Robin des Bois est une des légendes les plus contées, les plus retranscrites, que ce soit à la télévision ou au cinéma – avec plus d’une quarantaine d’adaptations à son actif -, en comptant ses apparitions – mêmes brèves -, dans des séries comme Once Upon A Time ou dans des caméos parodiques (cf. Kaamelott, épisode 75 / Doctor Who, épisode 3 – saison 8 « Robot des Bois »).
Parmi les adaptations les plus célèbres du héros qui vole aux riches pour donner aux pauvres, on gardera en mémoire la version animalière de Wolfgang Reitherman (1973) produite par Walt Disney Pictures, (dont une adaptation en live-action est actuellement en préparation), celle de Richard Lester avec Sean Connery, La Rose et La Flèche (1976) et l’origin-story de Ridley Scott (2010), Robin des Bois, moins romanesque et plus guerrière.
Chacune de ses œuvres aura apporté sa pierre à l’édifice au mythe de Robin des Bois, aura contribué à forger la légende, jusqu’à la rendre populaire auprès des enfants et des adultes. Cependant, une œuvre cinématographique relatant les merveilleuses histoires de ce héros peu ordinaire est davantage restée dans les mémoires : Robin des Bois, Prince des Voleurs de Kevin Reynolds, sortie en 1991. Pourquoi ? Éléments de réponse !
Robin des Bois, Prince des Voleurs : un film religieux ?
Robin des Bois, Prince des Voleurs est un film précurseur dans de nombreux domaines et thèmes qu’il aborde. Et, c’est notamment au travers de prises de décisions scénaristiques fortes, marquantes pour l’époque, que le long-métrage de Kevin Reynolds, va, au fil des années, se démarquer et s’imposer comme une œuvre culte, surpassant ainsi toutes les autres adaptations.
. Références bibliques et représentation moderne
Film politique et éminemment religieux (notamment sur la corruption de l’Église), Robin des Bois, Prince des Voleurs est une production où les références à la Bible sont multiples : disciple, croyance, remise en question du leader, réunion, lutte contre un pouvoir en place, résurrection. À différents degrés, l’histoire et le personnage de Robin des Bois ont des similitudes avec Jésus-Christ. Quelques exemples.
. Si autrefois on surnommait Jésus-Christ, le « Messie », Robin, lui, sera surnommé par son plus fidèle « disciple », Azeem (Morgan Freeman), « Chrétien ». Une seule fois dans le film, Azeem appellera Locksley par son prénom, du reste, « Chrétien » sera le seul qualificatif que lui attribuera ce dernier. Comme si la religion seule définissait Robin, comme si ce surnom était le gage de son exemplarité, l’exemplarité que devrait avoir tout bon chrétien à savoir, la bonté d’âme, l’altruisme, la générosité et la compassion.
En lui attribuant ce surnom, Azeem fait également de Robin, le héros de cette histoire. En somme, il le baptise de cette fonction, un fardeau que prendra Robin à la légère au début du film, avant d’embrasser sa destinée pour sauver son « peuple » d’une emprise tyrannique.
. Autre référence à la Bible, la résurrection.
Lorsque le Shérif de Nottingham débarque dans la forêt de Sherwood pour attaquer le village de Robin, l’archer fait une chute de plusieurs mètres de haut, après avoir sauvé la femme et le fils-né de Petit Jean. Ce n’est que quelques minutes plus tard que Robin réapparaîtra, la nuit tombée, dans un halo lumineux, la silhouette floue. Un plan inspiré, d’une beauté indéniable, où l’espoir renaît dans le cœur des disciples de Robin.
Toutefois, soulignons une différence notable. À la différence de Jésus-Christ, qui tend l’autre joue, Robin est animé d’un esprit révolutionnaire. Le film diffère. Robin lutte, il sait que pour gagner contre un Tyran, les mots ne suffiront pas, pas plus que la seule foi en un être humain. Cette version moderne de Jésus-Christ, c’est aussi ce qui séduit. Robin des Bois, l’archer au grand cœur, doit se battre s’il veut instaurer une paix durable, venger l’honneur de son père, rétablir la vérité et, fonder une famille.
. Azeem
Parmi les aspects incroyablement marquant du long-métrage de Kevin Reynolds, la « création originale » d’Azeem, personnage noir et musulman, délicieusement interprété par la star hollywoodienne Morgan Freeman.
Tandis que dans certains films d’époques, notamment d’aventures, les acteurs noirs étaient bêtement caricaturés (accent, démarche, gestuelle…), les scénaristes Pen Densham et John Watson ont traité, développé le personnage d’Azeem avec maturité, respect, sans caricature, toujours avec sérieux et intérêt. En effet, Azeem aura un rôle majeur, déterminant. Il sera le lien entre les différentes « races » et les différentes cultures, la conscience morale de Robin et l’enseignant aux valeurs universelles (« nous sommes tous égaux »).
Un dialogue est particulièrement évocateur de son rôle au sein du film, celui qu’il tient avec une petite fille du village :
– Dieu t’as peint en noir ?
– Oui.
– Pourquoi ?
– Parce que Allah aime bien la différence.
Cette dernière réplique d’Azeem peut paraître anodine, mais elle est au cœur même d’un profond problème : l’acceptation des différences. Les blancs ont toujours stigmatisé les minorités, comme si elles n’étaient que des impuretés, des ratés de la divine création, dont on doit se servir pour les basses besognes. Or, si ces différences existent, elles sont aussi des créations de Dieu et si création il y a, elles ne sont en rien des conceptions imparfaites mais bel et bien des êtres purs, aussi vifs et intelligents que n’importe quel humain.
