BIFFF 2021 – HITMAN, AGENT JUN : DESSINE-MOI UN ESPION !

L’histoire :
Afin de réaliser son rêve de devenir dessinateur, un espion de l’antiterrorisme hautement qualifié décide de simuler sa mort lors d’une mission.
Quinze ans plus tard, il publie par erreur un comic-book retraçant sa vie et dévoile des informations sensibles.

Le cinéma sud-coréen ne cessera jamais de nous étonner ! Il faut dire que le BIFFF – comme la quasi-totalité des festivals aujourd’hui – lui fait la part belle avec une catégorie qui lui est spécialement dédié « Taste of Korea » ou pas moins de 8 longs-métrages sont disponibles dont Hitman : Agent Jun.
Nouveau film de Choi Won-sub, Hitman : Agent Jun est donc une comédie d’espionnage sud-coréenne colorée et déjantée, mélange entre animation et live-action. Une dose d’humour bienveillante qui s’accompagne d’une réalisation dynamique mais surtout d’un scénario qui soulève des thèmes sociétaux forts…

Abandonner ses rêves ?

Dès son plus jeune âge, Jun ne rêve que d’une seule chose : dessiner des bandes-dessinées. Orphelin après un accident de voiture, il est recruté par un agent du gouvernement pour rejoindre une équipe d’élite au sein de l’antiterrorisme : La Team SHIELD.
Jun n’est alors qu’un enfant lorsqu’il est confronté à cet homme qui va littéralement briser son désir profond, devenir dessinateur. Et il y a là un aspect intéressant dans cette première séquence, car elle reflète une absolue vérité, une vérité brutale qui domine encore certaines civilisations : « l’Art ne fera pas de toi un homme et ne contribuera pas à la grandeur de ton pays ». Plus que de briser son rêve, l’agent Deok-gyu le met face à une réalité, à une responsabilité, une idéologie dont il n’a même pas conscience du haut de son jeune âge et qu’aucun enfant ne devrait avoir à supporter.
L’enfance est précieuse. Les rêves forgent notre personnalité, notre avenir. En réfutant son imaginaire, sa créativité, Deok-gyu commence ainsi son travail de transformation. Il distille dans l’esprit de Jun une autre voie, suivre les traces de son défunt père et ainsi faire briller son pays, la Corée du Sud, au travers de nobles actions.
Naîtra l’Agent Jun, le meilleur élément du monde de l’espionnage. Mais, dans un coin de sa tête, l’orphelin n’aura jamais cesser de vouloir être dessinateur.

Ce n’est probablement pas voulu mais tout ceci fait écho à ce que nous vivons actuellement avec la crise sanitaire et la manière dont la culture est traitée dans certains pays comme la France. Non-essentielle. Voilà comment nous en sommes arrivés à qualifier l’Art. Plus que jamais, il est essentiel. Pour nourrir un pays, mais avant tout pour être libre. Si Jun décide de programmer sa propre mort et de quitter ce monde de violence, son « confort » (salaire, maison…), de renoncer quelque part à une fausse idéologie qui voudrait que l’Art ne contribue pas à la gloire d’un pays, c’est tout simplement pour être LIBRE. Libre de s’exprimer, libre de rêver en permanence, libre de raconter des histoires – et, de facto, faire rêver d’autres personnes -, libre de dénoncer.
Voilà la portée du message de Choi Won-sub : accomplir ses rêves, c’est pouvoir s’émanciper, s’affranchir de l’oppression.

Quinze ans plus tard, Jun est marié et a une fille. Ses webtoons (BD en ligne) sont des flops, il est la risée du web, c’est un loser vivant au crochet de sa femme (un reproche qui lui sera fait régulièrement). Une situation intenable que Ga-Young, sa fille, lui reproche.
Là, le réalisateur Choi Won-sub aborde un autre thème : l’impact économique (des rêves) sur la vie de famille.

Show Me the Money

Vivre de son art, n’est pas chose aisée. Indirectement, ceux qui en souffrent le plus sont les enfants. Ici, C’est Ga-Young, la fille de Jun. Non pas qu’elle soit une jeune fille pourrie gâtée ou avare. Disons, qu’elle a l’envie ardente de voir sa famille épanouie. D’ailleurs, son rap intitulé « Show Me the Money » est explicite : l’argent résout tous les problèmes (ou du moins, une partie).

Dans un pays où la réussite est importante, où l’homme est celui qui doit faire vivre sa famille, mettre en scène un père à l’opposé de la figure masculine, paternaliste, tels que les clichés se les imaginent encore, est une prise de risque intéressante d’un point de vue scénaristique. Cette inversion où la femme porte la famille à bout de bras, financièrement et moralement, touche, émeut. Son soutien est sincère et ses rares reproches n’ont qu’un seul objectif : donner confiance à Jun, lui permettre de croire en son talent. C’est paradoxale, mais nécessaire. Elle sera même le déclencheur de son succès en envoyant sur le net l’histoire d’Hitman contre la volonté de son mari.

Won Choi-sub construit ses personnages avec beaucoup d’empathie. Car, si la narration de Hitman : Agent Jun est délirante, le cinéaste n’oublie jamais l’aspect dramaturgique de son histoire et l’envergure qu’il veut attribuer à ses héros. Une envergure émotionnelle pour combattre et dénoncer.

7e et 9e : le choc des Titans

Hitman : Agent Jun est un savoureux mélange entre film d’animation et live-action. La force de la mise en scène, c’est que dans ces deux aspects, elle est quadrillée comme une véritable BD. Chaque plan est pensé comme une case de bande-dessinée, une sensation qu’on retrouve de manière encore plus prononcée dans les séquences d’action, où les chorégraphies sont millimétrés et filmées pour renforcer cette impression de film-lecture.

J’en veux pour preuve cette scène (voir image) dans laquelle nous filmons d’abord les quatre personnages en plan large puis, successivement en gros plan. Chacun d’entre eux nous est alors présenté avec un bruitage ou un son différent (cri du lion, du chien…), donnant à la fois une information sur la force et la détermination qui les animent, mais également une puissance comique aux images.
Une mise en scène au service de l’histoire, des personnages, de la comédie comme évoqué à l’instant, mais aussi de l’action.

Hitman : Agent Jun jongle aussi parfaitement entre ces deux styles, ces deux arts. On passe de l’un à l’autre avec une habileté folle, libérant une énergie, une intensité créative ainsi qu’une originalité audacieuse qui ne laisse pas indifférent.

Conclusion

Hitman : Agent Jun est une comédie d’espionnage délicieuse et plus intense qu’elle n’y paraît, voguant intelligemment entre humour, drame familial et drame sociétal. En effet, le film aborde des thèmes puissants et universels comme : l’abolition des rêves, le désir de création, l’impact économique sur la vie d’une famille de la classe moyenne sud-coréenne, l’héritage ou la filiation.
Petit bijou de ce festival, Hitman : Agent Jun est une œuvre aussi drôle que dramatique, aussi jouissive qu’émouvante.

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