[INTERVIEW] – RIVIÈRE PERDUE, CONVERSATION ARTISTIQUE AVEC JEAN-MICHEL TINIVELLI : « J’accepte sans problème que certains, même dans le milieu, m’appellent encore le flic d’Alice Nevers »

Crédits : LP / XAVIER LEOTYDroits d’auteur : © Xavier Leoty

Ils sont actuellement les deux à l’affiche de la nouvelle mini-série de TF1 « Rivière-Perdue », Bruno Debrandt et Jean-Michel Tinivelli explorent la télévision depuis plus de vingt-ans. Des parcours différents, mais une vision commune de leur métier. Ensemble, ils reviennent sur la manière dont ils perçoivent le métier d’acteur, la façon dont ils s’approprient des univers et des personnages, mais aussi comment ils appréhendent un tournage. Seconde partie avec Jean-Michel Tinivelli.

« Alice Nevers a néanmoins été une période positive pour moi, un laboratoire d’acteur, où j’ai pu tenter énormément de choses »

Pour vous, c’est quoi être un acteur ? Quelle définition vous en donneriez ?
C’est parfois très difficile pour moi de parler de mon métier. Beaucoup s’y sont essayés et ont eu du mal à l’expliquer. Je pense qu’un acteur est au service du sentiment et de la situation. Ça se traduit alors par de la générosité et donc; par l’écoute de l’autre.
Je n’y parviens pas toujours, mais j’essaie également de me poser les bonnes questions. Être acteur, c’est un mélange de psychologie et d’action. Il y a un temps pour se poser des questions, être dans la réflexion et, un autre pour entreprendre. Un acteur, c’est quelqu’un de curieux – ça devrait l’être en tout cas – qui s’intéresse à tout et à tout le monde. Il faut qu’il soit ouvert à la vie et aimer être en interaction avec les autres. […] Puis, ce métier est un métier où nous sommes perpétuellement remis en question. À 50 ans et plus maintenant, chaque fois que j’entreprends un nouveau rôle, j’essaye de me renouveler. C’est la beauté du métier d’acteur. Nous sommes jamais sur un même rail, une même routine. C’est une chance inouïe. C’est peut-être pour cela que j’ai eu envie d’être comédien. J’avais besoin de m’évader de quelque chose.

Récemment, on a reproché aux artistes de ne pas prendre position sur certains sujets – qu’on n’évoquera pas – mais, pour vous, est-ce qu’un artiste doit forcément donner son avis sur les sujets politiques et sociétaux, est-ce que cela doit faire partie de sa mission ?
À travers le cinéma et le théâtre, nous pouvons nous en servir pour dénoncer, interpeller. Mais je ne suis pas certain qu’il faille à tout prix donner son avis tout le temps. J’ai pris cette option légère de ne poster que des choses qui me semblent amusantes sur mes réseaux sociaux. Néanmoins, quand il se passe un événement dramatique, je peux prendre position. Toutefois, je pense que parler ouvertement de politique ou de géopolitique, ce n’est pas forcément ma place. Attention, ça ne veut pas dire que je n’ai pas mes idées sur tout ce qui se passe. Ma mission première est de divertir. Et si mon métier m’en donne l’occasion, à travers un support de cinéma ou de théâtre là, je n’hésiterai pas. Notre métier sert à ça.

Le rôle iconique de votre carrière à ce jour reste incontestablement celui de Frédéric Marquand dans « Alice Nevers ». Quand on incarne un personnage sur de longues périodes comme celui-ci, est-ce difficile de s’en détacher et d’arriver à tourner la page ?

C’est effectivement compliqué. La question est : sommes-nous obligés de nous en séparer ? D’effacer 14 ans de vie ? C’est comme cette histoire de manteau, qui m’a fait beaucoup rire. Je me rappelle que pour le premier épisode de « Simon Coleman », il fallait à tout prix lui trouver un look, changer de look. Pourquoi effacer tout ce qu’on a fait et jouer l’inverse de ce que j’ai déjà joué ? De fait, je ne me suis pas privé de conserver un manteau identique pour les deux personnages. Ensuite, il faut savoir prendre les bonnes décisions. En ce qui me concerne, le confinement m’a beaucoup aidé. J’avais pris la décision de quitter « Alice Nevers » avant que la série ne s’arrête et cette période, m’a permis de me remettre à zéro, de ne pas repartir directement sur autre chose. Je me suis oublié moi-même.

Jean-Michel Tinivelli a incarné Fred Marquand pendant 15 ans.

