JURASSIC WORLD – LE MONDE D’APRÈS : ENTRETIEN RÉTROSPECTIF ET CINÉMATOGRAPHIQUE AVEC LA VOIX FRANÇAISE DE CHRIS PRATT, DAVID KRÜGER

David Krüger fait partie de ces comédiens à la voix unique. Si son timbre est reconnaissable entre mille, il est vocalement inimitable. Dwayne Johnson, Michael Shannon, Ed Helms ou encore Chris Pratt, David Krüger chatouille nos oreilles depuis plus de 35 ans en prêtant sa voix à des acteurs américains prestigieux ou des personnages fictifs emblématiques de notre enfance. Avec sa voix rauque, il donne une force vocale et une énergie débordante à ses « héros » du 7ème art, toujours avec une volonté féroce d’offrir le meilleur doublage aux spectateurs français.

À l’occasion de la sortie au cinéma de Jurassic World – Le Monde d’Après le 8 juin prochain, David Krüger s’est livré à quelques confidences rétrospectives de ses meilleurs doublages avec l’acteur Chris Pratt et se confie aussi sur l’état du cinéma américain, sur ses plus beaux souvenirs de cinéma et la façon dont il perçoit l’évolution à Hollywood de l’interprète de Star-Lord.

LES GARDIENS DE LA GALAXIE

« Chris Pratt a un œil qui pétille. Il a toujours cette espèce de lumière drolatique dans le regard ».

Depuis Les Gardiens de la Galaxie en 2014, c’est vous qui doublez de manière régulière l’acteur Chris Pratt. Avant vous, plusieurs comédiens se sont succédés. Qu’est-ce qui a motivé ce changement selon vous, est-ce votre voix grave ?
Ce n’est pas ma voix grave qui, je pense, est interpellée le directeur artistique mais plutôt lorsque je suis dans la légèreté de ma voix. Ce métier, c’est aussi une question d’énergie. Il m’arrive d’être surexcité, d’avoir parfois une folie dans mon comportement. Peut-être que c’est également cela qui lui a fait penser à moi pour ce rôle. En l’occurrence, au départ, j’étais venu passer des essais pour Rocket. Après cet essai, il m’a demandé de doubler Star-Lord. 3 semaines plus tard, j’ai reçu un texto pour me dire que j’avais été confirmé pour Peter Quill. Donc, j’ai été sélectionné très simplement, par casting.

Avec le personnage de Star-Lord, Chris Pratt s’éclate. Il a un œil rieur, coquin. Est-ce qu’on se sert de ce regard-là pour retranscrire au mieux la personnalité légère et humoristique de Star-Lord ?

Je le dis différemment mais oui, effectivement, Chris Pratt a un œil qui pétille. Il a toujours cet espèce de lumière « drôlatique » dans le regard et, on s’attend toujours, même dans des films plus sérieux comme Les 7 Mercenaires, à ce qu’il y ait une petite réplique ou une façon de jouer sa réplique qui va venir tordre le côté sérieux, amener de l’humour. C’est d’ailleurs ce que j’aime chez lui. […] On ne se sert que des yeux pour doubler n’importe qui. 95% des émotions passe par les yeux. Les yeux s’expriment énormément. Il y a toute la vie des gens dans les yeux. C’est pour cela aussi que j’avais réalisé une série de photos centrée sur les yeux d’inconnus, il y a quelques années. Cette lumière de vie, cette fantaisie, ou qu’importe, passent par les yeux. Et, immanquablement, à l’écran, ça passe aussi par là. Quand on est dans l’œil de l’acteur, ça aide à jouer.

Les Gardiens de la Galaxie est aussi un film basé sur la comédie. Est-ce qu’au niveau du rythme, l’humour est difficile à doubler ?
Non. Mais je crois que l’humour c’est avant tout une question de rupture. Pas que l’humour, d’ailleurs. Dans le drame, il y a également des ruptures. Ça peut être un silence, par exemple. Les ruptures servent à exprimer les choses. Il y a beaucoup de ruptures dans le comique certes, et lorsqu’on parvient à les choper, c’est merveilleux. J’adore ce principe de la rupture. Pour moi, sans prétention, c’est relativement simple. J’ai été biberonné à Louis de Funès. S’il y a bien un comédien qui est dans la rupture, c’est lui. C’est comme en musique, j’aime tout ce qui est syncope, qui va à contre-temps ou relève le temps. Je pense que les ruptures dans l’acting sont ce qu’est la syncope en musique, un supplément d’âme qui permet de casser un rythme pour apporter l’humour.

