LES ÉTERNELS : MARVEL STUDIOS VOYAIT SI GRAND… TROP GRAND ?

* Attention spoilers *

Promu comme le renouveau de l’ère Marvel Studios, Les Éternels est l’énième tentative de La Maison des Idées pour raviver la flamme d’un public déjà essoufflé par le démarrage d’une phase 4 (dont le contenu, par ailleurs, est peu exaltant), malgré un Shang-Chi plutôt galvanisant mais pas exempt de défauts.
Un grand espoir donc, d’autant que les souvenirs post-Endgame sont encore douloureux et que l’avalanche et la naissance de nouveaux héros en pagaille paraissent bien futiles. Pour pallier à tout cela, Marvel Studios impose ainsi Les Éternels, sorte d’Avengers 2.0 en y conservant les caractéristiques et enjeux émotionnels qui ont fait le succès d’un Infinity War. Une idée brillante sur le papier, qui avait aussi fait ces preuves en 2014 avec Les Gardiens de la Galaxie, où James Gunn mettait en scène une équipe originale et peu banale dans un univers encore jamais exploré.

L’essai est-il transformé ? Les Éternels est-il l’avènement tant attendu ? Et le MCU s’en retrouve-t-il embelli ? Réponse !

Une épopée humaine

Les Éternels est sans nul doute le film Marvel Studios le plus humain et la patte de la réalisatrice Chloé Zhao n’y est pas pour rien. Adepte du drame social et humain, Chloé Zhao était la figure parfaite pour mettre en scène cette équipe de « super-héros », confrontée à l’évolution de la nature humaine depuis leur arrivée sur Terre il y a plusieurs millénaires.
Elle conjugue ainsi la vie de dix personnalités de manière habile, dévoilant ce que fut leur histoire pendant 7000 ans et la façon dont, avec leurs pouvoirs, ils ont protégé la Terre des Déviants et ont participé à l’évolution de l’Homme tant au niveau architectural que technologique. C’est leur amour pour notre monde qui est d’abord mis au premier plan et leur propre humanité. Cette introduction pose des bases inédites et dévoile un pan du MCU jusque-là inconnu : l’impact des Éternels sur la vie humaine.
Tout est savamment dirigé, jusqu’à leur séparation. Alors que les troupes espagnoles emmenées par Hernan Cortes envahissent la capitale aztèque (Tenochtitlán) et massacrent les indigènes, Les Éternels font face à leur premier dilemme. Druig, qui a le pouvoir de prendre le contrôle de l’esprit des gens, quitte le groupe et remet en cause le principe selon lequel leurs races ne doivent pas intervenir dans les affaires humaines. De son côté, Phastos culpabilise de ses avancées technologiques meurtrières, erreur qu’il recommettra dans le futur (nous en reparlerons plus tard). Cette dualité, Chloé Zhao l’amène progressivement, intelligemment, pour créer une véritable dramaturgie, orchestre des tragédies qui vont venir toucher directement le spectateur sur sa nature profonde, le questionner sur le sens de la Vie. En exploitant l’authentique histoire du monde pour confronter son auditoire, avec un jeu de miroir entre les débuts d’un monde prometteur, simple, solidaire et la violence de la guerre et la cruauté de quelques hommes, elle construit ainsi des enjeux émotionnels auxquels nous sommes concernés et investis.
Malheureusement, cette fabrication narrative, la vigueur des propos, s’estompera suite à cette séparation et Zhao ne parviendra plus à aller au-delà des clichés. Mais est-ce la faute principale de Chloé Zhao ? Aidée par trois autres scénaristes, Patrick Burleigh (Ant-Man & The Wasp) et deux illustres inconnus, Matthew K. Firpo et Ryan Firpo, sans compter l’intrusion d’un studio qui contrôle tout, la beauté d’écriture de Chloé Zhao apparaît de moins en moins.

La séparation des Éternels sonne le glas du film. Toute la structure se tord, se déchire, vole en éclats et le long-métrage rechute dans les instincts primaires des productions Marvel Studios.

