LES CADORS – DISCUSSION AVEC LE RÉALISATEUR JULIEN GUETTA : « J’aime emmener les acteurs et les actrices vers des émotions qu’ils n’ont jamais jouées ».

Avec Les Cadors, Julien Guetta nous plonge dans une histoire familiale émouvante. Les retrouvailles entre deux frères, Antoine (Grégoire Ludig) et Christian (Jean-Paul Rouve), se transforment en une dramédie surprenante, attendrissante, où le passé se mêle au présent pour réconcilier deux âmes perdues, deux âmes en peine. Pour affronter les obstacles, ils devront apprendre à se faire confiance et à s’aimer de nouveau. Deux jolis rôles à contre-emploi pour les deux acteurs, que le réalisateur Julien Guetta fait évoluer dans l’univers singulier et rude des docks, dominé par un Michel Blanc en dictateur impitoyable. Plus qu’une comédie, Les Cadors est donc aussi un drame profond, puissant, où, derrière les violences, se cachent une lueur d’espoir et un avenir radieux pour nos héros. Mais ce n’est qu’à condition d’affronter leur propre reflet qu’ils parviendront à s’extirper de leur mal-être, au risque de tout perdre.
Entre références et hommages, Julien Guetta délivre un récit riche en émotions et un amour sincère pour le cinéma français des années 80, dans lequel il puise des ressources pour composer sa propre narration. Brillant !

Synopsis :
Les Cadors, c’est l’histoire de deux frères que tout oppose. Antoine, marié, deux enfants, conducteur de bateaux, et Christian, célibataire, chômeur et bagarreur incorrigible. Mais quand Antoine le mari idéal se retrouve mêlé à une sale histoire, c’est Christian le mal aimé qui, même si on ne lui a rien demandé, débarque à Cherbourg pour voler à son secours.

Les Cadors comme ils aimaient se surnommer dans leur enfance vont se redécouvrir au travers de cette histoire. Christian qui n’a rien à perdre, va alors défendre au péril de sa vie cette famille qu’il a toujours rêvé d’avoir sans jamais avoir eu le courage de la fonder.

Rencontre avec le cinéaste Julien Guetta. Il se confie sur les coulisses du long-métrage et dévoile ses véritables intentions avec ce film familial.

Racontez-nous la genèse de ce projet et de cette histoire ?
Je sortais de mon film précédent, Roulez Jeunesse, et Nolita est venu me proposer cette histoire. Il y avait déjà un scénario, écrit par Lionel Dutemple, l’un des scénaristes du film. Il se trouve que cette histoire est basée sur des faits réels, celle de son père et de son oncle. Le projet était associé à Jean-Paul Rouve donc, lorsque j’ai lu le projet, je savais que, potentiellement, il jouerait le rôle de Christophe. J’avais très envie de travailler avec lui. Nous avons mis deux ans et demi pour développer le projet et le réaliser.

« Avoir l’acteur avec soi, pour l’écriture, c’est de la matière vivante parfaite pour travailler ».

À quel degré Jean-Paul Rouve a-t-il participé au scénario du film ?
Jean-Paul Rouve est intervenu comme scénariste à la toute fin, durant un mois. Lorsqu’il lisait le projet, il me faisait des remarques. Je lui ai alors demandé de venir faire des séances d’écriture et, ça nous a permis de modifier les dialogues ensemble, d’apprendre à nous connaître. Avoir l’acteur avec soi, pour l’écriture, c’est de la matière vivante parfaite pour travailler. Puis, comme Jean-Paul est aussi réalisateur et qu’il a aussi l’habitude d’écrire ses films, de parler de structure, nous parlons le même langage. […] Ce qui était intéressant là, c’est que je pouvais voir l’acteur jouer un dialogue. On jouait les scènes. Là, on a un meilleur aperçu, on sait s’il y a trop de dialogues et qu’on peut aller beaucoup plus vite parce que l’expression du visage l’exprime mieux. Tout devient plus concret. Au-delà de son savoir-faire, c’est son jeu qui a déterminé certains dialogues.

« J’aime placer mes acteurs et mes personnages dans le monde du travail ».

L’action du film se déroule dans l’univers des docks. Un univers peu commun au cinéma. À la fin du générique, vous avez par ailleurs ajouté des photos d’époque.

La première version du scénario se déroulait dans ce milieu. Et j’ai aussi accepté le projet parce qu’il est vrai que nous n’avons presque jamais vu ça en France. C’est un milieu qu’on ne connaît pas et qui, pourtant, est véritablement cinématographique. Ça m’intéresse, en tant que réalisateur, d’aller explorer des environnements que je ne connais pas. J’ai été marqué par la série The Wire où il y a toute une saison qui se passe dans le milieu des docks. C’est très américain. Le Havre est très bouché, fermé et secret. Je savais qu’il y avait quelque chose à faire ici. De plus, j’aime placer mes acteurs et mes personnages dans le monde du travail. Ça a toujours une conséquence sur l’histoire que je raconte.

Pour les images en fin de générique, ce sont de vraies images d’archives de Cherbourg. Tout le film est parcouru de flashbacks, ça s’inscrit dans une sorte de continuité avec l’histoire que nous avons vue précédemment. En famille, il nous arrive de revoir de vieilles photos. C’est un peu leur album de famille. J’aimais aussi l’idée de clôturer le film de cette manière.

