5ÈME SET : RENCONTRE AVEC ALEX LUTZ ET LE RÉALISATEUR QUENTIN REYNAUD + AVIS

Lundi 19 octobre, le CGR le Dragon de La Rochelle accueillait le comédien Alex Lutz et le réalisateur Quentin Reynaud venus présenter leur nouvelle collaboration en avant-première* : 5ème set. Un long-métrage dramatique poignant, dans lequel nous suivons le personnage de Thomas Edisson, ancien espoir du tennis français qui, à l’âge de 36 ans, va tenter de sauver son honneur et se lance alors dans un dernier challenge : participer au tournoi de Roland-Garros.
À cette occasion, j’ai pu m’entretenir avec le comédien césarisé pour Guy ainsi que le cinéaste de Paris-Willouby.

* Avant-première organisée par l’émission Chut On Écoute la Télé d’Alain Jeanne et la radio Hélène FM.

QUENTIN REYNAUD

Qu’est-ce qui a motivé le choix de réaliser un film sur le milieu du tennis et de mettre en scène cet ancien espoir du tennis français, brisé par des blessures, dont le désir est de sauver son honneur ?

J’étais joueur de tennis, et j’ai toujours pensé que les films qui parlait réellement de la psychologie et de la difficulté physique que les joueurs de tennis pouvaient affronter, étaient rares. Le tennis, en tant que sport, nous l’avons vu dans différents films. On en parle assez souvent comme ce fut le cas avec le récent Terre Battue, Match Point, The Battle of Sexes ou encore Borg McEnroe. Mais nous sommes ici, soit dans un duel, soit dans un fait sociétal. Avec 5ème set, je voulais rentrer dans la tête de mon personnage et, quoi de plus intéressant que de rentrer dans la tête d’un personnage qui a eu de fortes désillusions, a été un grand espoir, n’a pas eu la carrière qu’il aurait dû mais qui en fin de parcours, ressent le goût du sang, commence à regagner quelques matchs et se reprojette 20 ans plus tôt. Il se bat contre son passé. Pour progresser.

Et justement, cette idée de mettre en scène le film de ce point de vue là, elle est née d’où ?

Elle s’est nourrit de la mythologie tennistique. C’est un patchwork de tout un tas d’histoires que j’ai entendues plus ou moins proches de moi. C’est aussi un sujet assez universel, ce sont les histoires les plus dramatiques, ce genre de joueurs qui sont promis à des avenirs flamboyants et qui, au final, s’écrasent. Quelque part, c’est ce qu’il y a de plus intéressant, d’un point de vue cinématographique. Je pourrais citer des joueurs mais ça ne serait pas très honnête car je me nourris tout autant de Andre Agassi que de Jimmy Connors, de Richard Gasquet que de Paul-Henri Mathieu ou d’autres joueurs plus récemment. C’est vraiment une connaissance de la matière tennistique et, quand j’en presse un peu le jus par rapport aux drames que ça crée, c’est cette histoire qui en ressort.

La Fédération Française du Tennis a collaboré sur le film ? Quel a été son rôle au sein de la production ?

Elle n’a pas collaboré. Elle nous a ouvert les portes, ce qui est une forme de collaboration, mais elle n’a pas collaboré outre mesure. Un des enjeux, et je pense que c’est une des raisons pour laquelle ils ont accepté, c’était mon souhait qu’il n’y ait pas d’interventionnisme. Roland Garros est un « personnage » sur-puissant. Je réalisais un film de cinéma, et il était hors de question de faire une publicité pour Roland Garros ou pour le tennis. C’est là qu’ils ont compris qu’il y avait un intérêt supérieur. Pour eux, c’était envisager le tennis dans toute sa complexité : les blessures, les difficultés financières, ce qu’était vraiment ce sport, tout en le respectant et en l’aimant profondément.

Quand vous dites « ils nous ont ouvert les portes », c’est-à-dire qu’ils vous ont donné l’accès à certains lieux pour tourner ?

Tout. Il s’agit de la première fiction tournée dans l’enceinte du Club et, le cinéma, ce n’est pas leur médium. Roland Garros organise des tournois, ils n’ont jamais lu de scénario auparavant. Ce n’est pas évident pour eux de se projeter et d’imaginer ce que l’on va faire ici pendant 5 semaines ? Passés les premiers rendez-vous, et les premières réticences, ils ont vu l’honnêteté de notre démarche, et l’intérêt/potentiel qu’ils pouvaient en retirer sans en faire de la publicité, qu’ils nous ont ouvert entièrement les portes du tournoi. Et nous étions comme à la maison à Roland Garros pendant 5 semaines. C’était fantastique !