Le retour des Déviants entraîne inévitablement la reformation de l’équipe. Un premier point sur lequel Les Éternels se plante. Scénaristiquement, les formations d’équipe sont toujours des moments assez ennuyants. Si Avengers parvenait à gérer cela avec audace, humour et conflits d’égo, la même mélodie ne pouvait s’appliquer avec Les Éternels. Ici, il s’agissait de reprendre contact avec des personnes déjà convaincues de l’utilité de sauver le monde de la destruction. Il y a ainsi un énorme creux, un temps considérable perdu à recréer cette équipe, séparée aux quatre coins du globe. Un voyage particulièrement long, où les retrouvailles sont mises en scène sans la moindre finesse. On passera la scène hommage à Bollywood, mal chorégraphiée et aussi peu énergique qu’une limace et la séquence dînatoire et ces dialogues cramés, où le jeu des acteurs est pitoyablement pathétique (je suis triste alors je laisse tomber ma tarte par terre, je m’assois et pose la main sur ma tête pour paraître dévasté). Le pire est ailleurs.
L’exemple le plus poussif est le retour de Phastos, expéditif. Il nous est présenté dans la seconde partie comme un héros brisé par l’utilisation de ses créations par l’Homme. L’origine de cette souffrance trouve sa source en 1945. L’armée américaine tire parti de sa bombe atomique pour détruire la ville d’Hiroshima et gagner la guerre. Pour comprendre son refus devant Ikaris et Sersi de reprendre la lutte, le film utilise le procédé du flashback. Or, ce flashback est mal-amené parce que la dualité entre son devoir envers l’humanité et l’immensité de son pouvoir n’est jamais développée en amont, à la pleine mesure de son conflit intérieur. Ainsi, les scénaristes nous collent maladroitement une scène introductive à son malheur, derrière un affreux fond vert, qui ne dégage aucune émotion. Y intégrer une séquence plus longue, quelques heures avant le lancement de la bombe, aurait faciliter la transition et mis au premier plan les enjeux de Phastos de manière plus convaincante, plus violente, plus intimiste. Et puis, entre le flashback et la décision de Phastos de revenir, il s’écoule un temps ridiculement court de cinq minutes. Émotionnellement, comment peut-on prendre au sérieux un revirement de situation si rapide ? En réalité, Phastos était un des personnages, avec Druig, les plus intéressants de cette équipe par leur incapacité à agir. L’un, car ses créations sont utilisées à mauvais escient, l’autre, frustré de ne pas pouvoir contrôler les esprits pour régler les conflits mondiaux. Mais Ikaris et Sersi prennent trop de place au sein du récit et c’est le défaut majeur du film : son incapacité à gérer autant de protagonistes, de leur donner suffisamment de force pour envelopper la narration d’une émotion pure, de dilemmes costauds et les assumer jusqu’au bout, sans tomber dans le déjà-vu ou le cliché, ce qui est le cas…

Enfin, on peut déjà se poser la question : pourquoi confectionner une telle arme, en sachant le pouvoir destructeur de celle-ci ? L’évolution de l’Humanité, en partie confiée aux Éternels, devait-elle passer par l’imagination d’armes destructrices ? Bien entendu, Phastos n’est pas responsable de tous les maux de l’Homme, de son intelligence parfois dévastatrice et de sa folie barbare, mais le développement de la bombe atomique pose là un énorme problème sur la « gérance » du monde par les Éternels et leur impact sur notre Histoire.

Ikaris et Sersi, un couple déchiré

Avec le personnage d’Ikaris, Marvel Studios avait les moyens de lancer son propre « Injustice » et couper l’herbe sous le pied de la Warner et DC Comics. A leur échelle, Les Éternels pouvait ouvrir une véritable brèche, épique et unique. Cependant, la manière trop manichéenne de construire la vision de certains personnages ainsi que la narration du film, facilite la réalisation d’un long-métrage peu ambitieux. La promo du film tentait de nous convaincre que Les Éternels serait une production novatrice (notamment par la présence de Chloé Zhao), il n’en est rien. En effet, les scénaristes devaient voir plus loin, beaucoup plus loin… Avec Ikaris, ils en avaient la possibilité. Car une fois le constat posé « L’Homme ne mérite pas de vivre versus L’Humanité mérite de survivre », que fait-on ?