[…] Sur le port, nous étions comme des enfants qui jouaient aux Lego. J’avais d’ailleurs des Lego pour représenter les conteneurs et, avec le chef op’ et les acteurs, nous décidions des déplacements des personnages. On travaillait l’espace. Ensuite, c’est un grand terrain de jeu où les dockeurs nous ont beaucoup aidé, notamment pour déplacer les conteneurs aux endroits où nous le souhaitions. J’avais un studio géant, à ciel ouvert. Au départ, ça fait peur mais une fois que vous avez appréhendé l’environnement, ça devient plaisant. C’est même parfois plus facile de tourner dans ce genre d’espace, que dans une cuisine où les acteurs ne peuvent pas beaucoup bouger. Ça vous limite beaucoup dans la mise en scène.

« C’était aussi une façon de rendre hommage au cinéma français des années 80 et ces films de duo ».

Christian est un frère maladroit mais il a un côté tendre, attachant, protecteur. Il veut bien faire.
C’est toute l’idée du duo et que les rôles s’inversent. Au début, on croit que c’est Antoine (Grégoire Ludig) qui va tenir les choses, qu’il n’a rien à se reprocher et, petit à petit, tout s’inverse. Les rapports ne sont pas si évidents que ça. Christian n’a qu’un objectif, faire du bien pour sa famille. C’est son mantra. Lui, ne bouge pas par rapport à son frère. Je trouve ça touchant. Il est plein de maladresses. Nous avons tous une personne dans notre famille, lourde, insupportable mais, en même temps, qui déborde d’amour. Et c’est pour cela qu’on les aime et qu’ils nous manquent lorsqu’ils ne sont pas là.

[…] Le personnage de Christian chérit tellement les années 80 avec ses tatouages, son look, les musiques qu’il écoute (Renaud), qu’il ramène tout son univers dans la famille d’Antoine. C’était aussi une façon de rendre hommage au cinéma français des années 80 et ces films de duo. Puis, Michel Blanc symbolise les duos les années 80, lui qui a joué des duos mythiques au cinéma avec Marche à l’Ombre par exemple. Il y avait un parallèle entre mon film et les films que je prends en référence. Pour la musique, c’est Catherine Ringer qui signe la musique de fin. Je suis un fan. Tout est lié au fur et à mesure.

Les Cadors est une comédie mais c’est aussi un authentique drame. Au-delà de l’insouciance, il y a aussi la violence. De la violence verbale, de la violence physique et de la violence sociale.
Ça parle de la vie. Je tiens quand même à dire que le film se termine avec une note d’espoir (rire). Mais effectivement, le film n’est pas une pure comédie. J’aime à dire que c’est une comédie de la vie. C’est davantage une aventure familiale où les personnages vont traverser des épreuves ensemble. Néanmoins, on peut quand même se marrer. Mon envie, c’est que les spectateurs se sentent en famille et se reconnaissent là-dedans.

Et puis, il y a cette histoire de la craie qui vient délimiter, par moment, cette violence…
C’est une histoire vraie. L’oncle de Lionel, le scénariste qui a amené l’histoire, avait toujours une craie sur lui et il délimitait tout. Je trouvais que ça faisait un beau lien entre les deux frères tout au long du film.

« C’est un méchant qui amène une certaine humanité ».

Parlez-nous du personnage de Michel Blanc, ce tyran qui domine les docks…

Un méchant de pacotille, comme je le définis (rire). Tout l’enjeu était de faire de Michel un méchant. Toutefois, ce n’est pas un film sur les gangsters. Encore une fois, c’est l’histoire de deux frères, qui vont traverser une aventure ensemble. J’adorais l’idée de voir Michel dans la peau d’un méchant parce qu’il charrie tout un cinéma que l’on connaît par cœur et, le transformer ainsi, je trouvais ça génial pour le spectateur et même pour lui. Ce personnage l’a amusé. C’est un méchant qui amène une certaine humanité. Je n’arrive pas à le prendre au sérieux même si parfois, il l’est vraiment. Notamment parce qu’un méchant doit avoir une crédibilité sinon, nous n’y croyons pas.

« J’aime emmener les acteurs et les actrices vers des émotions qu’ils n’ont jamais jouées ».

Le terme « transformation » revient souvent. Jean-Paul Rouve, Michel Blanc. C’est également le cas pour Grégoire Ludig… Je crois que c’est la première fois que je le vois pleurer au cinéma…
J’aime emmener les acteurs et les actrices vers des émotions qu’ils n’ont jamais jouées. Ce qui m’amuse, c’est d’essayer des choses avec eux. C’est pour ça que Grégoire a accepté de rejoindre le projet, parce qu’il n’avait encore jamais joué ça. C’est le cas pour tous les acteurs qui sont au casting du film. Michel me disait, il n’y a pas si longtemps : « Si tu n’as pas peur sur un projet, s’il n’y a pas quelque chose qui me fait peur, je vais être mauvais, je le sens. Là, j’avais un peu peur. C’est bon signe ».

Pourquoi ce titre « Les Cadors » ?
Il y a un côté ironique. Ceux qui se font appeler les cadors, sont ceux qui roulent des mécaniques, qui travaillent leur image en apparence, la virilité et la force. Mais on s’aperçoit vite que derrière ils sont fragiles, maladroits. Cela m’amusait de jouer là-dessus avec ce titre.

Entretien réalisé à La Rochelle, lors de l’avant-première du film.

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