On sent que vous aussi, vous prenez plaisir à jouer Star-Lord…
Je prends énormément de plaisir à le faire. Je crois qu’au niveau énergétique, on correspond à certains acteurs. Le voice-matching, ça vient après. Quelque part, étrangement, ce n’est pas le fait que notre voix va coller à un acteur qui va être déterminant, mais l’énergie qu’on va dégager. Il y a une part de moi, dans mes sauts d’humeurs ou lorsque je fais le clown dans la vie, qui fait que l’énergie de Pratt est proche de la mienne. Donc oui, je prends du plaisir à être dans cette énergie-là. Je repense à Dwayne Johnson. Avec lui, c’est une autre part d’énergie de moi. Vocalement, je tombe plus dans les graves, c’est une énergie plus lente mais elle me correspond aussi.

Est-ce que pour les parties comiques du film, vous vous laissiez aller à l’improvisation, tant au niveau de l’écriture que du rythme vocal ?
On ne peut pas changer la moindre virgule sur un film de cinéma. C’est impossible. C’est dommage car quelquefois, les uns et les autres, nous avons notre propre vocabulaire. […] Le texte pour les films ciné sont validés par les clients, le DA, etc.. mais interdit d’y toucher. Comme si c’était la Bible ou un texte sacré. C’est assez étrange. C’est rare, mais ça peut arriver. Donc, il serait là possible de rajouter des mots, d’en enlever, de changer. Je peux être gêné de temps à autre car, l’auteur écrit super bien, tout est sychrone, mais là encore et j’en reviens au rythme, la rythmique du comédien, sa vitesse d’élocution, est difficile à respecter car il y a toujours 10% de mots de plus, de l’anglais vers le français, pour dire la même chose. Pour autant, la langue française est très riche et il y aurait la possibilité, rythmiquement, de conserver le même rythme que l’original. Parfois, ce n’est pas le cas et on se met à parler très vite sur une phrase alors que l’acteur (en anglais) parle plus doucement. Ça crée une distorsion dans l’énergie de la scène, qui peut être dommageable. Rien n’est parfait de toute manière et nous faisons tous le meilleur boulot possible, quel que soit le poste. Chacun y met tout son cœur.

Il y a 4 ou 5 scènes sur Les Gardiens 1 & 2, sur lesquelles j’ai rajouté des mots. Parce qu’il arrive, rarement, qu’il manque des mots. Ce sont des petits mots, ce qu’on appelle des chevilles qui peuvent lancer la phrase ou la terminer. Par exemple des « ok, bon, d’accord ». Ça redonne un coup de punch et relance la phrase, la scène. Et ça été conservé. Je me souviens d’une scène en particulier, dans le premier opus, où Drax veut tuer Gamora et que Star-Lord tente de l’en empêcher. Il raconte son histoire, celle de l’origine de toutes ces cicatrices, et dans la rapidité de son action, il manquait des petites chevilles, 2-3 mots, qui m’aidaient à suivre l’œil de Pratt et son intensité.

Vocalement, je suis engagé pour être le plus fidèle possible à ce qui se fait en version originale. Évidemment, il y a certaines façons de phraser ou de dire les phrases qui ne sont pas les mêmes d’une langue à l’autre. Je dois me rapprocher le plus possible de ce que fait l’acteur, à la fois vocalement, énergétiquement, et au niveau des intentions. On peut faire des propositions, bien sûr, et c’est le directeur artistique qui prend la décision finale. Avant moi, il y a eu le travail de toute une équipe et des millions de dollars investis, et je ne m’autorise pas le droit à trahir ce travail et cette production, ni à trahir les comédiens et l’histoire.