Pièce maîtresse de la division des Éternels sur cette question, Ikaris sera rejoint par Sprite (amoureuse de lui, cliché numéro 1 !), tandis que Kingo décidera de ne plus prendre part au ce conflit estimant Ikaris trop puissant. Sersi, Théna, Druig et Makkari, eux, continueront la lutte. Mais au lieu de nous exposer des réflexions fortes, un raisonnement philosophique de la vie ainsi que la condition humaine et un conflit émotionnellement intense et des alternatives dévastatrices (tuer Ikaris pour que le monde survive, par exemple), Les Éternels se contente d’une succession de clichés, ne prend aucun risque et reste dans une zone de confort fatigante. Si le spectateur ne s’attendait pas à une fin à l’image d’Infinity War, il ne s’attendait pas non plus au cliché suprême où Ikaris finit par demander pardon avant de prendre la fuite.
Les vrais enjeux étaient à portée de main. L’épicentre de la tragédie narrative, n’est pas la menace du Céleste qu’on sait vaincu à l’avance, mais bel et bien la relation entre Ikaris et Sersi. Car quitte à les mettre en avant au détriment des autres, autant le faire à fond. Depuis le début du film, dès le premier plan, on nous présente un couple pour lequel le spectateur est, pas à pas, pleinement investi. Une grande partie de la dramaturgie du long-métrage de Chloé Zhao reposait sur ce duo qui, même séparé, continuait à garder une tendresse infinie l’un envers l’autre. Cet amour devait être le point d’orgue d’un conflit intime et torturant, pour Circé, et pour le reste de l’équipe qui adulait Ikaris.

Et pour le reste ?

Reconnaissons néanmoins quelques partis pris séduisants.
Outre cette première partie enivrante, Les Éternels n’hésite pas aussi à sacrifier ses héros. La mort d’Ajak, tuée froidement par Ikaris, reste un des moments surprenants, tout comme la trahison bouleversante de ce dernier, et le décès au combat de Gilgamesh pour protéger Théna. Une réserve toutefois, sur l’aspect émotionnel de ces disparations. On en revient à cette fameuse problématique de centrer un film autour d’un trop grand nombre de personnages principaux. Difficile d’avoir une attache émotionnelle, de ressentir une réelle tristesse pour la mort de deux personnages, pour lesquels le temps d’écran fut minime.

En parlant de temps d’écran, parlons de Théna.
Héroïne complexe en raison d’une maladie appelée Mahd Wy’ry qui prend possession de son esprit, Théna est la Déesse de la Guerre, une guerrière puissante et implacable. Si l’intérêt de la « double-personnalité », d’avoir dans l’équipe un électron imprévisible est séduisant, là encore, tout ceci est traité avec beaucoup de superficialité. Chloé Zhao effleure un problème, sans jamais s’y confronter vraiment. Est-ce par manque de temps ou par manque d’imagination pour conclure cette sous-intrigue ? Dans les deux cas, si on intègre un élément à l’histoire, qu’on le greffe à un personnage, il faut que cet élément serve le récit, apporte du poids à la narration. Or, le Mahd Wy’ry n’est qu’un prétexte pour combler le film de quelques scènes d’actions supplémentaires qui, à l’arrivée, ne produit aucune finalité à la structure dramaturgique mise en place depuis sa première apparition au Mexique.

De plus, il est assez navrant de constater qu’Angelina Jolie soit si peu présente au sein de la production Marvel. Le traitement de son personnage est si peu respecté, la caractérisation de son personnage si peu estimée, qu’on évince en un tour de bras les traits pourtant captivants de sa personnalité et de cette maladie intérieure incurable. Toutefois, elle s’offre une séquence finale à la hauteur de la réputation de son personnage, redoutable.

