SIMONE, LE VOYAGE DU SIÈCLE : VEIL(LER) SUR LE DROIT DES FEMMES (ENTRETIEN AVEC L’ÉQUIPE DU FILM)

Mercredi 12 octobre, le réalisateur Oliver Dahan dévoilera son portrait cinématographique de Simone Veil. Avec Simone, le Voyage du Siècle, le cinéaste livre une fresque quasi romanesque de l’une des figures emblématiques de l’Histoire de France, réalise une lettre d’amour à celle qui a longtemps veiller sur le droit des femmes, à leur dignité. Ce film, à la portée pédagogique nécessaire, confirme la place importante de Simone Veil dans le paysage politique français mais aussi européen et met en lumière le combat quotidien d’une femme qui a aussi connu les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale et des camps d’extermination.

Olivier Dahan, Elodie Bouchez ainsi que les interprètes de Simone Veil, Rebecca Marder et Elsa Zylberstein, se confient ensemble sur la préparation du film et les difficultés d’interpréter un rôle comme celui-ci.

« Olivier ne tenait pas à ce que je sois dans l’imitation » – Rebacca Marder.

Simone, le Voyage du Siècle table sur plusieurs chronologies. Pour incarner la grande figure féminine et historique qu’était Simone Veil sur les deux temporalités du film, deux actrices ont été choisies : Rebecca Marder et Elsa Zylberstein. Deux comédiennes impeccables, brillantes, qui portent le poids d’un hommage, d’un héritage, avec beaucoup de rigueur et d’intelligence dans le jeu.
Une longue préparation fut nécessaire pour parvenir à capter chaque sourire, chaque regard, chaque intonation, chaque petite attitude comme l’explique Rebecca Marder : « Nous avons beaucoup échangé avec Olivier, et cela à de multiples reprises. Des séances où nous échangions autour d’elle. Olivier m’a conseillée d’écouter sa voix plusieurs heures par jour. Puis, sur le tournage, Olivier ne tenait pas à ce que je sois dans l’imitation. Pour la partie que j’incarne, entre ses 15 et 37 ans, nous avons moins de témoignages vidéos/audio. Il tenait donc à ce que l’on garde une certaine sauvagerie de la jeunesse ».
Sur le tournage, tous les gestes étaient millimétrés. Le réalisateur Olivier Dahan a le souci du détail. Sa mise en scène est calibrée afin de ne rien laisser au hasard et ne jamais compromettre la réalité physique et celles des gestes :

« Une fois sur le plateau, Olivier, en très peu de mots, chorégraphiait beaucoup les scènes. Il aime les plans séquences. Il y a un côté assez théâtral, il laisse le jeu couler. On les a alors chorégraphiées en amont et, parfois, il me disait : « Peut-être que sur ce mot là, Simone baisse le menton et lève les yeux ». Il est vrai qu’elle évolue, c’est la seule femme de Science Po au milieu d’hommes et, peut-être qu’elle a développé une carapace avec son corps, qu’elle est plus petite que les hommes qui l’entourent ce qui l’oblige à lever la tête et à les affronter par le regard. Celui qu’on connaît aujourd’hui, tellement puissant. Ensuite, il y avait tout un travail sur le maquillage, de prothèses, pour moi et Elsa. De mon côté, j’avais des prothèses sur les paupières, les yeux, le nez, la bouche et le menton ».

« Je devenais obsédée par ça » – Elsa Zylberstein.

De son côté, Elsa Zylberstein, qui incarne une Simone Veil plus âgée et dans sa période politique, dévoile la manière dont elle s’est emparée de ce rôle : « Je me suis préparée pendant un an pour avoir une pénétration intime avec Simone. J’ai aussi pris 9kg, répété avec coach, observé et regardé un tas de documentaires. Ça ne peut pas se préparer en un mois. C’est quelque chose qui doit infuser lentement. Si ce n’est que le maquillage, ce n’est pas important, tout le monde peut être maquillé. C’est plutôt comment les discussions, les réflexions, viennent nourrir mon jeu. Je devais rentrer dans ses chaussures, dans sa respiration. La femme publique, la femme intime, tous les moments où elle est en privée, tous les moments où elle fait des discours, ce sont des manières de parler différentes. Il a fallu étudier tout ça. C’était vraiment, comme je le disais, à la respiration près, aux battements de cils près. Ensuite, bien-sûr, il s’agit d’une interprétation, mais dans un cadre précis. À nous de trouver une liberté dans ce cadre et de l’incarner, devenir elle. Il n’y a pas de hasard dans les rôles, il y a toujours des parts invisibles de nous-mêmes qui s’expriment, des fils intimes ».

Un travail d’interprétation assidu, qui se ressent à l’image. Elsa Zylberstein est Simone Veil (au même titre que Rebecca). Une métamorphose lente devenue une obsession : « […] À force de travailler, je devenais obsédée par ça. Il n’y avait plus de séparation entre elle et moi. C’était comme deuxième vie » conclut-elle.

Si le maquillage n’est pas un support sur lequel l’actrice s’est appuyée dans son jeu, il était néanmoins une partie indispensable à la construction du personnage pour l’habiter complètement : « Il était hors de question que je prenne le rôle sans maquillage et prothèses. En tant qu’acteur, tout nous aide. Que ce soit le costume ou le maquillage. Mais le plus important c’était vraiment d’avoir une adéquation entre l’intime et l’extérieur. Ce n’est pas que le maquillage. En revanche, oui, sur un personnage connu comme Simone Veil, je souhaitais qu’on m’oublie totalement ».