Dans 5ème set, on ressent quelques influences cinématographiques, Black Swan ou même Rocky, cela a été des inspirations à l’écriture ?

Oui et non. Les inspirations, elle sont multiples. J’ai essayé de ne pas m’attacher. On parle de Darren Aronofsky, ce n’est pas forcément à Black Swan auquel je pense – même si Black Swan en est une -. Évidemment, il y a toute la mythologie du film de sport mais je pourrais citer tout au temps Raging Bull – par rapport à la manière dont je l’ai filmé – que The Wrestler – dans la manière où j’étais proche de mon personnage. Si j’avais une référence à donner : The Lost City of Z de James Gray. Rien à voir, certes, mais pour autant, c’est un peu ce genre de personnages (Percy Fawcett) que je trouve fascinant, qui va chercher une ville, une sorte d’Eldorado. Le principe même de l’Eldorado, c’est qu’il n’existe pas ou, s’il existe, on ne le sait jamais. Et moi, ce que je vois dans le personnage de Thomas Edisson, c’est qu’il va chercher cet Eldorado, qui est toujours plus loin, un Eldorado qu’il n’a pas su toucher lorsqu’il avait 17 ans. Il est persuadé qu’il va y revenir, et il ne l’atteindra sans doute jamais parce que la satisfaction d’avoir assouvit son objectif est, pour ce type de personnage, jamais atteinte.

[SPOILERS] : Pourquoi avoir choisi une fin ouverte et ne pas avoir pris partie pour un des deux joueurs ?

Parce que tout se résout avant. Je vais simplement dire, qu’Edison gagne ou pas ça n’a pas vraiment d’importance. L’enjeu du film se situe ailleurs.

Vous saviez, dès le départ, que cette fin serait ainsi ?

Oui, bien-sûr. C’était la première image que j’avais en tête. Et il n’y a jamais eu de discussions là-dessus. C’était important pour moi.
[FIN SPOILERS]

« On partage une même appréhension du doute. Permanente. Et du manque de confiance de l’objectif jamais assouvi. Ce n’est pas pour rien qu’il y a ce rôle que j’ai écrit et que lui l’interprète. C’est quelque chose que l’on partage et que l’on partagera toujours. Quoi qu’il arrive, Alex Lutz – et il ne le dira jamais parce que je le connais -, ne parle que de ses doutes et de la peur de ne pas réussir quelque chose, de ne pas être à la hauteur. »

ALEX LUTZ

Accepter d’incarner Thomas Edisson, c’était aussi pour le challenge physique qu’imposait le rôle, outre le personnage qui est très puissant ?

C’est surtout pour la puissance du rôle. Après, quand il y a le challenge physique en plus, c’est super. Cela aurait été un simple challenge avec un rôle compliqué, une structure du film pas bonne, un scénario faible, ça ne servirait à rien. C’était parce que le film et sa structure me plaisaient beaucoup.

Est-ce que vous jouiez au tennis avant de tourner 5ème set ?

Je ne jouais pas au tennis et je ne joue toujours pas beaucoup mieux (rires). J’ai vraiment appris pour le film. Ce n’était pas gênant, Quentin était très clair avec ça. J’aurais été un excellent joueur, ça n’aurait pas été suffisant pour ce qu’on avait à faire. On parle d’un joueur qui est 250ème mondial, c’est un joueur avec un niveau de jeu inouï, mais il fallait qu’on voit des failles dans son jeu. Par contre, j’ai subi un vrai entraînement, un travail physique avec 4-5h de sport par jour, pendant plusieurs mois. J’ai adoré. On divisait mes séances en sport et en chorégraphies. Puis, soit j’imitais les choses de ma doublure, soit je rentrais à la fin du plan ou l’amorçais, soit j’étais au milieu. Je réalisais certaines frappes dans la caméra et pleins de petites choses telles que le rattrapage de balles. C’est tout bête hein, rattraper une balle, prendre une balle à son ramasseur de balle, néanmoins, il fallait que dans la façon de la prendre, j’ai l’air d’un vrai joueur qui a 30 ans de tennis derrière lui. Il fallait que ça soit crédible jusque dans ces petits détails. Et ça rentrait malgré tout dans des périodes d’entraînement.

Avez-vous rencontré des tennismen professionnels pour vous aider à préparer le rôle ?

