DANS LA BRUME : RENCONTRE AVEC LE SCÉNARISTE MATHIEU DELOZIER

Interview qui devait apparaître dans le second numéro de FOCUS, hors-série consacré aux films de genre français.
Ci-après, vous retrouverez un lien vers mon analyse complète du film de Daniel Roby ainsi que mon reportage sur les VFX.

L’histoire :
Le jour où une étrange brume mortelle submerge Paris, des survivants trouvent refuge dans les derniers étages des immeubles et sur les toits de la capitale. Sans informations, sans électricité, sans eau ni nourriture, une petite famille tente de survivre à cette catastrophe… Mais les heures passent et un constat s’impose : les secours ne viendront pas et il faudra, pour espérer s’en sortir, tenter sa chance dans la brume…

Ce qui est assez étonnant dans le film Dans la brume, c’est ce contraste hyper lumineux lorsque les héros sont au-dessus des toits, c’en est même poétique, et la photographie jaunâtre et insalubre lorsqu’ils sont sous la brume. Dès le départ à l’écriture, vous souhaitiez apporter ce contraste ?
Je voulais avant tout préciser comment s’est faite l’écriture du projet. Il y avait à la base un traitement écrit par Dominique Rocher, réalisateur du film La Nuit a dévoré le monde, sur lequel nous nous sommes appuyés Guillaume Lemans, Jimmy Bemon et moi-même. Et donc, cette idée de brume avec cette surface lumineuse et une autre plus opaque était présente depuis le départ, avant notre arrivée sur le projet. Des visuels avaient d’ailleurs été créés.
À l’époque, le film était beaucoup trop proche de The Mist de Frank Darabont : la brume arrivait un peu de nulle part, par la mer et la Bretagne. Une brume où il y avait aussi des monstres à l’intérieur. Cela, nous l’avons modifié. Mais l’idée qu’au-dessus des toits, la brume soit lumineuse et assez sombre en dessous, c’était quelque chose de déjà visible dans les dessins préparatoires. Il est vrai que c’est une idée qui nous avait marqué et qui renforçait cette impression de monde des vivants et de monde des morts. Avec au dessus, ce côté qui représente la vie et ce soleil très fort, puis, en dessous, un monde presque éteint où, lorsque l’on descend, on a la sensation d’être en Enfer. Nous, nous avons ensuite décidé d’appuyer sur ces deux aspects. Nous n’avions dès lors plus besoin d’y ajouter des monstres. La brume est le monstre, l’antagoniste principal. Ensuite, c’est le réalisateur et l’équipe technique qui mettent en forme. Par exemple, nous n’avions pas précisé à l’écriture que la brume serait jaunâtre ou qu’il ferait tout le temps beau au-dessus des toits de Paris.

Dans la brume est aussi une course contre la montre puisque le personnage incarné par Romain Duris sera en recherche perpétuelle d’oxygène pour alimenter la machine où est « prisonnière » sa fille, atteinte de la maladie du poisson rouge. Comment cet enjeu s’est imposé à vous ?
C’est pour cette raison que j’ai précisé rapidement la manière dont l’écriture du projet s’est faite, puisque dans le scénario de base, le héros a une petite fille à l’hôpital, dans le coma, sous respirateur artificiel et alimentée en oxygène. Elle était sous la brume et le personnage principal alimentait l’oxygène avec un système pour faire venir l’air des étages du haut vers le bas. Mais il n’y avait pas encore cette idée de recharge, de batteries à aller chercher pour filtrer l’air de la bulle. C’est une des premières idées que l’on a eu : créer un enjeu, une urgence pour le couple de héros ainsi qu’un but. Ce compte à rebours que nous leur avons imposé permettait une dynamique au film et nous permettait aussi de ne pas tomber dans une production trop contemplative. On voulait qu’il y ait toujours une énergie, du suspense. Et puis, c’est un super enjeu que d’avoir une petite fille vivante, innocente, au milieu d’un danger mortel et qu’il faut constamment sauver. C’est aussi dans la veine des thrillers sur lesquels a travaillé Guillaume Lemans, où il y a souvent ce genre d’enjeux. Par exemple, dans À bout pourtant, c’est une femme enceinte ou dans Pour Elle, il faut sauver la femme en prison…
Ça nous donnait une forme d’espoir. On se disait que même s’il y a toute cette catastrophe, peut-être que nous pouvons sauver cette jeune fille et que ça vaut la peine de se battre. 