Un souvenir sur le doublage des Gardiens de la Galaxie ?
J’ai été très ému par la mort de Yondu. La relation père/fils, vu ma vie personnelle, m’atteint directement et m’émeut beaucoup.
Puis, je suis très impressionné par les effets spéciaux. Il y a cette scène dans le second opus où ils combattent un monstre inter-dimensionnel, où nous, au doublage, nous n’avions pas les VFX terminés. J’ai eu le sensation que 90% de cette séquence est faite en images de synthèse. Quand on voit le film, après, c’est fabuleux de voir les progrès considérables qui ont été faits en matière d’effets spéciaux.

LES SEPT MERCENAIRES

Vous avez également doublé Chris Pratt dans le remake de « Les 7 Mercenaires ». Est-ce que vous êtes friand du genre western au cinéma ?
Tous les genres me plaisent. J’ai simplement du mal avec les films d’horreur, du genre films comme Saw ou Massacre à la tronçonneuse parce que ça me fait peur (rire). Ça me tord les boyaux et, en plus, c’est de l’humain qui attaque de l’humain… Je ne peux pas regarder ça.
[…] Les 7 Mercenaires, a marqué ma jeunesse. 30 ans plus tard, on t’offre la chance de doubler un des 7 Mercenaires, d’être le rigolo de la bande, c’est agréable. Modestement, tu as l’impression de faire partie de l’Histoire du cinéma. J’ai adoré ce doublage, mais je dois avouer que j’ai tout de même du mal avec le principe de refaire des chefs d’œuvres.

« The Revenant n’a aucun intérêt et, surtout, fait montre de la pauvreté créative et scénaristique d’Hollywood depuis quelques années ».

Vous parliez de remake, pourquoi vous n’aimez pas qu’on reboot des films ?
J’ai un problème avec les remakes, avec l’idée de refaire des chefs d’œuvres. En 1977 est sorti un très grand film qui s’appelle « Le Convoi Sauvage » et il y a quelques années, un remake a vu le jour : The Revenant avec Leornado DiCaprio. D’après moi, cette nouvelle version est moins bonne que le film original. The Revenant n’a aucun intérêt et, surtout, fait montre de la pauvreté créative et scénaristique d’Hollywood depuis quelques années. Il n’y avait aucun besoin de refaire ce film. Évidemment, 40 ans après, la jeune génération ne se souvient plus du Convoi Sauvage. De la même manière que je suis très déçu de la part de Spielberg d’avoir refait West Side Story. Inutile. On ne refait pas des chefs d’œuvres ! On ne refait pas les péplums, on ne refait pas E.T de Steven Spielberg on ne refait pas en peinture le sacre de Napoléon par David, on ne refait pas la Mona Lisa, on ne touche pas aux chefs d’œuvres. On apprend aux jeunes générations qu’il existe des chefs d’œuvres, qu’il serait bon qu’ils en prennent connaissance et qu’ils s’y intéressent, qu’ils voient l’Histoire car ces chefs d’œuvres (sculpturaux, picturaux, cinématographiques…) racontent une époque. C’est pour ça que c’est formidable ! […] Le cinéma mondial actuel est d’une grande médiocrité, de plus en plus. Il faut aller vers le cinéma d’art et d’essai pour avoir des claques cinématographiques. Au niveau scénaristique, aujourd’hui, le cinéma s’appauvrit.

« On ne refait pas Chantons sous la pluie. Ça serait une hérésie ».

On ne refait pas Chantons sous la pluie. Ça serait une hérésie. Parce qu’il n’y a plus de Gene Kelly, de Debbie Reynolds ou de Donald O’Connor, parce qu’il n’y a plus d’artistes complets comme eux. Quand le monde tente de refaire des comédies musicales, ça donne La La Land que j’ai trouvé vraiment mauvais. Les gens crient aux génies parce qu’ils manquent de plus en plus de cultures, plus en plus de références… Je vous en supplie, voyez « Beau fixe sur New-York », « La Belle de Moscou », « Un Américain à Paris », voyez ce que c’est qu’une vraie comédie musicale avec des gens qui savent chanter, qui savent danser, qui savent jouer.
Si un jour, un mec décide – par manque d’imagination de réaliser un remake de « Rencontre du 3ème type » -, je le jure je fais une pétition mondiale. Ce film est d’une splendeur !

