel soit gris et les explosions jaune/orange, l’étalonnage peut être alors plus ardent, plus chaleureux, afin de ressentir une vraie intensité dans la dégradation du paysage et de l’environnement.
Je parlais plus haut d’esthétique (maquillage, surtout) et c’est une des principales choses qui avait été critiquée lors de la diffusion de la première bande-annonce : le teint blafard de Hellboy. Il est vrai que chez Del Toro, l’esthétique des monstres est très prononcée, avec des créatures aux couleurs vives et intenses, aux maquillages détaillés. Chez Marshall, les couleurs se veulent moins chaudes, pour donner un côté plus humain et moins fantastique à Hellboy et les autres monstres gravitant autour de lui. Et c’est à mon sens une grave erreur, puisque cela efface totalement Hellboy de l’écran, par exemple, où ce dernier perd en grandeur, au point que même l’acteur semble transparent à l’image, notamment lorsqu’il est en mouvement rapide dans les scènes d’action.
Concernant les autres créatures présentes (Géants, Porcin et monstres de l’Enfer…), elle sont peu diverses, là où Del Toro proposé un bestiaire riche et étoffé à chacun de ses opus, et ont le même teint gris/marron hideux. Il n’y aucune ambition visuelle, de travail de recherche, pour mettre à disposition du spectateur une galerie de personnages variés, aux caractéristiques physiques peu communes.
Mais le souci majeur d’Hellboy réside dans son scénario, décousu, classique, où les antagonistes ont des motivations aussi risibles que pathétiques. Rendez-vous compte. La production du film a Stephen Graham entre ses mains (vous avez vu sa récente performance dans The Virtues ?) et elle ose lui proposer le doublage d’un vieux porcin répugnant, un vassal ridicule au service d’une soi-disant Reine, un pleurnichard (vous aviez promis… ouin, ouin, ouin…), dont la conclusion été aussi attendue que le Père Noël un soir de Réveillon (si on croit au Père Noël, bien entendu). Et ne parlons pas de Baba-Yaga qui, elle, n’a même pas récupéré son œil à la fin du film. La naïveté de ses antagonistes me déprime au point de préférer visionner en boucle, pendant une semaine entière, nuit et jour, Star Wars : La Menace Fantôme, lequel a quand même plus d’enjeux et de finesse dans l’écriture que ce Hellboy 2019.
Pourtant, il y avait des notions intéressantes à développer, des réflexions intelligentes à mettre en lumière, telle que la différence/l’acceptation (entre monstres et humains, le thème principal du film et que Hellboy 2 gère avec brio), sur la souffrance ressentie lorsqu’on est physiquement à part, sur les rêves qu’on cherche à atteindre au cours de sa vie, sur l’esprit de vengeance, etc. Au lieu de cela, les scénaristes sont embourbés dans la facilité, dans le cliché, dans la médiocrité. Toutefois, il est évident qu’il est plus facile d’écrire un script convenu, que de développer la psychologique de ses personnages, avec subtilité.
R-RATED
Avant de conclure, un point sur l’étiquette R-Rated du film. S’il elle sciait parfaitement à ce type de production et au personnage d’Hellboy, Neil Marshall en abuse, sans complexe, mais jamais dans une quelconque forme artistique, au service de l’image.
Des têtes coupées sans vergogne, des géants qui déchiquettent des passants, des tirs en pleine tête face caméra, tout est gratuit. Néanmoins, qu’est-ce qui empêche le gore d’être visuellement beau ?
Ici, on a la sensation qu’Hellboy souhaite simplement surfer sur la vague récente du R-Rated. Cependant, il lui faut une raison d’exister comme dans le récent Logan, où la brutalité du personnage (et de l’histoire en cours) exige ou du moins légitime, l’horreur de ses coups et affecte un certain cachet au film. Vous ne croyez pas ?
La conclusion du Capitaine Cinemaxx
Hellboy version Neil Marshall rate sa nouvelle épopée, laquelle devait sûrement lancer une nouvelle saga, autour d’un personnage tiré de l’univers des comics et on regrettera le manque d’investissement de l’équipe créative du film, qui avait l’occasion d’être plus précise dans le propos et dans la mise en scène, alors que les idées étaient bel et bien là.
Il faut dire que le tournage a été compliqué. Réécriture du script à de nombreuses reprises, acteurs dirigés à la vite (ce qui, parfois, se ressent), montage final recoupé par la production (définitivement, l’épisode Fantastic Four n’aura eu aucune répercussion sur les autres studios., licenciements en cours de route (chef opé. Sam McCurdy), l’enquête de The Wrap souligne à elle seule l’échec cuisant d’Hellboy au box-office.
Allez, pour la nostalgie, voici quelques jolis plans des Hellboy de Guillmero Del Toro :