Azeem sera aussi celui qui permettra la révolte au sein du château de Nottingham, après un discours sur la différence, simple et clair.
Il vaincra également la sorcière Mortianna, un choix symbolique. Robin lui adressera d’ailleurs cette phrase : « tu as fait honneur à ton peuple, tu avais plus de courage que dix anglais ». Une phrase forte, qui attribue, non plus le courage à une notion religieuse, mais à une notion de valeur humaniste. Dans cette réplique, Kevin Reynolds prend à partie les soi-disant croyants, lesquels se prétendent attachés à leur pays et à ses valeurs républicaines, mais qui sont, pour la plupart, les derniers à se battre ou les premiers à prendre la fuite, lorsque le danger se fait présent.
. Le Frère Tuck
Autres choix scénaristiques forts, les nombreuses apparitions du Frère Tuck, l’allégorie des péchés capitaux. Gourmandise, orgueil, paresse, la majorité des péchés y passent.
La première fois que le spectateur fait connaissance avec Tuck, c’est lors d’un guet-apens tendu par Robin des Bois, tandis que le religieux tire une cargaison de vins, saoul.
J’imagine qu’à l’époque, voir un prêtre se comporter de la sorte, être constamment tourné en ridicule, ne devait pas être du goût de tout le monde. Cependant, ses apparitions sont aussi un moyen pour le réalisateur d’exposer la complexité de la religion mais surtout, de monter que le chemin vers l’humanisme est un parcours semé d’embûche, même pour un prêtre, censé être le représentant de la Morale. Les remises en question pour le Frère Tuck seront donc multiples. Après chaque péché, Dieu le punit. Et, à chaque punition, Frère Tuck en tire alors une leçon, une vertu : « merci Seigneur, de m’enseigner l’humilité», après avoir traîné le chariot sur son dos OU « le seigneur m’a donné une bonne leçon. Je me crois pieux, mais je me conduis plus mal qu’un infidèle » dit-il à Azeem, après des propos racistes à son encontre. Ce dernier lui serra alors la main en se disant (avec humour ?) même prêt à « se convertir ».
Les femmes dans Robin des Bois
Dans une époque pas si lointaine, on attribuait aux femmes dans les films d’aventures ou de cape et d’épée des rôles mineurs, des rôles qu’on qualifie aujourd’hui de « demoiselles en détresse ».
Dans Robin des Bois, Prince des Voleurs, le réalisateur Kevin Reynolds va littéralement évincer cette expression de son film et, prouver que Marianne, entre autres, n’est pas qu’une simple love-interest incompétente, mais une authentique héroïne, prête à affronter les dangers qui menacent son pays et son Roi. Kevin Reynolds le signifiera dès la première apparition de Marianne, alors qu’elle engagera le combat avec Robin, fraîchement débarqué dans son hospice. S’en suivront une succession d’actes de rébellion, montrant le caractère débrouillard et impétueux de Marianne :
– Elle mentira ouvertement à Guy de Gisborne.
– N’hésitera pas à rejoindre Robin dans la forêt de Sherwood, et prendre en traître deux des hommes de Robin pour le rejoindre au sein de la forêt.
– Aidera Robin, autant qu’elle le peut, lorsqu’il combattra le Shérif de Nottingham.
Les autres protagonistes féminins du film, telle que la servante de Marianne ou la femme de Petit Jean, sont également des figures féminines fortes, qui osent braver les dangers pour protéger les leurs.
Robin des Bois, Prince des Voleurs : Entre fantastique et mysticisme
L’histoire entourant la légende Robin des Bois ne contient pas d’éléments fantastiques ou mystiques pourtant, le réalisateur Kevin Reynolds et son équipe vont décider d’ajouter au générique un personnage lié au monde de la divination et de la sorcellerie : Mortianna. Un choix curieux qui, toutefois, contribue à rendre unique cette version de Robin des Bois, à la graver dans nos esprits. Qui ne se souvient pas de cette sorcière dérangée, aux prédictions foireuses, tout droit sortie d’un imaginaire proche de Tim Burton ?
Néanmoins, ces éléments fantastiques n’interfèrent jamais de manière illogique dans la structure narrative du film et dans l’aspect très terre-à-terre de la philosophie que tente d’inculquer Robin des Bois. Mieux, ils permettent de nous rendre compte de la supercherie qu’est la divination, et nous fait prendre conscience que nous sommes les seuls maîtres de notre destin.
Conclusion
Film moderne, en avance sur son temps, débridant, décortiquant la religion avec audace, mélangeant mysticisme et horreur, dans un spectacle terriblement kitsch mais séduisant, frôlant la drôlerie d’un Monty-Python et l’esthétisme prononcé d’un jeune Tim Burton, Robin des Bois, Prince des Voleurs aura marqué toute une génération de cinéphiles.
Sa bande-originale charmante – où se côtoient sonorité épique et rythme romantique -, ainsi que ses acteurs, certains convaincants, d’autres volontairement caricaturaux (l’énergie folle mais rétro d’Alan Rickman contribue encore à donner au personnage du Shériff de Nottingham une dimension attachante et détestable) font également de cette œuvre, un monument du 7ème art.