J’ai rencontré Paul-Henri Mathieu par exemple, mais je voulais pas trop rencontrer de tennisman, parce que je trouvais ça inhibant. J’avais envie d’être dans « ma cuisine ».

Vous évoquiez votre doublure, vous aviez donc une doublure pour certaines scènes ?

Oui, bien sûr. Heureusement. Il y a également plein de tours de passe-passe pour créer la véracité. Je peux vous dire qu’ils sont là dans le film mais j’ai pas envie d’en dire davantage. Je n’ai jamais été amoureux des making-of. Sur Guy, on me demandait régulièrement d’assister aux séances de maquillage… j’aime dire aux gens que c’était là, et c’est tout. Vous savez, c’est comme si vous invitiez des gens à dîner, en leur disant toutes les deux secondes votre technique de cuisine, le détail de vos ingrédients, etc… à un moment on a envie de dire : « Tu sais quoi, on s’en fiche ! ». Et c’est chouette de se dire « Tiens, qu’est-ce qu’il y a dans ce vin ? dans ce plat ? Tiens, je perçois ça, j’ai l’impression que…, j’ai pas senti cette saveur-là… » Il faut se laisser surprendre, c’est la même chose avec un film.

Est-ce qu’il y a une scène qui a été particulièrement difficile à tourner ?

Il y a en eu plusieurs, qui ont toutes des particularités différentes. Bizarrement, ce n’est pas dans le travail de renforcement musculaire. Moi, je me suis pété les genoux. Ça me renvoyait dès lors à des choses qui n’ont pas été des périodes faciles, où il fallait rester en forme par rapport à la scène. J’avais des échéances de scènes, avec un corps cassé, et ça me renvoyait à des choses que je savais fortes émotionnellement, mais dont je ne pensais pas qu’elles remueraient de les toucher à nouveau.

Donc, ce n’est pas les scènes « physiques » qui ont été les plus dures à tourner…

Paradoxalement, non. Même si j’avais peur 2-3 fois, j’ai pu en parler avec Quentin. Il savait comment s’y prendre.

C’est d’ailleurs votre second long-métrage avec Quentin. C’est quel type de réalisateur ?

J’ai même envie de dire que c’est le premier film avec Quentin. Le premier long-métrage était une entité à deux, c’est du coup très différent parce que j’avais à faire à Arthur (le co-réalisateur) et à Quentin. J’avais beaucoup aimé ses qualités de précision et de vision artistique. Je trouvais que c’était un super directeur d’acteurs, qui a une gourmandise de l’acting. On se plaisait bien. Et c’est resté. Je savais cette affaire de tennis dans sa tête depuis longtemps, et quand nous nous sommes revus, on parlait et les choses se sont doucement mises en place pour que ce soit possible. Je le dis sans flagornerie, je le suivrais au bout du monde sur un projet. Ce n’est pas tout le temps. Parfois, vous êtes très content : « J’ai tourné avec un tel, c’était génial ». Là, c’était plus que génial…

Il y a une sorte d’alchimie entre vous…

Ouais, on se pige bien, on se fait confiance, y’a un truc émotionnellement qui matche. Quand ça arrive, c’est rare. C’est suffisamment remarquable pour le soupeser et se dire « c’est classe ! ».

Et vous, Quentin, c’était une évidence Alex pour le rôle de Thomas ?

Quentin : On partage une même appréhension du doute. Permanente. Et du manque de confiance de l’objectif jamais assouvi. Ce n’est pas pour rien qu’il y a ce rôle que j’ai écrit et que lui l’interprète. C’est quelque chose que l’on partage et que l’on partagera toujours. Quoi qu’il arrive, Alex Lutz – et il ne le dira jamais parce que je le connais -, ne parle que de ses doutes et de la peur de ne pas réussir quelque chose, de ne pas être à la hauteur. Moi aussi, c’est un truc qui me fait flipper, à un point phénoménal. Qui me fait flipper mais qui me rassure en même temps. Cela me fait peur, car je me dit que peut-être, de mon vivant, je n’arriverais jamais à faire ce dont j’ai envie… c’est quoi l’objectif final ? Lorsqu’on me confie « C’est extraordinaire, 5ème set est un chef d’œuvre », je suis encore plus mal. Je préfère qu’on me dise que ce n’est qu’un début. J’aime bien me dire, moi, que ce n’est qu’un début sur un parcours que l’on construit tout au long de sa vie. Au final, c’est quoi ? C’est peut-être essayer, à la fin des fins, de réussir à se construire un visage, une sorte d’image, avec des échecs, des balafres, une gueule. C’est très bizarre ce que je vous ai dit, mais voilà…

Alex : On partage ça, le goût du chemin… C’est fatiguant. On tombe, on recommence, mais je n’échangerais cette expérience contre pas beaucoup d’autres. Si on me donnait la possibilité d’être au top du top à seulement 21 ans, je la refuserais. C’est formidable un chemin.