« Alice Nevers » a néanmoins été une période positive pour moi, un laboratoire d’acteur, où j’ai pu tenter énormément de choses. Et j’accepte sans problème aujourd’hui que certains, même dans le milieu, m’appelle encore « le flic d’Alice Nevers ».
[…] C’est pour ça qu’il faut avoir le courage de s’effacer et de revenir. J’ai eu cette chance-là. J’ai pris ce temps pendant le confinement. On m’avait d’ailleurs proposé des rôles que j’ai refusés. Je voulais attendre, me faire oublier et revenir avec un autre personnage. C’est personnel. J’ai eu besoin de faire cette démarche. Puis, pour passer à autre chose, il fallait un autre personnage fort. Et Simon Coleman est arrivé…

« Un décor change votre façon d’aborder votre personnage »

Au cours de votre parcours, vous avez eu la chance de pouvoir tourner au cœur de très belles régions de France. Dans « Rivière-Perdue », la série a pour décor les Pyrénées-occidentales. L’environnement peut jouer un rôle clé dans une série ou un film. Ici, c’est d’ailleurs un personnage à part entière. Dans votre travail d’acteur, comment s’approprie-t-on un environnement ? Est-ce que vous prenez le temps en amont, par exemple, de le ressentir, de vous en imprégner ?
En amont, c’est très rare. En télévision, c’est une course contre la montre, nous recevons les textes tardivement et nous sommes ensuite propulsés comme ça dans un décor. Pour les plus angoissés dont je fais partie, ça nous empêchent malgré tout de nous poser trop de questions et d’y aller. Dans « Rivière-Perdue », il est très juste de dire que c’est un personnage à part entière et joue un rôle considérable. Les auteurs s’en servent dans le rythme de l’histoire. […] Après le travail de préparation du rôle, quand je suis arrivé au Vallespir, dans les Pyrénées-Orientales, mon personnage a pris une autre dimension. Je pense que c’est le cas pour tous. Un décor change votre façon d’aborder votre personnage. Vous vous articulez dans le décor et, le fait de respirer tout ce qu’il y autour de soi, vous englobe dans la nature, vous emporte ou non. Puis, je suis un urbain (rire) contrairement à Bruno Debrandt qui ressemble bien à son personnage dans « Le Voyageur ». La nature, lui, ne lui fait pas peur, contrairement à moi. Donc, je m’imprègne de la nature, du décor, au fur et à mesure du tournage. Et je m’en sers. La matière est importante. Là-bas, c’est un environnement très clos, très pesant, avec des familles figées depuis 5 ans dans ce lieu, depuis la disparition de leurs filles. Enfin, ce lieu fermé, finit par s’ouvrir lorsque les enfants réapparaissent. Vous enlevez ces vallées, ces monts, il n’y a plus la même histoire. C’est une magnifique série sur l’espoir.

Je vais lier cette question à une autre. En 2020, vous avez fait un crossover dans « Section de Recherches » avec « Alice Nevers ». Etait-ce difficile de s’approprier l’univers d’une autre série ?
Oui parce qu’ils ont une écriture différente, plus détaillée. Ils ont leur code, leur façon de bouger, une lumière différente, etc. Ce n’est pas simple d’arriver sur un plateau dont on ne sait pas grand-chose. Chaque série policière est unique, les ingrédients sont parfois les mêmes, mais développée et articulée différemment. Notre chance c’est de connaître les autres. C’est toujours mieux de débarquer sur un tournage où vous connaissez la plupart des acteurs et l’équipe technique, vous êtes davantage à l’aise. Et vous devez l’être rapidement car vous n’avez pas le droit de faire perdre du temps à vos camarades. Le challenge était que les deux séries se retrouvent, qu’il y ait un équilibre entre tous les personnages. On en revient à ce que je disais tout à l’heure, il faut beaucoup d’écoute et de générosité.

« Chaque rôle de flic est différent par rapport à ce que vous en faites »

Dans « Rivière-Perdue » vous jouez le commandant Eric Balthus. Encore un flic ! Comment arrivez-vous à donner une couleur différente, à chaque fois, à ces policiers que vous incarnez sur le petit écran ?

Je me suis fait la même réflexion, encore un flic ! Je prends le pari car je sens que ce personnage est différent. Je voulais qu’on m’attende autre part, faire quelque chose à contre-pied. Balthus est taiseux, un pince sans rire, qui ne parle pas beaucoup et surtout pas pour dire des banalités, c’est un stoïque, un observateur. D’ailleurs, je me suis coupé les cheveux différemment et je porte des petites lunettes, c’est un accessoire important. Je me suis construis un personnage. Nous avons aussi beaucoup travaillé le costume que je souhaitais différent. Je me suis mis tout en sombre alors que nous étions en plein été et qu’il faisait extrêmement chaud. Vous voyez directement qu’il ne vient pas d’ici. Souvent aussi, le flic est décrit comme solitaire avec une vie privée et/ou sentimentale chaotique.

Jean-Michel Tinivelli dans le rôle du Commandant Eric Balthus pour « Rivière-Perdue ».

