Le 3 novembre prochain, le réalisateur Xavier Beauvois dévoilera au public sa nouvelle production : Albatros. Un film dans lequel Laurent, un commandant de la brigade de la gendarmerie d’Etretat, voit sa vie basculer suite à un terrible évènement. En voulant sauver un agriculteur du suicide, il le tue accidentellement.
Rencontre avec le cinéaste Xavier Beauvois
Inspiré de faits réels
Outre sa « profonde amitié pour les gendarmes [qui] ont toujours des choses à raconter » et son environnement qui l’inspire où il fréquente régulièrement « les agriculteurs, les éleveurs et les céréaliers », Albatros est né suite au visionnage d’un documentaire : « Je regarde beaucoup de documentaires la nuit. Un soir, je suis tombé sur un documentaire où un gendarme tirait sur la jambe d’une personne pour lui sauver la vie. J’ai rencontré les gendarmes qui étaient sur place et qui ont tiré sur la crosse du fusil. La balle a ricoché sur la jambe. La femme de celui-ci était d’ailleurs contente qu’on lui ait tiré dessus. C’est là que je me suis dit : si c’était un pote à moi qui tirait mais qu’il ratait son coup, que se passerait-il pour lui et sa famille ? Quelles en seraient les conséquences ? Mon scénario est un mélange de tout ça. ».
Le silence & la mer
Xavier Beauvois a toujours su tirer parti de ces silences cinématographiques. Dans Albatros, ils sont imposants, lourds. Et si ces silences sont à ce point maîtrisés, équilibrés et intenses, c’est en partie grâce à une confiance mutuelle entre un acteur et un réalisateur : « Il faut déjà avoir un bon acteur. Ne rien dire, c’est quelque chose de très impressionnant et compliqué au cinéma. Il faut donc un acteur qui soit le personnage et pas un comédien qui joue un personnage. A la fin de La Horse de Pierre Granier-Deferre, le personnage d’Auguste Marouilleur (Jean Gabin) écoute le juge et son petit-fils, il ne dit absolument rien. On le voit passer par tous les états : la crainte, la certitude de finir en prison, l’espoir qui renaît… Mais lui ne dit rien, il écoute. Et c’est très payant. […] Ensuite, c’est de la confiance. Les scènes sur le bateau, par exemple, je ne voyais pas grand-chose puisque je le suivais avec un zodiac. Je devais faire entièrement confiance à Jérémie. Et j’ai eu raison. ».
Le rôle de la mer est aussi très intéressant. C’est d’abord un lieu rêvé, inaccessible, un lieu de divertissement et de rencontres et puis, lorsque Laurent décide de prendre la mer pour une traversée jusqu’à Terre-Neuve, elle devient une source de renaissance, un exutoire en quelque sorte : « Pour Laurent, c’est une thérapie de choc. C’est soit je reviens, soit je ne reviens pas. Mais il faut avancer. ».
Travailler avec des vrais gens
Sur Albatros, plusieurs comédiens sont de véritables gendarmes en exercice. Ils apportent ainsi leur expertise, leur expérience. Mais derrière cette volonté de faire participer de vraies personnes, se cache aussi le souci du détail : « Avant la préparation, j’ai appris beaucoup de choses dans nos séances d’écriture. Je ne voulais pas faire de conneries. Je suis toujours entouré de conseillers sur mes tournages. Si j’ai une idée qui n’est pas dans le scénario, je la soumets à une personne compétente. Sur Albatros, j’avais un vrai médecin du SAMU, une vraie psychologue de la Police, un vrai maire, un vrai paysan. J’ai le souci que tout soit crédible. ».
Une crédibilité qu’il compare avec certaines fictions policières : « Parfois, je zappe sur des séries de PJ et je vois en 2-3 minutes une multitude d’erreurs. Par exemple, le policier va prendre un objet avec de l’ADN dessus et le déposer dans un sac plastique. Certes, cela fait plus jolie à la caméra mais, en réalité, on le met dans du papier kraft. Le plastique peut endommager l’ADN. Sans compter qu’ils se trompent parfois de mots, au lieu de dire « pistolet », ils disent « revolver ». Ou lorsque qu’on voit les policiers sortir en civil avec un brassard « POLICE », ça n’a aucun sens puisque le but du jeu est de passer inaperçu. Un plan et déjà plusieurs erreurs. Dans Des Hommes et des Dieux, j’avais une scène où Lambert Wilson marche et discute dans le cimetière. Il parle des moines morts qui y sont enterrés. Mon conseiller me signale alors que non, il ne peut pas parler. C’est la règle de Saint-Benoît. On ne peut pas les faire parler. Voilà, ça ne coûte rien mais ça change beaucoup. Pour Albatros, j’ai fait venir un vrai légiste pour avoir des détails sur une séquence. Il est venu et je lui ai proposé le rôle. Et les gens sont ravis de participer, de filer un coup de main. Ça ne coûte rien et ça fait plaisir à tout le monde. Pourquoi ne pas le faire ? Je n’ai jamais compris ceux qui ne le font pas. Soit ils sont feignants, soit ils sont mauvais. Ou les deux. ».
Quant à Jérémie Rénier, le comédien a suivi une formation et a côtoyé les gendarmes de près pour s’immerger complètement dans son rôle : « Il a effectivement suivi une formation pour apprendre aussi les bons gestes. Par exemple, lorsqu’il charge son pistolet dans le tube. Il chambre son pistolet, on fait monter une balle dans le canon, afin d’être prêt à tirer. Avant, il chambrait n’importe ce qui était dangereux. Les policiers font cela chaque matin et chaque soir pour l’armer et le désarmer. Si on fait une mauvaise manœuvre la balle peut ricocher et flinguer un de vos collègues. Ça ne s’improvise pas, c’est un geste précis qu’il faut apprendre. Donc oui, Jérémie a beaucoup vu les gendarmes, il leur a parlé. Il voulait également savoir ce qui se passait dans la région. Après le tournage, le soir, il passait à la Gendarmerie, voir ce qu’il se passait, échanger, etc. ».
Il en va de même pour les séquences de navigation. L’acteur a aussi suivi des cours particuliers : « Durant un mois, il a appris à naviguer. Chaque geste qu’il fait sur le bateau, c’est lui. Il y a seulement une personne à bord qu’on ne voit pas, au cas où il y aurait un problème. ».
Et à la question, pourquoi Jérémie Rénier dans le rôle principal, Xavier Beauvois répond : « Premièrement, je pense que c’est un très bon acteur. Puis, il y a aussi le souci de la crédibilité d’une famille. Il y a mon épouse et ma fille, il fallait que l’acteur soit crédible pour être le père de ma fille, physiquement notamment. C’est tout simplement ça. C’est important d’avoir une famille crédible à l’écran. Il faut que les spectateurs y croient. ».
Ma critique d’Albatros est à retrouver ici.
Le film sortira en salles le 3 novembre prochain.