En somme, à vouloir faire de Les Éternels un cocktail entre Avengers et Infinity War (et ça sera certainement le même problème sur Spider-Man No Way Home), le film s’embourbe dans une dynamique entre longueurs scénaristiques et moments épiques enivrants, mais en oublie parfois d’avoir sa propre narration.

Visuellement, Chloé Zhao ne révolutionne pas la machinerie Marvel Studios. Indéniablement, tourner dans des décors naturels offre une imagerie plus authentique et ces plans aboutissent à un ensemble charmant, où la profondeur de champ fait émerger toute la grandiloquence des Éternels et de leurs actions. Cette notion de grandeur, ce rapport d’échelle, on la retrouve aussi dans les scènes avec Arishem. La place du Céleste à l’écran est si vertigineuse qu’elle en devient angoissante, terrifiante même.

Il y a également d’autres fulgurances esthétiques et visuelles comme cette séquence d’action sur la plage entre Ikaris, le Déviant et les Éternels. Le pouvoir de la super-vitesse, en autre, maintes fois imagé à la télévision et au cinéma, est certainement le plus difficile à mettre en scène. Chloé Zhao parvient à offrir à Makkari une scène savoureuse de course autour du globe et de combat contre Ikaris, au travers un délire optique filmé avec une vitalité et une férocité sans égal. Le duel entre Makkari et Ikaris rappelle d’ailleurs l’affrontement entre Superman et Zod dans Man of Steel,Zack Snyder alternait, entre chaque coup de poing, entre gros plan et plan éloigné, sorte de zoom/dézoome brutal.

Un film pour rien ?

Si Shang-Chi 2 est déjà dans les cartons chez Marvel Studios, annoncé quelques jours seulement après sa sortie, pour Les Éternels il semblerait que cela soit une autre affaire. D’après la production, Les Éternels 2 ne serait envisagé pas malgré un « Les Eternels reviendront… » en fin de générique et une scène post-générique qui laissaient entrevoir un second opus. On se questionne désormais sur l’intérêt de produire un tel film, avec un cliffhanger aussi puissant, si ce n’est pas pour assister à la suite de leurs aventures. Car, si on part du principe qu’aucun autre film sur les Éternels ne verra le jour, si on part du principe que nous ne reverrons pas les personnages ailleurs, si on part du principe que cet univers dépeint ne sera plus jamais exploité, en tant qu’objet cinématographique Les Éternels est un film pour rien. Il ne pose aucune nouvelle base concrète et ne raconte rien de plus que la configuration par les Célestes de la vie et la mort de certaines planètes. Le long-métrage super-héroïque n’a même pas d’identité propre, puisque pour cela il faut avoir un début, un milieu et une fin fermée.
Que faire de ces héros pour la suite, si ce n’est pas pour les revoir ? Seront-ils intégrés dans un futur film Avengers ou la menace des Célestes viendra-t-elle se greffer à celle de Kang ? Tout cela est encore flou et cette manière de procéder devient partiellement ennuyeuse.

Conclusion

Décidément, cette phase 4 démarre difficilement.
Les Éternels est un film intimidé par sa grandeur et sa narration, trop dense, gesticule dans tous les sens, parfois sans le moindre impact.
Le plus étonnant, c’est l’originalité dont peut faire preuve Marvel lorsqu’il s’agit de produire des séries télévisées. WandaVision ou Loki sont la preuve que les studios savent se réinventer, créer de nouvelles sensations, innover. Alors, cinématographiquement, qu’est-ce qui coince ? Une formule trop calibrée, une vision étriquée du cinéma et la peur que le public ne suive pas ? A terme, sans ses figures de proues, Marvel Studios va devoir trouver des solutions pour continuer à fidéliser un public mitigé par l’arrivée de nouveaux héros et peu emballé par les successions de suite à des films qui ont été des échecs critiques (Black Panther / Captain Marvel).

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