« Il y a une certaine pression à incarner des personnages emblématiques, qui ont réellement existé. Avec Simone Veil, nous voulions être à la hauteur de la figure historique qu’elle est. C’est intimidant mais c’est décomplexant lorsqu’Olivier nous disait d’aller chercher la part intime qu’il y a en nous parce que c’est aussi un hommage » – Rebecca Marder.

Un voyage pédagogique

Tout le monde connaît Simone Veil pour son combat acharné pour le droit à l’avortement. C’est ce que l’Histoire retiendra. Pourtant, ses combats ne sont pas arrêtés à la loi sur l’IVG. Dans le film d’Olivier Dahan, nous apprenons aussi que Simone Veil a largement contribué à la dignité des hommes et des femmes dans les prisons en France et en Algérie, ouvert des bibliothèques dans les prisons ainsi que des maisons médicales, aidé les personnes alcooliques et drogués avec la création de centres, crée un statut d’assistante maternelle… Une œuvre qu’on pourrait alors qualifier d’œuvre pédagogique. C’était l’un des objectifs de Simone, le Voyage du Siècle, être un portrait pour dévoiler l’importance de tous ses combats. Avec la récente suppression de l’IVG aux États-Unis et la remise en cause permanente du droit des femmes à travers le monde, ce film est plus nécessaire que jamais : « Je ne pensais pas à Simone Veil comme une personne mais plutôt comme une idée. Ce qui comptait c’était la justesse du portrait, du sentiment général et sa cohérence. Je déteste d’ailleurs le mot de biopic, je préfère le mot portrait. Les biopics, je trouve ça ennuyeux pour des raisons de reconstitution. Ce qui est intéressant, dans un portrait, c’est ce qu’on veut dire avec. Ici, qu’est-ce que j’avais envie de raconter de Simone Veil ? Il faut respecter la personne, l’avoir comprise autant se faire que peut et, après, le mélanger avec soi-même et ce qu’on veut raconter en tant que réalisateur. Je ne raconte pas toute la vie de Simone Veil, je prends des morceaux très choisis, pour dire quelque chose de très spécifique sur le monde d’aujourd’hui ».

« Je marche à l’intuition » – Olivier Dahan.

La vie de Simone Veil est riche. Le travail d’adaptation est toujours un exercice complexe. Une construction narrative et des choix scénaristiques que le cinéaste expose : « Ça se fait au scénario. Puis, ensuite, au montage. Le tournage, c’est important mais ce n’est pas le plus déterminant à mon sens, en tant que réalisateur. L’écriture et le montage, qui sont sensiblement la même chose, c’est là que tout se joue. Car il s’agit de retranscrire la clarté sur ce qu’on pressent. Je marche à l’intuition ».

Les camps de la mort

« Il y avait toujours, dans la journée, des gens qui pleuraient » – Elodie Bouchez.

Impossible de réaliser un portrait sur Simone Veil sans parler de l’horreur des camps de concentration. Envoyée à Drancy en avril 1944 puis, quelques jours plus tard à Auschwitz avec sa sœur Milou (Judith Chelma) et sa mère Yvonne (Elodie Bouchez), Simone Veil a côtoyé et a vu la mort de près. Des séquences saisissantes, poignantes, qu’Oliver Dahan a tournées à Budapest, dans des décors effrayants de réalisme qui nous plongent avec une grande émotion au sein des camps de concentration allemands, où ont régné les pires atrocités commises par l’Humanité. Une retranscription si authentique, qu’elle fut émouvante pour les actrices. Elodie Bouchez raconte :

« Ce fut très spécial pour nous de tourner ça. On alternait parfois entre euphorie et profonde tristesse. Mais pas que pour nous. L’équipe technique aussi. Parfois, on voyait le perchman pleurer. Il y avait toujours, dans la journée, des gens qui pleuraient. C’était chargé émotionnellement. Mais on savait que ça serait dur. En même temps, c’était assez cathartique ».

« En rentrant à Paris, j’ai eu la sensation d’avoir vécu 3 semaines avec un filtre noir » – Rebecca Marder.

Un choc aussi pour Rebecca Marder, qui a continué de marquer la jeune comédienne même après la fin du tournage : « C’est toujours délicat d’évoquer cette période de l’Histoire car il y a tellement eu de films sur la SHOAH. Le sujet a été traité sous toutes ses formes et, arriver en se disant qu’on va jouer dans ce décor, on se demande si ce n’est pas obscène de prétendre reconstituer le pire de l’Histoire. Au bout de 20 min, alors que j’ai eu un choc en arrivant, on s’aperçoit finalement qu’on est tous là pour se souvenir. C’est beau. Nous étions là, comme une prière géante de 400 personnes. En rentrant à Paris, j’ai eu la sensation d’avoir vécu 3 semaines avec un filtre noir ».

Rebecca Marder, Élodie Bouchez et Judith Chelma forment, par ailleurs, un trio attendrissant, touchant, qui émeut. L’actrice Elodie Bouchez se confie sur sa collaboration avec ses partenaires et la façon dont elles ont travaillé ensemble pour rendre crédible cette famille : « Lorsqu’on a du bon matériel, un bon scénario, rien n’est trop difficile. Il devient assez évident de créer les liens qui existent à l’écriture. Ensuite, spécifiquement entre Rebecca, Judith et moi, j’ai le souvenir, en tout cas c’est l’image physique que je garde de ce travail avec elles, nous avons tenté d’imaginer comment ces femmes avaient traversé cela ensemble. Nous étions comme trois petits oiseaux collés l’une à l’autre, à l’image des scènes du train. Jusqu’à la mort. Ça rapproche ».

Simone, le Voyage du Siècle sortira le 12 octobre prochain au cinéma.

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