JURASSIC WORLD

Quel est votre rapport avec la saga Jurassic Park et qu’avez-vous pensé de cette suite relancée avec Chris Pratt dans le rôle-titre ?
À l’époque de sa sortie, j’avais trouvé ça extraordinaire, passionnant. Je trouvais déjà que les effets spéciaux étaient incroyables. Je les ai revu récemment et quelle qualité d’images et d’effets pour ces années-là. J’ai un très bon souvenir de cette première trilogie, et j’ai donc adoré participer à cette nouvelle trilogie. En tant que suite, j’ai trouvé ça remarquable. Comme je l’ai dit, j’ai davantage mal avec les remakes mais si les suites sont bien faites, alors ça me va. S’il avait refait Jurassic Park, ça m’aurait profondément déplu. […] C’était amusant de pouvoir doubler et parler avec des dinosaures. Dans ma carrière, je n’aurais jamais imaginé pouvoir participer à ça, à mon petit niveau, et avoir la chance de m’adresser à des dinosaures.

Dans les films Jurassic World, lorsque Chris Pratt s’adresse aux dinosaures et notamment à Blue, il utilise une gestuelle particulière : bras tendu, main en avant, comme pour les calmer, les apaiser. Derrière votre micro, vous utilisez aussi cette gestuelle pour vous aider à rentrer dans la scène ?
Pas les mêmes, mais physiquement il se passe quelque chose oui. On fait toujours une certaine gestuelle pour s’aider. Nous avons peu d’espace dans la pièce où nous enregistrons et il faut faire attention au niveau du micro qui capte tous les bruits. Donc, on va davantage s’aider du dos, des épaules, des bras. Surtout dans les scènes d’action. Ça va porter le jeu et l’interprétation.

LA CARRIÈRE DE CHRIS PRATT

« […] Il pourrait décrocher un Oscar ».

Pour vous, quel a été le meilleur rôle de Chris Pratt à ce jour ?
Passengers. En tous cas, c’est celui que je préfère. Je pense qu’avec le temps et l’évolution du monde, Passengers aura une seconde vie. Je peux me tromper, mais j’en reste persuadé. Philosophiquement, le film est très puissant. Sur le droit de vie ou de mort de quelqu’un, des questions sur les relations humaines, la solitude, sur le voyage. Ce film est important. Aujourd’hui, les gens s’attendent à des grosses explosions, à des héros qui se battent, Passengers lui est un film lent, doux. Chris Pratt y est poignant, sincère, il a une vraie souffrance, il fait face à des dilemmes. C’est d’ailleurs un des rares films que j’ai vu avant de le doubler. A la fin de la projection, j’étais dans l’attente et excité de travailler dessus.

Il y a beaucoup de silences dans le film…

Oui, c’est remarquable ! Enfin, du silence ! Et un film qui n’est pas explicatif. Car ça aussi, c’est un fléau, ce besoin de tout expliquer. On prend trop souvent le public pour des idiots, je ne crois que les gens ont besoin qu’on leur explique la situation, ils n’en ont pas envie. Ce silence est extraordinaire et c’est pour ça que j’aime ce film. À ce propos, un des plus beaux films que j’ai vu jusqu’à aujourd’hui c’est « Les Éléphants » d’Emmanuel Saada, une parabole sur la vie. Dedans, il y a 15 phrases, à peine. C’est sublime ! J’aurai aimé participer à ce projet. Emmanuel organisait des dîners avec tous les comédiens du film et leur donnait pour « ordre » de manger en silence. C’était un exercice de préparation et je trouve cette méthode géniale. Puis, ça recrée du lien. Plus il y a de silences, plus il y a de liens. Voyez ce film !

Comment vous voyez l’évolution de Chris Pratt au cinéma ?
Pratt a une carrière incroyable. Cependant, j’aimerais le voir plus souvent dans des rôles à contre-emploi. D’ailleurs, ça commence un peu comme dans la série « The Terminal List », qui sortira prochainement sur Amazon Prime. Il a un rôle sombre, de bout en bout. Il devrait continuer à aller là où on ne l’attend pas. Quitte à prendre un vrai rôle de méchant, un rôle de salaud impardonnable. En faisant cela, il pourrait décrocher un Oscar. Quoi qu’il en soit, j’espère pouvoir suivre Chris Pratt le plus longtemps possible.

Jurassic World – Le Monde d’Après sortira le 8 juin prochain.

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