Quentin : Je suis en train de lire un livre qui est La Horde du ContreVent d’Alain Damasio, qui est donc une horde, qui lutte, qui avance toute leur vie durant pour trouver l’origine du vent. Quelle est la quête la plus veine que de chercher l’origine du vent ?
Ils sont partis depuis 25 ans et, à un moment donné, dans leur parcours, ils croisent des bateaux qui peuvent, eux, faire le trajet qu’ils ont fait en 25 ans, en 6 mois. On leur demande alors pourquoi ils ne prennent pas de bateaux ou autres moyens de locomotion plus rapides. Ils expliquent alors que pour comprendre le vent, il faut l’avoir parcouru à pieds, il faut l’avoir arpenté, ressenti, de manière à ce que, dès qu’on va arriver au bout du bout, on ait l’expérience nécessaire pour l’affronter. Et c’est exactement ça, cette notion de parcours, qui est fascinante. Il n’y a sûrement rien au bout, mais on s’en fout.

Alex : On a remplit notre vie avec quelque chose…

Quentin : Ça part un peu en sucette (rire).

AVIS

Pour son quatrième long-métrage, Quentin Reynaud se « sépare » de son acolyte Arthur Delaire pour réaliser, seul, 5ème set, un film sur le tennis en partie inspiré de sa propre expérience. On y suit le personnage de Thomas Edisson, dont la carrière n’a jamais vraiment décollé. Pourtant, 17 ans plus tôt, il était l’un des plus grands espoirs de ce sport en France. Mais une défaite en demi-finale l’a fortement marqué, ainsi que des blessures. Il stagnera ensuite dans les profondeurs du classement. Aujourd’hui professeur de tennis pour enfants, Thomas refuse pourtant d’abdiquer. Il se prépare pour le tout dernier défi de sa carrière, participer au tournoi de Roland-Garros. Il est désormais envahi par un désir de sauver son honneur et se lance à fond dans ce dernier challenge, malgré la désapprobation de ses proches dont sa femme Ève et sa mère Judith. Thomas est d’autant plus motivé qu’il voit s’entrainer Damien, 17 ans et lui aussi enfant prodige du tennis.

De prime abord, le sujet tennistique n’est pas le sujet cinématographique le plus emballant qu’il soit. Pourtant, Quentin Reynaud parvient à transformer sa thématique en une véritable aventure humaine et philosophique sur le désir, le courage, l’abnégation et la passion. Le tennis n’est que la toile de fond d’une histoire intimement plus complexe où se côtoient l’envie et la jalousie avec une proximité dont Edisson devra en déterminer les conséquences, en affrontant ses peurs les plus profondes.
5ème set, c’est un film qui appuie sur les émotions pures, met en exergue les difficultés financières, familiales, amoureuses, et révèle l’aspect manichéen de la volonté, tantôt ambitieuse, tantôt nuisible. Toutes ses qualités scénaristiques sont retranscrites dans une réalisation au plus proche de ses héros. La caméra filme souvent les personnages en gros plan, afin d’accentuer les troubles, les joies, les peines qui les habitent. Ainsi, le spectateur peut ressentir chaque sensation qui se niche au sein des protagonistes, les comprendre, les analyser. C’est comme cela que Quentin Reynaud nous touche émotionnellement, que son film nous ébranle pleinement.

Alex Lutz délivre, lui, une magnifique performance et, prouve (une fois encore) qu’il est un acteur avec une réelle intensité dramatique.
Beaucoup d’humoristes ne parviennent jamais à transcender leurs figures comiques, lors d’interprétations dramatiques. On attend la vanne. Elle se lit trop aisément sur leur visage. Chez Alex Lutz, rien ne transparaît. Son visage se dessine selon le propos du film. Dans 5ème set, son visage est grave, puissant, et le spectateur ne pense pas à l’humoriste. Il voit l’acteur. L’interprète de Guy sait tout jouer, et 5ème set est une nouvelle pierre à l’édifice d’une grande carrière.




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