LES TRADUCTEURS : TRADUIS-MOI SI TU PEUX

* SANS SPOILERS *

Neuf traducteurs sont rassemblés dans une somptueuse demeure pour travailler sur la traduction du dernier tome d’un immense succès mondial. Pour éviter toute fuite, ils n’ont aucun contact avec l’extérieur. Cependant, les dix premières pages du roman vont être dévoilées sur internet. Alors que tout le monde se demande d’où vient la fuite, le hacker exige une énorme rançon pour ne pas dévoiler le reste du roman.

Les thrillers en huis-clos sont assez rares en France (on peut noter Le Chant du Loup, pour le plus récent) et, l’idée d’un thriller basé sur le monde de l’édition et du métier de traducteurs était en soi, un pari risqué, mais original. Et ce n’est clairement pas une déception. Régis Roinsard maîtrise sa trame scénaristique avec une perfection inouïe, modèle une dramaturgie complexe et haletante, façonne une galerie ténébreuse de personnages, aux ambitions divergentes et/ou convergentes – comme l’exige ce type de productions.
Le film n’offre aucun répit et nous entraîne alors dans un ballet de cliffhangers, où les rebondissements sont surprenants, percutants ou effrayants. Il n’y a jamais de décision facile, de raccourcis et de choix scénaristiques illogiques. Régis Roinsard a conçu une machination parfaite, dans laquelle il perd le spectateur dans un dédale infini d’indices, de soupçons, d’horreur. Cette accumulation de révélations est, par ailleurs, épuisante, mais maligne. La fin du film est redoutable, intelligente, insondable.
La tension permanente que dégage Les Traducteurs est aussi une des qualités du film. Le réalisateur de Populaire parvient à tenir son public en haleine, notamment avec une mise en scène anxiogène et un cadre minimaliste oppressant. Une réalisation parfois astucieuse, ingénieuse, qui contribue à envelopper l’intrigue d’un voile flou (cf. les scènes en prison), où il n’est pas aisé de démêler le vrai du faux (jusqu’au dénouement final).

* SPOILERS * : Il y avait pourtant un indice. Dans une des scènes flash-back du film, il est fait mention d’un des whodunit les plus populaires de la littérature anglo-saxone : Le Crime de l’Orient d’Express. * FIN SPOILERS *

Néanmoins, le film va bien au-delà du simple thriller…

Le monde de l’édition

Régis Roinsard livre également une satire du monde de l’édition, à travers le regard d’un Lambert Wilson impitoyable. Il soulève des problématiques mises sur la table depuis des années, particulièrement sur la manière dont fonctionnent les maisons d’édition et la place de l’auteur et de l’art dans un système capitaliste, où la rentabilité se fait souvent au profit de la qualité. Mais comment en vouloir à des maisons d’édition, qui doivent elles aussi survivre dans un milieu ultra-compétitif ?
En soi, nous avons besoin de best-seller. Et il existera toujours des maisons d’édition, qui osent prendre des risques. Nous pourrons vociférer que la littérature se meurt, mais comment être insensible au parcours d’une J.K Rowling ? Combien de refus a-t-elle connu avant qu’une maison d’édition n’ait le courage d’offrir une chance à une parfaite inconnue, une simple maman de la classe moyenne britannique ? D’ailleurs, la scène entre Helene Tuxen (Sidse Babett Knudsen) et Éric Angstrom (Lambert Wilson) illustre bien les humiliations qu’a pu subir J.K Rowling à ses débuts. Une séquence dure, violente, inhumaine, révélatrice du monde impitoyable qu’est l’édition.
Même si, aujourd’hui, l’écrivaine est tombée dans une productivité outrancière à base de préquels, séquels, spin-offs littéraires et cinématographiques sans envergure, capitalise sur le succès d’une vie, à coup de marketing alléchant (ce que soulève aussi le film), elle reste un symbole de courage, de réussite et d’espoir pour tous les futurs auteurs. Mais je m’éloigne.

J’aimerais revenir quelques instants sur le personnage d’Éric Angstrom. La seule chose qui manquait pour mieux comprendre comment ce dernier a basculé dans une forme de misérabilisme littéraire, ce sont des flashbacks. Son amour pour la littérature, les difficultés qu’il a connu au lancement de sa maison d’édition et les raisons qui l’ont ensuite poussé vers l’appât du gain, sont évoqués mais jamais développés. Ce n’est toutefois qu’un détail, puisque la performance de Lambert Wilson offre des moments suffisamment détestables pour comprendre à quel point sa vie passée a été pénible. De plus, il prononce cette phrase : « Quand on a connu la faim, l’art ne suffit plus », assez explicite et qui va être le moteur de son ambition malsaine, jusqu’à la fin du film.

Le métier de traducteur

Pour son film, Régis Roinsard se serait inspiré du dispositif qu’avait pris la maison d’édition Doubleday pour la traduction d’Inferno de Dan Brown. Afin de garantir une sortie simultanée à travers le monde sans fuites, les traducteurs étaient quasiment cloisonnés dans le bunker de Mondalori à Milan avec des mesures très strictes de confidentialité. Ainsi, pour coller au plus près de cette réalité, Régis Roinsard a sollicité de nombreux traducteurs dont Nicolas Richard. Ce dernier confirme dans une interview la pénibilité du travail, les difficultés salariales du métier, les conditions et les exigences parfois loufoques des auteurs/éditeurs, mais aussi les différents types de traducteurs que met en scène le film (celui qui fait cela pour l’argent, l’écrivain frustré, la traductrice qui s’identifie à un personnage du livre, etc…).

Je vous laisse le lien de l’interview de Nicolas Richard menée par l’Internaute, ici.

En somme, Régis Roinsard a produit un véritable travail de fond avant de réaliser Les Traducteurs. Ce qui rend son film d’autant plus pertinent et précieux. On pourrait même dire qu’il s’agit d’un long-métrage engagé, qui met un métier de l’ombre, dans la lumière.

La conclusion du Capitaine Cinemaxx

Projet original et abouti, Les Traducteurs de Régis Roinsard est le thriller à huis-clos français que l’on rêve de voir plus souvent au cinéma. D’une maîtrise absolue, Les Traducteurs nous soumets à des instants dérangeants, d’une rare violence, à la limite de la suffocation, une virée implacable dans la perversité humaine.
Le casting est irréprochable, Lambert Wilson, au sommet de la mégalomanie et de la détestation, est impeccable.

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