La fin du film est d’ailleurs assez intéressante, puisque vous renversez la situation. Ce sont désormais les jeunes enfants atteints de cette maladie qui peuvent survivre dans ce nouveau monde…
On ne voulait pas que la résolution soit trop simpliste. On a cherché quelque chose qui, à la fois surprenne le spectateur et, en même temps, puisse avoir du sens. Nous nous sommes dit que, peut-être, ces enfants malades, enfermés dans des bulles et trop sensibles à l’atmosphère actuelle, vont être adaptés à ce « nouveau monde ». C’est un peu un twist à la 4ème dimension, à la Shyamalan. Au niveau du sens, ce cliffhanger (suspense) donne aussi un espoir. Le futur, ce sont les enfants d’aujourd’hui qui vont le construire, car plus conscients des problématiques du XXIème siècle. Les jeunes ont envie de faire bouger les choses, le système en place. Et c’est ce que l’on voit avec Greta Thunberg, notamment.
En somme, nous voulions créer une surprise, une évolution intéressante. On voulait que ça ait du sens dans la thématique écolo que nous voulions présenter.

Il y a une scène assez impressionnante dans le film, notamment la course-poursuite entre Mathieu (Romain Duris) et le chien dans les rues de Paris. Cette scène, comment l’imagine-t-on à l’écrit ? 
On a beaucoup travaillé avec Guillaume, très fort pour écrire l’action. Le concept, même si nous ne l’avions pas verbalisé, c’était : que peut-il se passer d’extraordinaire quand la société s’effondre ? Se sont alors imposées à nous, plusieurs idées dont le flic devenu un peu psychopathe et ce fameux chien enragé qui n’a plus de maître. Et dans ce monde où il n’y a plus aucune règle, ça devient un danger beaucoup plus grand que dans la réalité quotidienne. Ensuite, chaque chose que tu vois à l’écran à été soigneusement écrite. Une bonne scène d’action doit raconter quelque chose mais aussi être spécifique à l’univers dans lequel on la raconte. Là, il fallait utiliser au maximum les éléments que nous avions. Par exemple, l’idée qu’avec la brume, Mathieu ne voit plus son ex-femme et tombe dans la Seine et qu’elle finisse piégée dans un bus. Ce qui la sauve in-extremis, c’est que la laisse du chien se coince… tous ces détails sont déjà dans le scénario. On s’est bien amusé à écrire cette scène, avec une volonté de renouveler le genre, créer de la nouveauté et de l’excitation pour le spectateur. [… ] Mais nous ne rentrons pas dans le détail géographique de l’action. Ça, c’est le travail du réalisateur et de son équipe, lesquels vont gérer ensuite les déplacements, les rues que vont emprunter les personnages au sein du décor.

Les origines de la brume ne sont jamais définies dans le film. On évoque rapidement quelques faits (une catastrophe en Suède, une attaque terroriste, un événement naturel…) mais ensuite, plus rien. Était-ce un désir de rendre cette brume encore plus mystérieuse, plus dangereuse, plus insaisissable, que vous avez choisi ce parti pris ?
On ne s’est jamais dit que nous allions expliquer les origines de la brume et c’est sûrement une spécificité culturelle française. Je pense que les américains auraient eu beaucoup de mal à ne pas donner d’explication. D’ailleurs, dans The Mist, on nous révèle que des militaires faisaient des expériences sur des dimensions parallèles… Nous, on ne voulait pas offrir d’explication mais plutôt suggérer des pistes comme vous l’évoquez dans votre question. On voulait surtout que le spectateur s’interroge par rapport aussi à ses propres croyances. Certains penseront à l’Apocalypse, d’autres à la Mère Nature qui se venge de l’Homme, etc… Culturellement, en France, le spectateur aime bien se poser lui-même des questions et trouver la réponse qui lui correspond, lui plaît le plus. Et puis, ce que l’on imagine, ce que l’on interprète, est toujours plus beau que l’explication qu’on va leur apporter, nous.

Ma critique de Dans la brume est à retrouver ici.
Ci-dessous, mon reportage réalisé en 2018 sur les effets spéciaux du film.

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