Au contraire, celui-ci a une femme, il est très heureux, il projette de partir à l’étranger pour sa retraite. Il a une vraie solidité. Une force tranquille. Je me suis amusé. Dès lors, chaque rôle de flic est différent par rapport à ce que vous en faites. Il y a le scénario qui compte pour beaucoup, évidemment, mais aussi tout le travail de recherche autour (costume, maquillage…), le passé que vous lui trouvé/inventé, ainsi que le travail d’interprétation (démarche, façon de parler, etc.). C’est peut-être le même métier, mais ce n’est pas le même homme.

Des tournages, vous en avez vécu plusieurs. Qu’est-ce qui vous plaît dans l’ambiance d’un tournage ? Et comment était celui de « Rivière-Perdue » ?
Les autres. Arrivé dans un hôtel, faire connaissance avec l’équipe, rencontrer mes camarades… Puis, la région. Quand vous tournez chez vous à Paris, vous rentrez le soir et il y a une coupure. Quand vous tournez en extérieur, en Province, vous n’en avez pas. Vous ne sortez pas totalement de votre personnage. Sur « Rivière-Perdue », lorsque je regardais par la fenêtre et je voyais ces immenses forêts à perte de vue, je pensais forcément à cette petite fille disparue, qui était là, quelque part. Tu t’imprègnes de tout ça, pour répondre à la question précédente. Vous ne quittez jamais vraiment cette ambiance. Vous passez également votre temps avec tous vos camarades, vous vous faites des tablées et vous discutez, vous partagez. C’est l’atmosphère de troupe qui me plaît. C’est riche et joyeux, à la fois. Après, il vaut mieux s’entendre avec les autres ce qui était le cas sur « Rivière-Perdue ». Sinon, c’est l’enfer. Là, j’appelais les hôteliers papa et maman (rire). J’étais sur le premier et le dernier jour de tournage. Comme les Pyrénées-Orientales sont difficiles d’accès, vous ne rentrez pas sur Paris, vous restez sur place. […] J’en ai profité pour faire quelques balades aux alentours et visiter quelques endroits. En évitant les frelons asiatiques (rire). Il y en a énormément. Pour l’anecdote, Patrick Descamps a eu vraiment chaud mais c’est un costaud, une force de la nature. Il est sur son téléphone, saisit son verre d’eau où est posée une guêpe, ne fait pas attention, boit et se fait piquer. Sa bouche triple de volume pendant la nuit et il n’appelle personne. Il n’a pas osé réveiller les autres. Le lendemain, ça avait dégonflé. Et grâce aux maquilleuses, on n’y voit que du feu.

« Rivière-Perdue » a énormément de qualités scénaristiques. C’est une série qui ose des choses. Quand on accepte un projet en tant qu’acteur, il faut accepter parce que les personnages ou l’histoire nous touchent. Qu’est-ce qui vous a convaincu ici ?

Ce personnage dont on a parlé, tourner dans les Pyrénées-Orientales, et je trouvais qu’il y avait tout ce qui fait une bonne série, tous les bons ingrédients. Surtout, on est sorti du surnaturel. Ces derniers temps, nous avons vu naître un certain nombre de séries policières avec du fantastique, alors qu’ici c’est un thriller ancré dans la vie. Nous sommes dans la tension, le suspens, dans l’action. Moi, j’ai besoin d’avoir des enquêteurs qui enquêtent. Ça peut étrange comme phrase mais j’ai besoin que les flics soient perdus, qu’ils avancent au ralenti, etc. J’ai besoin de me poser les mêmes questions que les téléspectateurs. Et les auteurs ont fait un magnifique travaille d’adaptation. Nos scénaristes ont réussi à resserrer à travers un format plus court, et offrent aux personnages une vraie existence.

Le casting m’a plu également. Nous sommes dans du populaire, dans le spectacle. J’espère que les gens adhéreront.

Retrouvez ma conversation artistique avec Bruno Debrandt ici.

« Rivière-Perdue », actuellement en diffusion sur TF1.

Synopsis :
Sur une route sinueuse des Pyrénées, un spectaculaire accident de voiture s’avère miraculeux : la réapparition de Anna, une ado disparue il y a 5 ans. La capitaine Alix Berg et le commandant Balthus sont déployés aux côtés de Victor Ferrer, le chef de la gendarmerie locale, pour se lancer dans une course contre la montre. Retrouver la trace de Lucie, une jeune fille enlevée en même temps qu’Anna et qui, elle, n’a pas réapparu…

Adaptation de la série espagnole « La Caza. Monteperdido » (2019).

Casting : Barbara Cabrita, Nicolas Gob, Jean-Michel Tinivelli, Bruno Debrandt, Odile Vuillemin, Annelise Hesme…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *